Comment mesurer l'impact des mesures de distanciation sociale sur l'évolution de l'épidémie ? C'est la question posée par trois scientifiques. Parmi eux, une universitaire de Besançon. Pour être efficace, il faut faire durer longtemps le confinement, mais pas nécessairement de façon très stricte.
Comme souvent en sciences, tout est parti d'une intuition. Pendant le premier confinement, le docteur en pharmacie Fanchon Bourasset, professeure en neurosciences au Laboratoire de neurosciences intégratives et cliniques de l'université de Franche-Comté, a pris le temps de réfléchir aux observations transmises par son collègue Jean-Michel Scherrmann (université de Paris, INSERM).
L'une des spécialités de ces pharmaciens chercheurs est de mesurer la vitesse à laquelle un médicament s'élimine d'un corps. Ils ont l'idée de transposer leur méthode à l'étude de l'épidémie . Avec le docteur Bruno Mégarbane (université de Paris, INSERM - Institut national de la santé et de la recherche médicale, hôpital Lariboisière), ils mettent au point un nouvel indicateur, qui mesure la vitesse d'élimination de l'épidémie de Covid-19 pour une population donnée.
Les courbes que l’on voyait publiées sur Santé Publique France montraient des augmentations de nombre de cas par jour. Nous, on s’est demandé si on pouvait transposer cette vitesse d’élimination d’un médicament dans l’organisme à la vitesse d’élimination d’une épidémie dans une population. On a fait des calculs avec nos méthodes utilisées en pharmacie et on a mesuré la vitesse de régression d’une épidémie dans une population et un contexte donné de distanciation sociale, par exemple le confinement.
Ces résultats ont été publiés en janvier dans la revue britannique "Journal of general internal medecine". Fanchon Bourasset a donné une conférence à ce sujet dans le cadre du séminaire par visioconférence « Penser la pandémie ». Une conférence mise en ligne sur la chaîne Youtube de l'université de Bourgogne Franche-Comté.
Raisonnement basé sur la vitesse
L'intérêt de cette étude est de proposer un nouvel indicateur pour mesurer l'impact des mesures de distanciation sociale sur la régression épidémique. Cette étude a été menée à partir du mois de mars 2020 dans neuf pays, dont la France, pour comparer l'impact de mesures différentes d'une nation à l'autre. De la Nouvelle Zélande, qui a appliqué des mesures strictes, à la Suède, qui a refusé de confiner, l'enseignement est éloquent.
« Quelle que soit la sévérité du confinement, nous avons obtenu les mêmes paramètres d’élimination de l’épidémie dans ces différents pays. Finalement, les seuls pays où il y avait des différences étaient les pays sans confinement, par exemple, la Suède qui avait un temps d’élimination beaucoup plus long que le Nouvelle-Zélande qui avait confiné très vite, très tôt et de manière très stricte. Si on compare la France avec l’Allemagne, l’Allemagne avait confiné de manière moins stricte que la France et on obtient les mêmes paramètres d’élimination. Ce qui montre que ce n’est pas tant la sévérité du confinement qui peut modifier la vitesse d’élimination de l’épidémie mais le moment où ce confinement est mis en place. Plus le confinement est mis en place tôt, plus on a des chances de réduire cette durée d’épidémie.
En France, entre le premier confinement et celui de novembre, "on a les mêmes valeurs de paramètres d’élimination de l’épidémie, on régresse à la même vitesse, alors qu’on n'avait pas les mêmes degrés de confinement" remarque l'universitaire bisontine.
Comment évaluer alors les nouvelles mesures prises à Nice et Dunkerque ?
Mettre de la distanciation sociale et donc réduire la circulation du virus peut être bénéfique, mais le faire deux jours, rouvrir et le refaire une semaine plus tard, je ne sais ce que cela peut donner. On a vu pendant les confinements que ce qui était important c’était de maintenir la distanciation sociale pendant au moins deux mois ou deux mois et demi. Là, si on fait juste deux jours et que l’on rouvre, je ne sais pas ce que cela peut donner. Le risque est qu’il n’y ait pas beaucoup d’effet.
Ce nouvel indicateur permet de "prédire la durée de l’épidémie dans ces conditions et peut-être de donner des préconisations quant à la durée nécessaire de cette mesure pour qu’elle soit efficace le plus longtemps possible" explique la scientifique.
Raisonner en vitesse permet de prolonger les droites construites grâce à ce nouvel indicateur et d'imaginer notre avenir.
La Bourgogne Franche-Comté a suivi le schéma observé pour la France en général. Depuis quelques temps, on a une légère décroissance de l'épidémie en Bourgogne Franche-Comté, en terme de vitesse. C’est une vitesse plus lente que pendant les confinements, comme dans le reste de la France. Si on conserve les mêmes mesures qu'actuellement, il faudrait un an pour que le coronavirus disparaisse totalement de notre quotidien. Une estimation qui ne tient pas compte des évolutions possibles de la situation sanitaire, comme l'arrivée des variants ou le développement de la vaccination.