Gilets Jaunes : Trois questions à Renaud Bueb, professeur d'histoire du droit

Le mouvement des Gilets jaunes suscite le débat et nécessite des clés de compréhension. Nous avons demandé à Renaud Bueb, historien du droit du travail, de nous apporter son éclairage sur cette mobilisation inédite en France. 
 

Société
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Renaud Bueb enseigne l'histoire du droit travail et anime des séminaires de culture générale dans les master sur les questions de société. Il s'intéresse ainsi aux conflits sociaux. L'universitaire observe la vie politique et sociale qu'il compare avec le passé : la question sociale, les révoltes ouvrières, les révoltes anti-fiscales, l'évolution des régimes politiques.

►QUE RÉVÈLE DE NOTRE SOCIÉTE LA MOBILISATION DES GILETS JAUNES ?

"La crise des gilets jaunes est une révolte anti-fiscale (comme il en existait dans le passé), elle illustre aussi la crise politique de la cinquième république d'aujourd'hui, la domination des élites, l'affadissement de la représentation (le fait majoritaire interdit la parole dissidente, l'opposition est ignorée), et le technocratisme néo-libérale, "la seule option possible", pousse les peuples à bout.

Je vois aussi un retour de la question sociale, le retour de la pauvreté, de la question des salaires, du partage des fruits de la croissance et de l'effort, chez les "inclus", la dislocation de la classe moyenne, écrasée par les impôts. Or, la parole sociale n'est plus entendue (il est symptomatique que les syndicats soient hors jeu, pétri de politiquement correct, craignant la peste brune, des lectures inadaptée, il ne portent plus les revendications des travailleurs).

La presse et les médias dominants s'intéressent principalement aux questions sociétales (mariage pour tous, immigration, PMA, etc...), et à l'écume des jours, pas à la misère et à la "classe ouvrière" s'il en reste une... la classe laborieuse. Marx est mort et le mur est tombé. Les bobos sont parvenus à dominer le débat public. Pendant que la France du peuple proteste, l'assemblée vote contre la fessée : tout un symbole de la distance entre le social et le sociétal.

Or la majorité du peuple (les petits et les moyens) demande aussi à entendue, alors que depuis des années on n'entend que la parole des minorités et des premiers de cordée. Derrière la réussite et le "cri victimaire" de quelques uns, la société française continuer à s'effondrer." 


►COMMENT LES POLITIQUES ET LES AUTRES CORPS INTERMÉDIAIRES PEUVENT-ILS SORTIR DE CETTE CRISE DE DÉFIANCE A LEUR ÉGARD ?

"C'est  bien une crise de représentativité et de reconnaissance que révèlent les gilets jaunes. Les Français sont patients, ils ne sont pas contre les réformes (SNFC, ordonnance travail), mais ils refusent le déclassement qui s'annonce et rejettent une classe politique bobo, élitiste, d'experts (ENA, HEC), de sachants, de technocrates, qui comme le dit Christophe Lasch, on fait sécession. Je rejoins ici les analyses de C. Guilluy. Nous avons aujourd'hui, la révolte de la France périphérique. On a même comme lorsque la SNCF s'était opposé au plan Juppé, un mouvement par procuration. Les gilets jaunes protestent aussi pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas se montrer. Ce qui explique le soutien qu'ils ont en général dans l'opinion.

L'Etat est suffisamment fort, il finira par l'emporter. Tout rentrera prochainement dans l'ordre. Les fêtes de Noël approchent ainsi que la trêve des confiseurs. Mais la colère sourde s'exprimera l'an prochain : abstention aux Européennes et vote protestataire."


 

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