"On savait très bien que rouvrir le 20 janvier serait impossible" : le désespoir d'un restaurateur de Besançon

Dans son plan de déconfinement progressif, le 24 novembre 2020, le gouvernement prévoyait une réouverture des bars et restaurants le 20 janvier. Celle-ci est finalement repoussée, au grand regret des professionnels concernés. Nous avons rencontré le gérant du Green Man, un établissement bisontin.

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Il est 11 heures ce lundi 4 janvier. A Besançon, le centre-ville est calme, les quelques rayons de soleil ne parviennent à réchauffer ni l'atmosphère hivernale qui transit la rue, ni les esprits. L’amertume règne, et ce n’est pas Eddie Badache qui dira le contraire. Au Green Man, ce bar restaurant de la rue Pasteur, la terrasse est inexistante comme chez tous les autres restaurateurs, la vitrine sombre et le téléphone, silencieux. 

On savait très bien que vu ce qu’il se passe le 20 janvier, ce ne serait pas possible.

Eddie Badache, gérant du bar restaurant The Green Man 

Le patron de l’enseigne bien connue des riverains a entendu la rumeur, puis appris la nouvelle : la réouverture des bars et restaurants prévue le 20 janvier par le gouvernement est reportée sine die. Ils devaient être les derniers à pouvoir accueillir de nouveau leurs clients, ce qu’avait annoncé Emmanuel Macron lors de son allocution du 24 novembre 2020. Alors que 2021 débute tout juste, l’horizon s’embrume, une fois encore. 

Après bientôt 6 mois de fermeture cumulée depuis le 15 mars 2020, Eddie Badache ne sait plus à quoi s’accrocher. Annonces contradictoires, consignes improbables, espoirs déçus, l’épidémie de Coronavirus lui a sappé le moral.Adossé contre le mur, sur une des tables vides, près de la cheminée, il songe à tous les efforts fournis, en vain :" On a fait tout pour que les gens ne se côtoient pas, on a fait des travaux, on a espacé les tablesEt puis du jour au lendemain, on nous ferme. Et c’est la deuxième fois." 

Ca fait 8 ans qu’on est là, on avait une belle trésorerie, et elle est en train de partir en fumée. 

Au Green Man, une affaire qu’il a repris à l’été 2013, les clients sont fidèles et les comptes, bien tenus. Mais aujourd’hui, ces économies patiemment constituées sont menacées. " On fait 300 000 euros de chiffre d’affaire annuel, on a perdu à peu près 250 000, donc on est en train de puiser dans les réserves. Ca fait 8 ans qu’on est là, on avait une belle trésorerie, et elle est en train de partir en fumée. "  

 

 

Tenir la tête hors de l’eau 

 

Le Green Man a souscrit, comme de nombreux établissements, un prêt garanti par l’Etat. " C’est une bonne chose, mais il faudra qu’on rembourse. C’est sans fin. Fin février, on va taper dedans. On va arriver à 60, 70 000 euros de perte de trésorerie. A un moment il faudra bien que l’état fasse quelque chose ", souffle Eddie Badache. 

L’établissement est aussi éligible au fonds de solidarité en vigueur depuis le 1er décembre 2020. " On touche 10 000 euros, mais on a les murs, le fonds à payer, c’est dérisoire. Les salaires sont versés, mais après il y a les charges. Ces charges là il faudra bien qu’on les paye un jour. Ça va encore plus nous plomber. "

Le personnel travaille autant que faire se peut. En août 2020, un des salariés a été licencié. Depuis, les deux restants sont en chômage partiel, et les trois apprentis du Green Man effectuent leur année en pointillés, l’école ayant été fermée. Une situation intenable pour Eddie Badache, cuisinier de métier et passionné par son travail.  

Vous imaginez, on fait 15, 16 heures par jour, et on vous dit du jour au lendemain « Vous fermez votre établissement ». On aime les gens, on aime recevoir. Une fermeture comme ça c’est dur. Ça devient très très compliqué, moralement, physiquement. 

A quoi bon rester ouvert, pourrait-on se dire ? " Fermer un établissement comme le mien, ce serait pas plus mal : je ne perdrais pas d’argent, reconnait Eddie Badache. Mais maintenir une activité, c’est aussi garder un précieux socle de clients. Pour moi c’est primordial de rester ouvert. On ne fait pas des mille et des cent, mais pour le peu qui viennent, ils savent qu’on est là. C’est important." 

 

La vente à emporter, mise à mal par le couvre-feu 

 

Le Green Man a commencé la vente à emporter après le second confinement, à l’automne. Un créneau qui ne s’improvise pas, assure le gérant. " Nous on ne fait que du frais : des frites fraiches, on fait notre pain…" Alors tout mettre en barquette, c’est péniblement faire honneur à cette cuisine maison.  

Notre métier, c’est servir, les mettre à table, servir les gens. Faire de l’emporté, c’est pas notre boulot. On le fait mais on ne gagne pas notre vie avec ça. 

La pizzeria L’Antr’act, à Besançon, proposait déjà la vente à emporter avant l’épidémie de Covid 19. Mais le couvre-feu, instauré en décembre 2020 et avancé à 18h ce samedi 2 janvier 2021, a rebattu les cartes. " A part ouvrir à 17h et essayer d’avoir un peu de monde à la sortie du travail, il n’y a pas grand chose à faire. C’est une semaine test, on va voir si ça marche, mais je ne pense pas que ça prenne énormément. ", lâche Romuald Garozzo, gérant de la pizzeria. Certains clients s’adaptent, selon lui, mais globalement ils " n’ont pas spécialement envie de prendre des plats à 17h. Beaucoup sont décus, ils sortent à 18h30/19h du boulot. "  

Ce sont des gens qui ont travaillé toute leur vie, et d’un seul coup on leur met la tête sous l’eau 

Eddie Badache

Et le contenu du tiroir-caisse s’en ressent : " On perd facile 40 à 50% du chiffre. Et c’est la moitié de pas grand-chose ", soupire Romual Garozzo. En conséquence, la moitié des six salariés sont en chômage partiel. " On s’adapte... depuis bientôt un an. J’ai un ami qui ne travaillait que le soir, il est obligé de fermer. " 

 

Une douzaine de fermetures définitives dans le Doubs

 

Eddie Badache, du Green Man, s’inquiète lui aussi pour les autres établissements. " Tout est fermé donc difficile de savoir qui s’en sort. Les collègues qui n’ont pas une trésorerie saine, qui viennent de commencer, ils sont mal. Ce sont des gens qui on travaillé toute leur vie, et d’un seul coup on leur met la tête sous l’eau. " D'ores-et-déjà, le président de l'Union des métiers de l'industrie hôtelière du Doubs, Philippe Feuvrier, déplore " une douzaine " de restaurants en cessation d'activité dans le département. De plus, selon lui, la moitié des entreprises de restauration ont entamé 50% de leur prêt garanti par l'Etat. Désormais, assure-t-il, c'est la solvabilité des entreprises qui est en jeu : "Les banques ne veulent plus assurer la profession. Notre profession est massacrée."

"Le sentiment qui prédomine c’est le pessimisme, confirme Sarah Fassot-Gauthier, co-gérante de l'Ephemeride, un bar restaurant bisontin situé sur la place de la Révolution. On se dit qu’on ne rouvrira pas avant le printemps. On a été tellement déçus qu’on préfère voir loin, histoire d’être le moins déçus possible. " Fatalistes, Sarah Fassot-Gauthier comme Eddie Badache demandent juste un cap, une date à laquelle se fier. Seul espoir permis en ce début d'année, la vaccination. 

On se dit qu’on est vraiment la dernière roue du carrosse, c'est lassant. C’est le fait de ne pas avoir de perspective qui est le plus dur.

Sarah Fassot-Gauthier, co-gérante de l'Ephemeride

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