L'association Solidarité Femmes, spécialisée dans l'accompagnement des femmes victimes de violences conjugales nous a ouvert ses portes. Installée à Besançon, cette structure aide chaque année des centaines de femmes et leurs enfants à sortir d'un quotidien fait de violences. Récit.
“La première fois que je suis rentrée dans les locaux de Solidarité Femmes, j’ai été un peu choquée car sur le mur dans la salle d’attente il y avait des affiches et ça représentait ma vie. C’était ma vie… ou en tout cas le déroulement de ce que je vivais” nous explique Anne-Sophie*, accompagnée par l’association bisontine Solidarité Femmes, spécialisée dans l’aide aux femmes et aux enfants victimes de violences conjugales. La mère de trois enfants a quitté son mari l’été dernier après une dizaine d'années de relation rythmée par les brimades, les interdictions et les violences quotidiennes.
Elle est entrée elle-même en contact avec l’association, se sachant particulièrement en danger puisqu’elle avait pris la décision de quitter le domicile avec ses enfants, après être allée déposer plainte à la gendarmerie. “Il me menaçait beaucoup, de mort notamment. Cela a commencé dès le début, mais j’étais paralysée par la peur. Il me criait dessus tout le temps. Il me disait que si je partais il allait me tuer, qu’il ne me lâcherait jamais” énumère Anne-Sophie*.
Elle s’occupe de ses deux enfants âgés tous les deux de moins de 12 ans et a également un “grand garçon” d’une vingtaine d’années, issu d’une première relation.
Ma fille de 11 ans commençait à comprendre ce qu’il se passait. Son père s’en prenait à elle, puisque elle avait un œil critique sur lui. Le Covid a tout amplifié. On était enfermés avec lui. J’étais morte de peur.
Anne-Sophie, accompagnée par Solidarité Femmes
La décision de partir, la Franc-Comtoise de 36 ans la prend après plusieurs déclics et notamment au moment où son mari lui interdit de voir son fils aîné, qui ne vit pas avec elle. “Il m’avait isolée de tout le monde. Il fallait que j’aie l’autorisation pour tout. Je devais lui demander un mois avant pour voir ma famille”. L’un des autres éléments déclencheurs survenus quelques semaines avant le départ est le fait que sa fille lui dise : “Un jour faudra qu’on parte” puis “Je suis prête”. “Je restais pour les enfants mais je me suis dit du coup que ça n’avait plus aucun sens” se rappelle-t-elle. Depuis peu, elle a emménagé dans un nouvel appartement et se sent plus en sécurité. Petit à petit, elle se reconstruit.
Ce déclic lui donnant la force de fuir, apparu quand son enfant a commencé à être conscient du drame que vivait sa mère, Manon* l’a eu aussi. Cette dernière, âgée de 28 ans, est hébergée dans l’un des 10 appartements du Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) dont dispose l’association Solidarité Femmes.
“Je n’avais jamais porté plainte avant. Mais un jour ma fille a dit à ma mère que - papa tapait maman des fois -. Je n’en avais jamais parlé à personne. Le fait que ma fille s’en rende compte, je ne pouvais plus faire semblant” nous confie la jeune femme.
En 2020, Solidarité Femmes a accueilli dans ses appartements sécurisés 20 femmes et 25 enfants pour une durée moyenne d’environ 9 mois. Parmi les femmes hébergées, dont plus de la moitié étaient mariées, toutes ont subi des violences psychologiques, 85% des violences physiques et entre 20% et 25% des violences sexuelles, administratives et économiques. La plupart subissant plusieurs formes de violences. Parmi elles, 55% étaient sans ressource au moment de quitter leur conjoint violent.
Je n’avais pas les moyens de nous reloger ma fille et moi. Pour tout ce qui est démarches, pour toutes les étapes à suivre et pour tout ce qu’il y a encore à faire, les éducatrices m’aident et elles me guident. Et aussi pour l’éducation de ma fille.
Manon, accompagnée par Solidarité Femmes
Depuis plusieurs mois, les deux mamans sont accompagnées par Aurélie Bottex, éducatrice spécialisée à Solidarité Femmes, en charge du soutien à la parentalité et du travail avec les enfants victimes de violences conjugales.
“Aujourd’hui, c’est reconnu que les enfants sont aussi victimes des violences conjugales et qu’il y a un impact sur la parentalité. Quand les femmes sont dans un souci de survie, elles n’ont pas la disponibilité psychique suffisante pour leur accorder une attention particulière. Souvent elles sont aussi dévalorisées dans leur rôle par le conjoint ou l’ex-conjoint” précise la salariée de l’association depuis 7 ans.
“On va déjà nommer l’interdit des violences pour les enfants” poursuit-elle. En effet, le premier levier à actionner pour ces professionnelles est de bien faire comprendre aux enfants que la violence n’est jamais légitime. Ensuite, il leur faut créer “les conditions pour qu’ils puissent exprimer par des mots, ou par le dessin, le jeu, leur vécu et les traumatismes qu’ils ont subi”. Après ce travail d’évaluation, différents outils sont proposés en fonction de la gravité de la situation.
Chez les enfants, le traumatisme peut être intériorisé et pourra ressortir des années plus tard parce que des circonstances vont raviver ce traumatisme. Ou c’est extériorisé par des troubles du sommeil, de l’agressivité, des troubles de l’alimentation… Mais ce n’est pas systématique.
Aurélie Bottex, éducatrice spécialisée à Solidarité Femmes
L’association, créée en 1980 par des militantes féministes bisontines, propose plusieurs choses comme des entretiens individuels avec la mère, des “cafés parentalité” pour favoriser le partage d’expériences entre les mères victimes de violence ou des accompagnements parents / enfants. Une attention toute particulière est évidemment portée aux enfants qui peuvent s’exprimer durant des rendez-vous individuels ou en fratrie. Des ateliers de différents types (motricité, créatifs, pour adolescents ou sorties) sont aussi possibles.
“De plus en plus, les mères ont déjà conscience de l’impact sur leurs enfants quand elles arrivent. Je note une évolution par rapport à quand j’ai commencé à travailler à Solidarité Femmes. Aujourd’hui, les dames ont déjà observé pas mal de symptômes sur leurs enfants” explique Aurélie Bottex.
Anne-Sophie constate déjà les bienfaits de cet accompagnement sur sa fille de 11 ans. “Solidarité Femmes propose plein de choses. Les ateliers sont vraiment bien. Depuis quelques mois ça va mieux pour ma fille. Il lui a fallu du temps”. Manon nous le dit elle aussi : “On me donne des pistes éducatives, sur les attitudes à avoir, les règles à mettre en place, sur toutes les questions autour de la parentalité. C’est beaucoup d’aide”.
L’une des missions que s’est donnée l’association Solidarité Femmes et de permettre aux femmes victimes de violence de progresser dans leur rôle de mère mais aussi de se sentir plus libre et plus épanouie elle-même. “Je vais essayer de faire le stage d'auto-défense physique et verbale. C’est vraiment super pour reprendre confiance en soi. J’ai déjà participé à l’atelier écriture féministe, c’était très fort, très inspirant. Et il va y avoir une sortie en famille. Ils organisent plein de choses” se réjouit Anne-Sophie, trop longtemps mise à l’écart d’une vie sociale riche, en raison de “l’extrême paranoïa” de son ex-conjoint violent.
Environ 300 femmes accompagnées pour la première fois chaque année
Au-delà des témoignages des bénéficiaires des multiples services proposés gratuitement par l’association, l’expertise des professionnelles de cette association très implantée sur le territoire franc-comtois n’est plus à prouver.
Chaque année, environ 300 femmes entrent en contact avec Solidarité Femmes pour la première fois, orientée par le 39-19, le numéro d’écoute géré par la fédération nationale de Solidarité Femmes, par d’autres structures ou spontanément. “Certaines demandes transitent par des travailleurs sociaux, soit des services du CCAS ou des services du Département… Cela se décide en réunion, en fonction de la demande. C’est très encadré” détaille Anne Gainet, coordinatrice de l’association en charge des relations avec les nombreux partenaires publics ou privés.
Elsa Mougin est éducatrice spécialisée depuis 8 ans à Solidarité Femmes. Avant, elle accompagnait en particulier les femmes hébergées par l’association. Désormais, elle fait de l’accueil de jour et des permanences décentralisées à Baume-les-Dames, Valdahon, Pontarlier, Morteau et au CHU de Besançon, une fois par mois dans chaque permanence (voir en fin d’article les informations pratiques).
Elle gère également un dispositif qui permet d’accompagner les femmes au plus près dans leurs nombreuses démarches. Elle se rend régulièrement au commissariat pour les dépôts de plaintes aux côtés des victimes.
“Solidarité Femmes m'a donné cette chance d’être un peu plus entendue que lorsque j’ai porté plainte seule. On ne me croyait pas trop. J’avais cette appréhension de poser une deuxième plainte vue ma première expérience. J’ai pu être interrogée et entendue quand madame Mougin est venue avec moi. Ça m'a permis de quitter mon ex-conjoint, et d’essayer de me reconstruire” nous explique Laura*, 21 ans, qui a subi des violences physiques, psychologiques et sexuelles de la part de l’homme avec qui elle est restée trois ans.
C’est déjà compliqué de porter plainte donc si on remet en doute notre parole c’est très difficile. Ça a pu débloquer beaucoup de choses, même pour moi au niveau psychologique.
Laura, accompagnée par Solidarité Femmes
“Mon rôle, c’est de sécuriser au maximum la sortie du logement et de les accompagner même physiquement. Le but c’est qu’il y ait une personne identifiée qui fasse le lien pour elles. Pour qu’elles n’aient pas à répéter à chaque fois leur histoire à des personnes différentes par exemple” explique Elsa Mougin.
Elle rend aussi visite aux femmes hébergées par le 115 pour leur apporter, si elles le souhaitent, une aide spécifique. “On a un peu changé notre façon de penser. Avant, on se disait toujours que l’accompagnement devait se faire à la demande des femmes, dans leur mouvement à elle. Désormais, on y va, au moins pour donner les informations. Après je n’insiste pas évidemment” précise-t-elle.
Des moyens insuffisants face à l’ampleur de la tâche
A l’heure où la parole s’est nettement libérée et où les violences faites aux femmes trouvent un écho plus fort dans la presse, le challenge pour l’association est chaque année le même : trouver des financements pour maintenir le niveau de service et l'exigence qu’impose l’accompagnement de situations aussi complexes et dangereuses. Pour rappel, deux femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint à Besançon, au début de l'année. En 2021, 113 femmes sont mortes sous les coups de leur compagnon ou ex.
“Globalement on a des financements qui baissent” prévient Anne Gainet. Ce constat est partagé par Eva Bronnenkant, co-présidente de Solidarité Femmes qui a elle même bénéficié il y a plusieurs années d’un groupe de parole mis en place par l’association : “L’accueil de jour se développe, le travail avec les enfants, tout ça est porté par les financements associatifs. On va devoir sûrement trouver des financements privés, du mécénat. On peut faire un appel aux énergies et aux volontés c’est sûr”.
Solidarité Femmes est financé en partie par des fonds publics, variables d’une année à l’autre, et conditionnés aux politiques mises en place en fonction des gouvernements. Elle reçoit également des petits dons d’associations ou de particuliers. “C’est super et c’est toujours ça de pris” rappelle Eva Bronnenkant.
La co-présidente alerte également sur les besoins en formation pour de nombreux acteurs : “Au niveau des financements ça tire plutôt vers le bas, il ne faut pas se mentir. Rien qu’au niveau national il faudrait débloquer 1 milliard d'euros. Il faut que ce soit une politique globale et nationale. Ce n’est pas juste que certains départements développent des choses et d’autres non, c’est trop disparate pour l’instant, analyse-t-elle. Les demandes n’augmentent pas forcément mais la parole se libère et les situations se complexifient. Les femmes viennent de plus en plus jeunes et on est en train de voir que le travail de prévention est énorme”.
Il faut aussi des moyens humains au niveau de la police et de la justice. Les magistrats à Besançon le disent aussi. Il faut des tribunaux dédiés à ces questions là, avec des gens formés sur le concept d’emprise notamment. Il faut renforcer la formation.
Eva Bronnenkant, co-présidente de Solidarité Femmes
Les choses se sont-elles améliorées en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes ? "Ça a bougé. Notre parole est un peu mieux entendue. Il reste encore des résistances, des gens qui peuvent dire ‘oh les hystériques, les féministes, elles s’emballent pour rien !’ Mais au niveau de la justice par exemple, cela a un petit peu bougé” note Elsa Mougin. Pour elle, plein de choses restent néanmoins à développer ou alors à améliorer “dans la pratique”.
Aurélie Bottex dresse elle aussi ce constat et cite des exemples concrets illustrant le manque de concordance entre ce que décide le juge aux affaires familiales (JAF) et les outils qui existent sur le territoire : “Par exemple, le passage de bras pour le droit de visite des enfants est de plus en plus médiatisé, c’est à dire réalisé en présence d’un professionnel pour qu’il n’y ait pas de rencontres entre les deux parents. Le lieu “La Marelle” fait ça à Besançon. Mais ce lieu n’est ouvert que le samedi. Ça marche pour l’aller, mais le retour du dimanche, il n’y a pas de solution alors les mères bricolent. Ou alors dans le jugement, le JAF met que l’enfant doit être ramené à sa mère ‘devant le commissariat’, mais le commissariat est fermé le dimanche…”
Le travail de l’association est évidemment étroitement lié aux décisions judiciaires. “Il y a la vérité judiciaire, et il y a la vérité. Et cela ne se croise pas toujours” selon Elsa Mougin qui rappelle qu’une plainte classée sans suite ne veut pas dire que les violences n’existent pas.
Le choc de l'assassinat de Razia Askari
Le dernier procès aux assises auquel a participé en seconde ligne l’association Solidarité Femmes, en se portant parties civiles, est celui de Rashid Askari, assassin de sa femme Razia. Il a eu lieu en décembre 2021. L’accusé a été condamné à 30 ans de réclusion criminelle. Rashid Askari, venu à Besançon pour retrouver son épouse, l’a sauvagement poignardée alors qu’elle bénéficiait pourtant d’une ordonnance de protection et qu’elle avait porté plainte à plusieurs reprises dénonçant les sévices qu’elle subissait. La mort de cette femme, survenu en octobre 2018, avait provoqué une véritable onde de choc.
Ses deux jeunes enfants, désormais orphelins de mère, étaient présents à ce procès marquant. Les avocats de l'accusé ont tenté de convaincre la cour que l’association Solidarité Femmes avait oeuvré hors cadre légal pour retirer les droits du père à voir ses enfants. Razia Askari avait bénéficié du dispositif de “mise en sécurité" proposé par la fédération nationale Solidarité Femmes. Cette ligne de défense a profondément dérangé les membres de l’association. C’est d’ailleurs l'une des raisons qui a convaincue les salariées de Solidarité Femmes, d’habitude plutôt discrètes, de nous ouvrir leurs portes quelques mois après le verdict.
“Pendant le procès, notre travail a été disséqué. Les avocats, et évidemment celui de la Défense, se sont adressés à un jury populaire, et je me suis dit que les gens ne savaient pas quel était notre métier. On a été beaucoup présentées comme des militantes, des bénévoles. Dans l’équipe salariée plus particulièrement on a eu besoin de redire que nous sommes des professionnelles, formées spécifiquement, et qu’on n’est pas hors la loi. Solidarité Femmes est financé par l’Etat, c’est une délégation de service publique” souligne Elsa Mougin. Sa collègue Aurélie Bottex poursuit : “On voulait rappeler qu’en effet, on n’est pas là pour que les pères n’aient pas accès à leur droit. On le fait dans un cadre légal. Il y a des outils qui existent comme les lieux rencontres pour qu’il y ait un maintien des liens entre les pères auteurs de violences et les enfants, dans un espace sécurisé et sécurisants pour tout le monde.”
"On a aussi besoin d'une volonté politique"
La dimension militante de l’association Solidarité Femmes est importante tant elle fait partie de son ADN et de son histoire. Dissocier les combats politiques des avancées majeures obtenues pour une meilleure protection et un meilleur accompagnement des victimes de violences conjugales n’a aucun sens, comme l’explique Eva Bronnenkant : “Au tout début, ce sont des femmes militantes qui ont dénoncé les violences. C’est comme ça que les choses bougent. On a aussi besoin d’une volonté politique et c'est le militantisme qui y contribue”.
“Et je tire mon chapeau aux femmes qui ont monté l’association quand les choses n’étaient pas du tout visibles. C’est elles qui ont mis le doigt dessus” conclut-elle, bien décidée à poursuivre ce combat débuté il y a plus de 40 ans maintenant.
* Les prénoms et les âges ont été modifiés pour assurer la sécurité de nos interlocutrices.
Informations pratiques
Pour joindre Solidarité Femmes en Franche-Comté : 03 81 81 03 90
Mail : chrs@solidaritefemmes25.org
3919 – N° d'écoute nationale, 7 jours sur 7, anonyme et gratuit
Permanence téléphonique :
Du lundi au vendredi de 9h30 à 12h30 et de 14h à 17h
sauf mardi et jeudi matin.
Horaires d’ouverture :
Accueil sur rendez-vous : lundi, mercredi, vendredi de 9h30 à 17h – mardi et jeudi de 14h à 17h.
Permanence sans rendez-vous (accueil de jour) : lundi, mercredi, vendredi de 9h30 à 17h.
Permanences décentralisées (une demi-journée par mois, sur rendez-vous) :
• Baume-les-Dames – le 2ième lundi du mois de 9h à 12h.
• Valdahon – le 3ième lundi du mois de 9h à 12h.
• Pontarlier – le 1ier mardi du mois de 14h à 17h.
• Morteau – le 4ème lundi du mois de 9h à 12h.
Permanence hebdomadaire au CHRU (les mardis après-midi, sur rendez-vous).