Du jamais vu ! Les producteurs sont pris d'assaut, aussi bien pour les oeufs que la farine ou le beurre. L'explication ? Les Francs-Comtois retrouvent le temps de cuisiner, en cette période du chacun chez soi.
Il ne va pas en faire tout un plat, Alexandre Zisswiller. Une pénurie d'oeufs ? Pensez donc ! Lui qui gère une supérette en centre-ville de Besançon connaît la parade : un coup de fil, et le voilà livré. Son secret ? Faire appel au circuit court.
"Les poules pondent à donf, s'amuse-t-il à nous répondre derrière sa caisse, protégé du virus (ça reste à prouver) par une sorte de pare-vent en plastique que sa maison-mère a bien voulu lui faire parvenir, faute de mieux. Il suffit, pour avoir des oeufs, de connaître les producteurs locaux." Et donc, ne pas s'en tenir à la grande distribution, quand pénurie il y a.
Certes, les poules pondent "à donf". La preuve chez nos voisins suisses :
Jamais les poules suisses n'avaient autant pondu qu'en 2019: pour la première fois, plus d'un milliard d'oeufs ont été produits durant une année https://t.co/CDiVT8exwn
— RTSinfo (@RTSinfo) March 31, 2020
Mais la grande distribution serait en pénurie ? On nous aurait menti ? "J'ai eu des difficultés à être livré par le groupe Casino au début du confinement, nuance Alexandre. Maintenant, ça va mieux."
Notre discussion suit son cours dans le même registre. C'est à peine si l'on remarque le client de derrière, qui s'est mis à tendre l'oreille. Il fait la queue, il garde ses distances, il est comme tout le monde. Un oeil plus alerte remerquera qu'il tient dans ses mains... une boîte à oeufs.
Le panier moyen explose
Il n'y a pas que les oeufs à être concernés. En ce moment, c'est sauve-qui-peut les produits frais : on fonce sur le beurre, la viande, la pâte à tarte. Deux fois moins de clients chez Alexandre, oui, mais 50 % de chiffre en plus par panier !
Et là encore, comme pour les oeufs, la grande distribution a du mal à suivre.
"Tenez, regardez, la preuve !" Alexandre Zisswiller nous indique un bordereau de livraison. Sur l'ensemble des produits qui auraient dû être livrés ce mardi, 35 % ne l'ont pas été. "À redemander", peut-on lire. Les clients ont même liquidé le prosecco.
Mais laissons la cité comtoise, pour faire un saut en Haute-Saône, direction Ronchamp. Ici, pas de querelle de chapelle chez les revendeurs : tous dressent le même constat qu'à Besançon.
L'oeuf a la cote
Virginie Viennet l'observe tous les jours, avec son mari Philippe. Le couple élève une centaine de poules en bio. Il vient aussi d'ouvrir un point de vente, au coeur de la commune.
"On marche du tonnerre, se félicite Virginie. Les clients arrivent pour acheter des oeufs, et nous demandent carrément de leur mettre tout ce qu'on a de disponible. On a même été en rupture samedi dernier."
Et si ce n'est pas vous qui allez chercher vos oeufs, ce sont les oeufs qui viennent à vous : pour être sûrs et certains d'écouler leurs produits (ils n'en avaient pas besoin non plus...), Virginie et Philippe participent à un service de livraison à domicile mis en place à Ronchamp. On observe le même genre d'initiative solidaire dans la plupart des campagnes de la région.
Un peu plus loin en Haute-Saône, à Champay, Claude Bernard se frotte les mains lui aussi. Ses ventes ont doublé. Et quelles ventes ! Il élève 3 500 poules, soit 2 500 oeufs pondus chaque jour.
"On n'avait jamais connu ça, pas même en période de fêtes, s'enthousiasme-t-il. On avait un peu de réserve ; tout est parti."
Car les consommateurs achètent à tour de bras : ils ont du temps pour cuisiner, faire des gâteaux, occuper les enfants. Merci le confinement. La nature en profite et se revigore ; les agriculteurs aussi. Surtout les petits producteurs.
Deux modèles, un seul vrai gagnant
La production d'oeufs en France, c'est d'abord les géants du type Cocorette. On l'a vu tout à l'heure à Besançon, ceux-là ont parfois des difficultés à fournir leur client.
"Peut-être ont-ils des problèmes d'approvisionnement en emballages, avance Florence Marcos, conseillère en circuits courts à la chambre d'agriculture de Haute-Saône. Peut-etre aussi ont-ils du personnel malade."
Et puis il y a les plus petites entreprises, celles qui fonctionnent en circuit court. Elles n'ont jamais si bien tourné, surtout en vente directe, comme chez Claude Bernard ou chez Virginie et Philippe Viennet.
"Cela compense largement, poursuit Florence Marcos. On vend un peu moins d'un côté, mais un peu plus de l'autre : tout se maintient, l'agriculture s'en sort globalement pas trop mal."
On vend un peu moins d'un côté, mais un peu plus de l'autre : tout se maintient, l'agriculture s'en sort globalement pas trop mal.
Et le consommateur s'y retrouve : n'est-ce pas un côté positif du confinement que de pouvoir enfin nous réunir en famille autour de la cuisine et la pâtisserie ?
L'auteur de cet article vous laisse y réfléchir, pendant qu'il retourne à sa pâte à crêpes. Il s'excuse d'avance pour les coquilles éventuelles qu'il aurait laissé se glisser parmi les lignes que vous venez de lire.