C'est le système D, même pour les hôpitaux. Alors que les masques promis par les pouvoirs publics tardent, le centre hospitalier de Novillars, spécialisé dans la santé mentale, a misé sur une filière d'approvisionnement chinoise, via la fondation Action Philippe Streit.
"C'est purement scandaleux."Jan Szoblik, infirmier en pédo-psychiatrie et délégué CGT au centre hospitalier spécialisé de Novillars, salue la ténacité de sa direction pour protéger les soignants. Mais trouve le procédé fort de café.
"L'approvisionnement en masques ne se fait pas par la voie classique et par l'Etat, révèle-t-il. Notre direction et notre président de CME [commission médicale d'établissement] Edgar Tissot ont trouvé une voie annexe: ils se démènent depuis plusieurs semaines pour trouver des masques et ont contacté des entreprises en Chine, par leurs propres moyens, sans compter sur l'Etat".
"Rendez-vous compte: un établissement public est obligé de passer par des voies non officielles pour assurer la sécurité d'agents de la fonction publique hospitalière et limiter au mieux la propagation de ce virus, poursuit le syndicaliste.
"En aucun cas il n'est prévu de se fournir directement en Chine", nuance Florent Foucard, directeur du Groupement Psychiatrie et Médico-Social Doubs-Jura. En fait, l'hôpital de Novillars, confronté aux mêmes problèmes d'approvisionnement en masques que la plupart des établissements de santé français, a lancé il y a quelques jours un appel aux dons.Tout approvisionnement est nécessairement salvateur
"Suite à cet appel aux dons, un contact a été établi avec une fondation (Action Philippe Streit) avec laquelle le centre hospitalier de Novillars a été amené à travailler dans le cadre de l'élaboration du projet territorial en santé mentale, détaille le directeur du GPMS. Cette fondation, via ses propres réseaux, pouvait mettre en place un réseau d'approvisionnement en masques en lien avec des entreprises installées en Chine".
L'association Action Philippe Streit, portée par l'ancien président du Groupe Delfingen Bernard Streit, promeut la réinsertion des personnes handicapées. Elle a été consultée pour la commande portée par le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté.
"Tout approvisionnement est nécessairement salvateur dans le contexte actuel pour nous permettre de disposer des moyens de protection dont les professionnels ont besoin", se réjouit Florent Foucard.
Combien l'hôpital va-t-il récupérer de masques via cette filière atypique ? C'est "en cours de discussion", nous répond-on pudiquement. A Novillars, il faut au minimum 3500 masques par semaine "pour permettre à tous les professionnels en contact étroit avec les patients et les résidents de bénéficier de masques".
"On a des masques pour 15 jours, ensuite on ne sait pas", s'inquiète néanmoins Valérie Etienney, secrétaire Force ouvrière au sein de l'établissement. "Le personnel a besoin d'être rassuré de manière pérenne", abonde Aurore Gribos, psychologue et déléguée Sud, qui dénonce "le manque de moyens pour la psychiatrie" et souligne que les soignants sont "déjà très mobilisés".Le personnel a besoin d'être rassuré de manière pérenne
D'après les représentants syndicaux, aucun cas de covid-19 n'a pour l'instant été détecté parmi les patients du centre hospitalier de Novillars. Quelques soignants sont malades, mais sans gravité.
"On risque d'être démuni face à un rebond extraordinaire de la souffrance psychique"
Au delà de la problématique des masques, le personnel soignant craint les conséquences du confinement sur les personnes fragiles psychologiquement."Il y a des populations que nous n'accueillons plus en centre de guidance infantile ou en consultation médico-psychologique", constate Jan Szoblik, infirmier en pédo-psychiatrie au centre thérapeutique de l'enfant et de l'adolescent rue des Jardins à Besançon. Ce délégué CGT a été transféré avec plusieurs de ses collègues à Novillars: "Nous assurons un accueil a minima dans certains centres médicaux-psychologiques, mais nous n'avons plus les moyens d'assurer une prise en charge optimale. Il y a donc rupture des soins, et nous craignons dans les semaines à venir des décompensations. Ces gens-là n'ont plus rien, ils reviendront encore plus abîmés qu'avant".
Le confinement va entraîner "des troubles du comportement, des altérations psychiques."
Autre motif d'inquiétude pour les soignants: les conséquences du confinement: "Des gens vont rentrer dans la pathologie psychiatrique du fait du confinement, à cause du stress et de l'absence de lien social, physique. Cela va entraîner des troubles du comportement, des altérations psychiques."
Pour Jan Szoblik, "les effets collatéraux seront très importants et la psychiatrie ne dispose pas de moyens suffisants. On risque d'être démuni face à un rebond extraordinaire de la souffrance psychique."
"Cette crise sanitaire va créer du mal-être, confirme sa collègue de Sud Aurore Gribos. On sait déjà qu'on sera en première ligne."