"On ne justifie et n'excuse pas leurs actes" : ce foyer accueille les auteurs de violences conjugales et lutte contre la récidive

Pour la journée des violences faites aux femmes, nous avons visité le foyer Altérité, à Besançon (Doubs). Un endroit qui accueille les auteurs de violences conjugales et lutte contre la récidive dans le Doubs. Anouchka Vullo et Caroline Bellaud, psychologue et assistante dans la structure, reviennent sur le fonctionnement de l'accompagnement.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Dans un lieu tenu secret, au cœur du centre historique de Besançon, des auteurs de violences conjugales sont accueillis. Le foyer Altérité prend en charge deux types de profils : des personnes qui sortent de garde à vue, placées sous contrôle judiciaire dans l’attente de leur procès, et des auteurs déjà condamnés et bénéficiant d’un aménagement de peine.

Si le placement se fait sur décision de justice, certaines personnes, une fois l’audience passée ou la mesure de placement extérieure terminée, souhaitent poursuivre leur accompagnement. Mais peu de personnes viennent de leur propre gré. "Lorsque l’on se dirige vers un service comme le nôtre, cela signifie que l’on s’identifie déjà comme une personne violente", souligne Caroline Bellaud, assistante sociale de la structure.

Protéger les victimes de violences

Altérité ne propose pas seulement un logement pour les auteurs de violences conjugales, mais aussi et surtout un accompagnement psychosocial vers la prise de conscience, assuré par Anouchka Vullo, psychologue et Caroline Bellaud.

L’idée est de pouvoir les accompagner pour éviter la récidive. On est surtout là pour parler des violences, pour qu’ils essayent de comprendre ce qu’il s’est passé et éviter que cela ne recommence.

Anouchka Vullo, psychologue à Altérité

Leur mission principale est de protéger les victimes de violences et faire en sorte que le contrôle judiciaire soit respecté. Les professionnelles sont là pour compléter les mesures mises en place par le tribunal. Pour aider les auteurs à comprendre comment ils sont arrivés à ces violences, et quelles conséquences cela peut avoir sur leur conjoint et l’environnement familial.

Pour y parvenir, Anouchka et Caroline assurent un suivi individuel de chacun d’eux, chaque semaine. Certaines thématiques sont abordées en groupe, avec des ateliers collectifs qui viennent compléter la prise en charge individuelle. Sébastien Girin, directeur adjoint de la structure, considère qu’ils font face à des personnes qui "ont eu recours à la violence dans une situation particulière", et non à des "personnes violentes".

"On va chercher avec eux les facteurs internes, externes, relationnels, qui ont fait qu’ils ont eu recours à la violence, et comment on peut travailler sur des facteurs de protection pour éviter que cette situation ne récidive" continue-t-il. Pour compléter ces propos, Anouchka Vullo souligne que bien souvent, s’ils en arrivent là, la souffrance en est la cause principale, et non le plaisir.

"Pour certains, la violence a une vraie fonction"

Pour accompagner ces personnes, Anouchka et Caroline commencent par apprendre à les connaître. "Souvent, ils se sentent juger dès le début. Alors, on explique que pour les aider à comprendre, on a besoin de savoir qui ils sont, avant de savoir ce qu'ils ont fait, et qu'on fait la part des choses entre les deux".

On est ni pour, ni contre qui que ce soit, on a une position neutre extérieure qui nous permet aussi d'analyser les choses.

Anouchka Vullo, psychologue à Altérité

À chaque personne son suivi. Adaptation et individualisation du parcours sont les maîtres mots des deux professionnelles. Si l’auteur présente des problématiques addictives, une orientation spécialisée peut être mise en place.

Les deux femmes analysent également la situation pour voir si cette addiction fait partie du tableau du passage à l’acte, ou non. Retracer le parcours familial, analyser si la violence était présente dans les précédentes relations amoureuses, voir si certains ont eux-mêmes été exposés à la violence durant l’enfance, comprendre leur définition de la violence, où elle se situe et quelle fonction elle a.

Certains utilisent la violence comme une vraie fonction, pour se faire respecter, pour être valorisé…

Caroline Bellaud, assistante sociale à Altérité

"Dans ce cas, on essaie de leur montrer qu’il y a d’autres manières de faire, qui ne sont pas forcément moins bonnes, et qui pourraient peut-être amener à moins de conséquences négatives", illustre la psychologue, ajoutant qu’il est important que l’auteur se rende compte que ces actes apportent des conséquences dommageables.

"Nous n'excusons et ne justifions pas les faits des auteurs"

Pour pouvoir faire ce travail, Anouchka et Caroline sont dans une approche motivationnelle, en engageant les personnes dans une perspective de changement. "Est-ce qu'eux, ils ont envie de rester dans cette situation-là, ou ont-ils envie d'en sortir ? Ils sont toujours au centre de leur accompagnement, on les rend acteurs."

Caroline Bellaud évoque cependant un point important. Certains, qui comprennent la situation, restent dans le déni. "Ils craignent davantage le changement et souhaitent rester dans un système dans lequel ils ont l’habitude d’être depuis un certain temps, souligne Caroline. "Ça fait peur de se dire "je vais essayer de faire autrement, mais je ne sais pas à quoi m’attendre". Même s’ils souffrent d’une certaine manière, ils maîtrisent ce système." Pas toujours évident, donc, de le quitter.

Pour arriver à une libération de la parole et une compréhension des événements, l’assistante sociale et la psychologue créent des conditions pour que les auteurs ne se sentent pas jugés, "sans pour autant justifier leur acte".

On peut s'imaginer que quand on offre un espace de parole comme ça à des auteurs de violences, c'est pour essayer de justifier ou d'excuser ce qu'ils ont fait. Ce n'est pas ça.

Caroline Bellaud, assistante sociale à Altérité

Prendre en compte le contexte

Travailler sur leurs valeurs, leurs représentations, leurs émotions… En clair, tout faire pour comprendre et éviter que cela ne se reproduise. Cependant, les deux professionnelles tiennent à souligner que dans certains cas, les contextes sont à prendre en compte. Caroline Bellaud détaille qu’elles ont déjà eu à accompagner des personnes exilées. Dans leur pays, tout allait bien dans le couple. Puis, obligées de fuir pour se protéger, elles se retrouvent en France, où ça ne se passe pas comme elles l’avaient envisagé. 

Le contexte peut aussi amener à une explosion de violence dans un cas particulier où ça n’avait jamais existé.

Caroline Bellaud, assistante sociale à Altérité

Anouchka continue dans la même lignée, prenant l’exemple de couples ensemble depuis une quarantaine d’années, dont le passage à la retraite est un grand chamboulement qui vient déséquilibrer la relation du couple. À ce moment-là, les violences peuvent s’inviter alors que pendant toute leur vie commune, elles n’avaient jamais existé.

Et puis il y a ceux dont la violence s’est installée dès le début dans la relation. Elle précise également que beaucoup arrivent en disant "on se disputait comme tous les couples". "Est-ce normal quand on commence à s’insulter, à rabaisser l’autre ?" demande alors Caroline à ses patients.

Il y en a beaucoup pour qui les violences conjugales, ce sont les violences physiques d’un homme envers une femme. Et s’ils ne rentrent pas dans ce cliché, ils ne se sentent pas concernés.

Caroline Bellaud, assistante sociale à Altérité

Commence alors un travail de déconstruction autour de la thématique. Mais ce n’est pas le seul. Pour Anouchka, il est aussi important d’avancer sur l'idée que l’on peut tous être concernés, et que l’on peut traiter cela avant que la situation ne devienne violente.

Prévenir la récidive

En moyenne, l’accompagnement dure quatre à cinq mois. Se pose alors la question de la récidive. Une réponse à laquelle il est impossible de répondre, faute de chiffres. Selon les professionnelles, en cas de récidive, il est important de connaître les circonstances et le degré de récidive.

Elles pensent à un homme qui avait adhéré à la prise en charge. Il avait une problématique addictive au niveau du couple. "On a traité l’addiction en majorité et il y a eu un retour à domicile après l’audience. Trois ans après, il y a eu une rechute de la consommation d’alcool suite à une rupture avec leur fils et il est retombé dans les mêmes travers." S’il y a eu récidive, elles estiment tout de même que le degré est moins important que lorsqu’il a été condamné pour les premiers faits.

La nécessité d'une prévention précoce

Pour Anouchka et Caroline, pour que les choses changent, il faut que la prévention commence très tôt, dès le lycée, voire dès le début des relations amoureuses. Les deux femmes soulèvent un autre problème : le financement. Avec une coupe budgétaire au-dessus de la tête, elles s’interrogent sur la place de l’accompagnement des auteurs. Pourtant, ce qu’elles savent, c'est que "sans auteurs, il n’y a pas de victimes".

► À LIRE AUSSI : "Il s'arrêtera quand vous serez morte", victimes de violences conjugales, ces jeunes femmes racontent

Elles estiment que leur travail d’accompagnement des auteurs est complémentaire à celui effectué avec les victimes. "C’est trop simple de se dire qu’une personne violente va en prison, qu’il est puni, et que la victime et les enfants vont pouvoir se reconstruire sans lui" estime Caroline.

Comment on peut permettre à ces personnes de reconstruire un lien, une relation, qui est plus saine et sans violence ? On a résolu le problème un certain temps, mais sur le long terme qu'est-ce qu'on montre aux enfants ?"

Caroline Bellaud,

assistante au foyer Altérité

Pour elles, les sanctions très restrictives, sans accompagnement, ne sont pas une solution et peuvent engendrer plus de dégâts qu’autre chose. L’éviction de l’auteur de violences à elle seule n’est pas possible.

Pour illustrer ce dernier point, elles se souviennent d’un homme, sans famille, sans argent, qui a dormi dans sa voiture durant trois mois. "Au bout d’un moment, sa femme lui a dit de rentrer à la maison. Ça reste sa femme avant d’être une victime. L’éviction du conjoint, ça ne peut pas suffire, ça ne peut pas marcher". Pour que cela le soit, il faut que chacun soit pris en charge pour prendre le temps de réfléchir à la situation. 

Le dispositif, né en 2019, dispose de 15 places pour accueillir les auteurs, pour une durée moyenne de quatre à cinq mois. Onze sont placés dans cet immeuble de trois étages, d’autres dans quatre studios au cœur de Besançon.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information