INÉDIT. Une thèse vous raconte ce qui s'est passé sous l'Occupation allemande à Besançon

L’universitaire Anne-Laure Charles vient de présenter ses recherches inédites sur la présence allemande à Besançon de 1937 à 1948. Pour sa thèse, la bisontine a exploité des archives allemandes et françaises. Un regard croisé inédit.

L’Histoire n’est jamais figée. Dans les bâtiments bien protégés des archives, dorment des kilomètres de documents encore inexploités. L’historienne Anne-Laure Charles a eu l’idée de « faire parler » ces cartes militaires, ces lettres, ces notes administratives, ces livres qu’ils soient allemands ou français. Objectif : mieux décrire et comprendre les relations entre les Occupés et les Occupants à Besançon. Des archives françaises et allemandes qui n’avaient jamais été exploitées ont révélé certaines informations méconnues. Un travail rendu possible grâce à sa maîtrise de la langue allemande.

Une histoire, "à part égale"

«Un doctorat, c’est un marathon et non un sprint, il faut tenir dans la longueur… ». L’avertissement de Marie-Claire Ruet, la conservatrice du musée de la Résistance et de la Déportation à la Citadelle de Besançon, s’est avéré particulièrement juste pour le travail de Anne-Laure Charles. Il lui aura fallu cinq années pour présenter sa thèse de 1200 pages et 15000 documents au jury réuni, sur place et à distance, ce mercredi 10 février à l’université de Besançon.

"Il manquait une monographie de Besançon à cette époque" précise Paul Dietschy, directeur de la thèse d’Anne-Laure Charles. Des recherches qui s’attachent à montrer les spécificités de la capitale de Besançon pendant une longue période : 1937, année marquée par deux rencontres franco-allemandes d’anciens combattants de 14-18 ( à Fribourg puis à Besançon) pour la paix, et 1948, date du départ des derniers prisonniers allemands de la Citadelle.

Et c’est un sprint de 3h30 qui s’est engagé dans l’amphithéâtre de l’Université de Franche-Comté. Impossible de vous retransmettre intégralement la richesse de cette thèse, « la moisson est impressionnante » reconnaît Olivier Wieviorka, membre du Jury et professeur à l’Ecole Normale Supérieur de Paris Saclay. « Une peinture exhaustive qui offre des éclairages inattendus » constate l’enseignant de l’ENS.

 

Voici quelques histoires intéressantes sur cette période de l’histoire bisontine 

 

  • Besançon, zone interdite

Dès la signature de l’armistice le 22 juin 1940, Besançon est située en zone occupée avec une particularité, la capitale bisontine est aussi en zone interdite. « Initialement, explique Anne-Laure Charles, les Nazis avaient prévu de rattacher Besançon au Reich. La ville devait devenir un territoire germanisé. Ce projet a été développé dans les années 40-41 avant d’être abandonné ». La situation géographique de Besançon, à la lisière de la zone occupée, fait de cette ville un lieu particulièrement intéressant à étudier. Qu’a fait l’Armée allemande à Besançon pendant l’Occupation ?

  • Des mesures antisémites précoces à Besançon 

Anne-Laure Charles a pu établir un comportement des militaires allemands à Besançon qui, jusqu’à présent, n’avait pas été révélé. Dans son chapitre « Besançon et l’antisémitisme », l’historienne raconte comment les Allemands présents à Besançon ont organisé une répression antisémite particulièrement précoce.

« Avant même que l’Armistice ne soit signé, les troupes de combat en place à Besançon, ont réalisé un état des lieux du patrimoine juif dans la ville. Ils ont même demandé à la Banque de France de bloquer les comptes détenus par des Juifs. La direction locale a consulté celle du siège Parisien qui elle-même interroge les autorités allemandes de la capitale. A Paris, il n’était pas question de geler ses avoirs. Un excès de zèle des Allemands à Besançon.

« Tandis que les troupes d’occupation ne sont pas encore officiellement installées à Besançon, les Allemands recensent déjà l’ensemble des biens appartenant aux Israélites de la ville. Il semble que cette démarche soit particulièrement précoce en France, puisque nous n’avons trouvé aucune autre ville soumise à des dispositions aussi rapides ».

L’universitaire poursuit plus loin son récit, basé principalement sur des archives du département du Doubs, de la Banque de France,`avec la découverte d’une « note éditée au sein de l’agence bisontine de la Banque de France ».

Elle indique que les « protestations faites auprès des autorités allemandes […] ont permis à la Délégation française de recevoir l’assurance que les mesures prises par la Feldkommandantur de Besançon dépassait les ordres donnés par l’administration supérieure allemande ».  

« Aussi, poursuit Anne-Laure Charles, ces mesures édictées exclusivement à Besançon et à Belfort, pour lesquelles le MBF (Commandant militaire allemand en France) a « exprimé sa surprise à l’initiative » prise par la FeldKommandatur de Besançon, n’ont pas à être appliquées.

« Pourquoi une telle initiative locale ? s’interroge l’historienne. Et pourquoi ces comptes Israélites sont-ils ainsi bloqués de manière si précoce, sans même que le MBF ne l’exige ? Il ressort d’après nos sources que « l’autorité allemande locale », soit probablement la FeldKommandatur 560, justifie cette mesure exceptionnelle par le « voisinage de la Suisse et la nécessité d’éviter la fuite de ces capitaux dans ce pays. »

Dans ce même chapitre, Anne-Laure Charles détaille la persécution des Israélites de Besançon. « Cinq grandes séries d’arrestations sont opérées dans la capitale comtoise au cours de l’Occupation allemande ».

  • Découvrir et décrypter la présence allemande 

Etre historienne, c’est accepter de passer des heures et des heures à des tâches ingrates avant de révéler des faits inédits.

Quelles étaient les forces allemandes en présence à Besançon pendant l’Occupation ? C’est l’accès aux archives allemandes qui a permis à Anne-Laure Charles d’en publier une présentation détaillée mais tout de même incomplète en raison d’absence de documents.

En allant aux archives militaires de Freiburg im Breisgau, Anne-Laure a pu reconstituer quelques éléments. Il lui a fallu trouver la signification de symboles dessinées sur des cartes d’Etat-major. Une sorte d’énigme pour les Escape Game.

Et c'est grâce au recueil franco-allemand, trouvé miraculeusement sur internet, que la jeune femme parvient à interpréter les sigles sur les cartes militaires allemandes. Un travail de concordance complexe « à se taper la tête contre les murs » raconte-t-elle. 

  • Jusqu'à 6.000 Allemands à Besançon en 1942 

Malgré toute sa ténacité, Anne-Laure n’a pu établir dans le détail la présence allemande que pour la période 40-42 et que partiellement pour les années 1943 et 1944. Au printemps 1942, pour une population bisontine d’environ 60 000 habitants, il y avait 6000 militaires allemands. 10% de la population.

Que faisaient-ils ? Pour savoir quelles étaient les forces allemandes à Besançon, Anne-Laure Charles n’a pas hésité à consulter les archives sur les mouvements des mille divisions d’infanterie et de montagne passées en France.

Outre la centaine de militaires de la Feldkommandatur, l’administration militaire allemande, le service de renseignement ( une quinzaine de personnes), il y avait des allées et venues permanentes de divisions d’infanterie. « Ils ne restaient pas plus de quelques mois » a pu établir l’historienne.

N’oublions pas la position géographique de Besançon, près de la frontière suisse, proche de la ligne de démarcation.

  • Le repos bisontin du guerrier allemand

Les militaires allemands venaient se former au tir, au combat en montagne grâce au camp du Valdahon. Besançon était aussi une ville où les fantassins germaniques se reposaient avant ou après les combats au front.

Cette fois-ci, ce sont des archives françaises qui ont révélé un pan méconnu de l’histoire bisontine. Un petit cahier conservé aux archives municipales. Il s’agit du livre d’or de l'un des foyers pour les soldats allemands, installé dans le bâtiment du Casino en face le parc Micaud. Il était tenu par des religieuses allemandes. Les dessins dans ce livre d’or témoignent des moments de détente à Besançon.

Ce livre d’or décrit dans la thèse est «Orné de nombreux mots, poèmes, partitions de musique ou encore illustrations relatant le bon temps passé par les diverses troupes en transit, venues chercher détente, divertissements ou repos, et ayant vraisemblablement trouvé une Heimat de substitution dans ce foyer bisontin » ,

Voici un des poèmes illustré du soldat Niemann. Il écrit, en mars 1942, ce poème en Allemand, traduit par Anne-Laure Charles :

Une commission d’examen (équestre) était invitée à Besançon, Elle a joui au Soldatenheim de bien de quelques heures de repos On connaissait déjà quelques lieux Mais c’était là pour nous la plus belle récompense Quand nous avions faim ou froid On pouvait y trouver à profusion repas et boissons Ce type d’endroit était élu pour nous, trouffions, Et un peu de notre patrie en terre ennemie.

Soldat Niemann

 

Autre distraction, les maisons closes. Il y en avait plusieurs à Besançon. A Battant, pour les soldats, et rue des Fontenottes, pour les Officiers.

Juste à côté de la villa cossue du quartier de la Mouillère, une autre maison abritait une activité beaucoup moins connue que le lupanar… Un Institut pour apprendre l’allemand dans la villa requisitionnée à Louis Tribaudeau,. Il ne fallait pas se tromper de villa !

  • Quand les Bisontins apprennaient la langue de l'ennemi

Et les civils franc-comtois que faisaient-ils pendant l’Occupation ? Parmi les centaines de pages de la thèse décrivant leurs activités, voici un focus sur cet Institut Allemand de Besançon. Et c’est à Berlin qu’Anne-Laure Charles a trouvé ce qu’elle cherchait.

En 1944, il y avait quinze instituts de ce type en France.

« Le Petit Comtois annonce le 18 mai 1941 la fondation de l’Institut allemand de Besançon, raconte l’historienne, et informe ses lecteurs que les activités principales de cet organisme consisteront à l’enseignement de cours d’allemand, en conférences sur la littérature, l’architecture et la musique allemande, ponctuées également de concerts exécutés par des artistes allemands. Les cours, ouverts à tout bisontin « de race aryenne sans distinction d’âge », auront lieu dès le 26 mai l’après-midi et en soirée, sur inscription, et contre la somme de 20F par mois.
Selon son directeur, l’Institut se veut une « oeuvre de collaboration intellectuelle tout à fait indépendante de la guerre. Il s’efforce, par son activité, de favoriser la connaissance mutuelle entre les peuples. Il est donc essentiellement une oeuvre de paix. »

Le Dr Zlabinger déclare au cours de son allocution que les relations franco-allemandes ont toujours eu à Besançon « un foyer favorable » et se réjouit de pouvoir contribuer à « la plus grande oeuvre qui compte : la création de l’Europe. »


Pendant plus de trois ans, des centaines d’élèves s’inscrivent à l’Institut allemand bisontin, qui propose alors différents cours adaptés au niveau de chacun. La majorité sont des écoliers, des lycéens ou des étudiants. Il y a autant d’hommes que de femmes, sans profession ou exerçant un métier dans le tertiaire.

Malheureusement, Anne-Laure Charles n’a pas pu établir les raisons qui poussaient ces Bisontins à apprendre la langue de l’Occupant. « Quel rapport ont-ils à l’Occupation, à la domination du Reich ou même à l’idéologie nazie ?  Volonté spontanée, nécessité professionnelle, influence, suggestion voire pression : nous ne disposons malheureusement pas de témoignages permettant de comprendre les diverses motivations qui poussent alors les Bisontins à s’inscrire à l’Institut. »

Cette thèse est une mine d'or pour le musée de la Résistance de Besançon 

Une thèse, c’est une porte ouverte vers d’autres découvertes. Qui sait, dans quelques années, un autre thésard rebondira sur l’une des pistes laissées en jachère par Anne-Laure Charles. Son travail va rapidement révéler son utilité. Le musée de la Résistance et de la Déportation de la Citadelle de Besançon est en train de monter une nouvelle présentation de sa collection permanente. La thèse d’Anne-Laure Charles est « un substrat très utile, un apport très utile pour la connaissance de cette période de Besançon » précise la conservatrice du musée, Marie-Claire Ruet.

Une boucle est bouclée. C’est en travaillant à la Citadelle de Besançon en tant que guide-conférencière que cette envie de recherche est née. La rencontre avec des visiteurs allemands a été décisive. Certains d’entre eux avaient un souvenir bien particulier de la Citadelle, ils y avaient été prisonniers après la défaite de l’Allemagne nazie. Un épisode qui n’était mentionné nulle part dans la forteresse de Vauban. Des pierres qui avaient hébergé d’autres drames. A la Citadelle, cent Résistants ont été fusillés par les Nazis. Quatre poteaux, installés après la guerre, témoignent de ces événements tragiques. C’est seulement après les premiers travaux d’histoire de Anne-Laure Charles qu’il est désormais officiellement  mentionné que des Allemands ont été prisonniers dans la forteresse conçue par Vauban. Ils étaient environ 6000 à avoir été en captivité à Besançon de la Libération à 1948. L’historienne a poursuivi ses recherches avec toujours cette ligne de mire en tête : produire une «histoire à part égale ».

Résumé de sa thèse par Anne-Laure Charles

"À la fin des années 1930, Besançon est une ville moyenne du quart nord-est de la France, peuplée de 60 000 habitants, dont l’économie repose principalement sur l’industrie horlogère, mécanique et textile. Ce potentiel productif est exploité dès l’été 1940 par l’occupant allemand, qui a pris la ville sans avoir - ou presque - à combattre. Située en zones occupée et interdite, placée aux portes du Reich, Besançon est dès lors contrôlée par des dispositifs militaires, administratifs et policiers allemands parfois concurrents. S’ils ne sont pas toujours identifiables ni quantifiables, ces services appliquent en tout point, avec une aide autochtone certaine, une surveillance des administrations, une répression précoce à l’encontre des Israélites ainsi qu’une lutte implacable contre toute atteinte à l’ordre et à la sécurité des forces d’occupation. Bien que les relations entre occupés et occupants demeurent tout au long de la guerre « cordiales », un profond sentiment antiallemand domine l’opinion publique bisontine. Le rétablissement des valeurs et de l’ordre républicains ainsi que la prise en charge de milliers de prisonniers de guerre constituent pour la municipalité un enjeu essentiel à la Libération, en septembre 1944, tandis que la mémoire de cette guerre prend progressivement, dans les décennies qui suivent, une place importante dans la toponymie et dans la vie muséale bisontine. "

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