"On touche aux limites des capacités humaines" : le quotidien de Manon Bohard, championne de l'ultra-trail et vainqueure de la Diagonale des Fous

En octobre 2024, Manon Bohard remportait la terrible Diagonale des Fous, ultra-trail de 175 km conclut en plus de 31h de course. Enfance, famille, entraînement physique et mental, doutes, blessures et grandes victoires... La sportive revient en longueur et avec franchise sur son histoire et son quotidien extrême.

Le fort de Bregille, un matin d'automne 2024. On espérait du soleil, mais c'est le brouillard qui nous accueille sur les hauteurs de Besançon (Doubs). Voilà le lieu où Manon Bohard nous a donné rendez-vous. Un endroit symbolique pour l'ultra-traileuse de 33 ans.

C'est en effet ici que la Franc-comtoise a effectué ses premiers entraînements dans une discipline, la course en extérieur longue distance, dont elle est devenue reine. Son couronnement est tout récent : le 19 octobre dernier sur l'île de la Réunion, elle remporte la Diagonale des Fous, course mythique de 175km qu'elle achève en 31 heures, 49 minutes et 55 secondes.

Un "côté exploratrice" forgé durant l'enfance

L'exploit est dantesque, la performance majuscule. Le nom de Manon Bohard dépasse les frontières du petit monde de l'ultra-trail pour se répercuter aux oreilles du grand public. Mais la carrière de la trentenaire ne se résume pas à cela. Depuis 2016, Manon arpente ainsi les chemins du Doubs et, au fil des années, s'est déjà construit un beau palmarès dans une discipline qu'elle nous explique ainsi :

Le trail, c'est courir sur des sentiers naturels, avec des cailloux, des racines, des prés, en montagne, en forêt. On s'adapte à son environnement avec souvent un fort dénivelé. On est aussi en autonomie avec son matériel, qu'on doit gérer. Moi, c'est de l'ultra, au-delà de 80-90km.

Manon Bohard

Elle le dit, son sport "touche un petit peu aux limites des capacités humaines". Pourtant, on peut dire que Manon y était prédestinée. Elle, la jeune fille "un peu sauvage" élevée "en moyenne montagne" dans l'auberge tenue par ses parents. "J'ai toujours vécu avec des randonneurs. Mon terrain de jeu c'était l'extérieur, où je jouais beaucoup. J'allais à l'école à vélo, à pied ou en ski, ça m'a forgé un côté exploratrice, que je retrouve dans le trail".

Alors que son papa Patrick performe déjà dans le trail, la jeune Manon découvre pourtant la discipline sur le tard. "J'ai fait d'autres sports, comme le ski de fond ou le judo" confesse-t-elle. "C'est lorsque je me suis installée à Besançon après mes études de diététicienne que j'ai vraiment découvert la discipline avec un groupe de copains. Mais au départ, j'y allais surtout pour boire des bières à la fin".

Se construire un corps capable d'encaisser

Avec les courses qui s'enchaînent, Manon Bohard se découvre petit à petit "un esprit de compétitrice" et un vrai potentiel, alors qu'elle travaille à temps plein en tant que diététicienne. Nous sommes en 2019, Manon s'entoure d'un staff performant, commence à s'inscrire à de plus en plus de trails nationaux et internationaux, et à allonger les distances petit à petit.

Son premier trail, où elle "galérait sur 18 km", n'est bientôt pour elle "plus qu'un échauffement". Rigueur, régularité, dépassement de soi, force mentale et nutrition sont ses maîtres mots dans un quotidien réglé comme du papier à musique, entre sport et emploi. Nécessaire, quand on court régulièrement des centaines de kilomètres et des dizaines d'heures d'affilée.

J'ai dû me construire un corps qui peut et veut endurer ces longues distances. Avec surtout un objectif : durer dans le temps, car c'est ce qui est le plus dur.

Manon Bohard

La progression est fulgurante : en 2021, Manon Bohard remporte la TDS (Trace des Ducs de Savoie), une course mythique de l'ultra-trail, longue de 145 km. Chose rare, son père Patrick avait lui-même gagné cette course en 2023. Un doublé familial historique qui fait définitivement passer Manon dans la cour des grands traileurs internationaux.

La Diagonale des Fous : du plaisir et beaucoup de souffrances

S'ensuivront des sélections en Équipe de France couronnées par des titres de championnes du monde par équipes, des désillusions, comme ces blessures qui ont gâché son dernier ultra-trail du Mont-Blanc, mais aussi des grandes joies, caractérisées par cette victoire sur la Diagonale des Fous, "un rêve" pour l'athlète ponctuée de "plaisir" mais aussi de "beaucoup de souffrance".

Dans un long entretien, Manon Bohard revient avec nous sur sa vie, son parcours, son lien avec son papa Patrick, mais aussi la relation qu'elle entretient avec son sport, entre travail physique et mental. Récit de sa victoire à la Diagonale des Fous, réflexion sur la balance compliquée entre ses pratiques sportives et professionnelles, place des femmes dans l'ultra-trail et impact écologique de sa pratique. L'athlète n'élude aucun sujet pendant plus de 40 minutes de discussions.

Une interview préparée par Antoine Comte, avec la complicité de Philippe Héritier, Joé Gutleben, Bruno Pardillos, Jean-Philippe Perret, Christele Theodore et Pierre Mayayo.

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