Comment la justice s'améliore pour prendre en charge les femmes victimes de violences ? Quels dispositifs sont mis en place pour les accompagner ? Christine de Curraize, procureure adjointe au parquet de Besançon dans le Doubs répond à toutes ces questions.
Depuis le 1ᵉʳ janvier 2024, des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales (Vif) sont en place dans les tribunaux judiciaires. L’objectif affiché est de mieux détecter les violences intrafamiliales, mieux prendre en charge les victimes et mieux les protéger. Christine de Curraize, procureure adjointe au parquet de Besançon, détaille également que cette directive nationale permet de "décloisonner afin de permettre un meilleur échange d’informations au sein d’une même juridiction, tout en respectant le rôle de chacun". Elle explique qu’avant, les informations pouvaient mal circuler entre les différents interlocuteurs.
Des dispositifs pour accompagner au mieux les victimes
Une autre préconisation nationale est le regroupement des audiences consacrées aux violences familiales, un lundi par mois, avec les six affaires les plus sensibles. "L’idée est que la victime soit mieux prise en charge, avec la possibilité de bénéficier d’une assistance France victimes. Cette préconisation permet également de positionner des magistrats plus sensibilisés à cette matière", décrit la procureure adjointe. Elle ajoute que cela évite que ce genre de dossier ne soit jugé au milieu d'autres délits comme un vol. "On entre dans une sphère de l’intimité, où on juge une période de vie entière, insiste Christine de Curraize. C’est donc mieux d’avoir une audience fichée Vif." Cependant, elle voit un inconvénient à cette mesure : le fait que certains peuvent comparer et minimiser leur acte durant l’audience.
Pour améliorer la prise en charge des femmes victimes de violence, la procureure adjointe assure que de nombreux dispositifs ont été mis en place. D’abord, elle explique que, systématiquement, des accompagnements par l’association France victimes sont proposés, et dès lors que la plainte est déposée, une intervenante sociale peut être positionnée – par exemple lors d’un besoin de quitter le logement. Aussi, une évaluation des situations est faite afin de mettre en place des dispositifs de protection. Pour illustrer ce propos, la procureure adjointe précise que 26 téléphones grave danger ont été attribués, contre deux initialement. "Il y a tout un panel de dispositifs mis en place pour répondre aux différentes attentes des victimes, en plus des réponses pénales", ajoute-t-elle.
Sans preuve, pas de condamnation
Lors de notre échange, Christine de Curraize souligne que, concernant tous les derniers homicides commis dans le Doubs, aucune plainte n’avait été déposée. "Une femme victime ne va pas toujours déposer plainte, et il n’y a pas non plus toujours d’antécédents avant un passage à l’acte", insiste-t-elle. Elle souligne également que lorsqu’une plainte est déposée, il faut qu’il y ait une preuve.
Il n’y a pas toujours de certificat médical, ni de traces. Pourtant, sans preuve, il n’y a pas de condamnation pénale. C’est une garantie de notre démocratie.
Christine de Curraize, procureure adjointe au parquet de Besançon
Elle énumère les situations dans lesquelles les victimes ne disposent pas toujours de preuves. Parfois, elles ne portent pas plainte tout de suite "et un an après, les traces de coups ne sont plus là", elle précise également que pour les violences psychologiques, dans un endroit intime comme le logement, les preuves se font plus compliquées. "La femme victime de violences n’est pas toujours la femme au coquard. Les bousculades, les cheveux tirés… des violences qui ne laissent pas de traces physiques, c’est plus difficile à prouver, et ce n’est pas aussi discriminant qu’un œil au beurre noir", développe Christine de Curraize.
En revanche, dès lors que le parquet dispose d’éléments suffisamment probants, une réponse pénale est toujours apportée, assure la procureure adjointe. Elle ajoute même que dès que des signaux sont forts, comme l’intensité ou le caractère répétitif, il arrive qu’une réponse pénale soit immédiate à l’issue d’une garde à vue.
Celles qui ne portent pas plainte
Même s’il n’y a pas toujours de preuves, la procureure adjointe met en lumière le travail d’enquête qui a beaucoup évolué. "Il y a un temps plus important consacré à l’enquête, pour récupérer des preuves indirectes, auprès du voisinage, de l’entourage…”
À Besançon, un service d’enquête s’est développé, avec la création d’une brigade spécialisée contre les violences intrafamiliales, depuis mai 2024. Elle intervient sur tout le département du Doubs, à l’appel des brigades de gendarmerie ou des services judiciaires.
Elle évoque également le fait que, fréquemment, il y a des condamnations alors que la victime n’a jamais donné suite à sa plainte, ou qu’elle refuse de déposer plainte. Christine de Curraize met sur la table qu'une victime de violences conjugales ne réagira pas de la même façon qu'une personne agressée par un inconnu. Pour illustrer son propos, la procureure adjointe revient sur une histoire qu'elle a vécue. Une jeune femme qui avait une lésion du rein refusait de déposer une plainte contre son conjoint, et refusait de dire que c’est lui qui l’a frappée. Selon elle, elle est tombée dans l’escalier alors que ça ne corrobore pas avec la lésion. "On a une victime, vent debout, qui dit qu’il ne s’est rien passé. Le jour de l'audience, une fois son conjoint condamné, elle est venue dire que c’était vrai", se souvient encore la procureure adjointe.
Nous apportons une réponse pénale à une personne au comportement dangereux, et nous nous battons parfois contre la victime elle-même.
Christine de Curraize, procureure adjointe au parquet de Besançon
La formation pour un meilleur accompagnement des victimes
La parole des victimes se libère depuis quelques années, mais les professionnels sont également mieux formés pour comprendre et décoder ce contentieux. Christine de Curraize précise que ces dernières années, une avancée est évaluée sur cette problématique. Même s’il y a des choses à parfaire, elle souligne que le service d’enquête et la justice sont mieux formés. En somme, il y a une meilleure prise en compte et une meilleure priorisation de ce contentieux. “On essaye de balayer au maximum les situations pour éviter des drames. On fait au mieux pour avoir des dossiers construits, pour apporter réponse pénale en assurant un meilleur accompagnement des victimes, en prenant aussi en compte l’aspect social.”
Pour illustrer ces propos, quoi de mieux qu’un chiffre. En 2017, il y a eu 148 jugements pour violences conjugales, contre 384 en 2023, à Besançon. Soit une augmentation de 159 %.