"Je suis enchaînée à un fauteuil roulant" : le combat de Christelle Grecea pour sa fille Jade, polyhandicapée après une hospitalisation

Le 10 octobre 2015, Jade Grecea, alors âgée de 2 ans et demi, ressortait polyhandicapée après un séjour au CHU de Besançon (Doubs). Ses proches, devenus aidants, se battent depuis pour sa rééducation tout en essayant de prouver les erreurs médicales de l’hôpital. Un quotidien difficile que nous raconte Christelle Grecea, sa maman.

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10 octobre 2015. Une date gravée à jamais dans la mémoire des Grecea. Jusque-là, la petite famille installée à La Barre (Jura) menait une existence tranquille. Ciprian et Christelle, les parents, élevaient leurs trois enfants, Alexandra, Gabriel et Jade. Jade, c’est la petite dernière. À l’époque âgée de deux ans et demi, "pleine de vie et en parfaite santé" selon sa maman, elle allait découvrir l’école et fêter son anniversaire dans quelques mois.

Pourtant, un événement allait bouleverser ce quotidien. Le 10 octobre 2015, à 19h30, Jade est amenée par ses parents aux urgences du CHU de Besançon (Doubs), après d’importants maux de ventre et des vomissements. 

Elle en ressortira polyhandicapée, atteinte d’une cécité corticale et d’une paralysie cérébrale. "Pour faire simple, c’est comme si son cerveau ne comprenait pas les messages que ses yeux captent et lui envoient. Elle se comporte en aveugle, elle est en incapacité de se tenir seule debout et doit se déplacer en fauteuil roulant" raconte Christelle.

"Une étape de notre vie qui nous a fracassés"

"Revenir sur cette période est très douloureux. C’est une étape de notre vie où on a été fracassé par ce qui est arrivé à Jade" continue Christelle Grecea. Pourtant, la mère de famille a accepté de se confier à France 3 Franche-Comté.

Pour raconter, en longueur, sa vie et celle de sa famille depuis ce terrible incident. Raconter son combat difficile et prenant d’aidante, pour soutenir Jade dans sa reconstruction et sa rééducation. Raconter aussi son combat juridique contre l’hôpital, qu’elle juge responsable de l’état actuel de sa fille à cause de plusieurs erreurs médicales.

Christelle Grecea nous a donc reçus chez elle, au domicile familial. Elle est revenue sur cette "nuit d’horreur, d’agonie", "un cauchemar" où "on appelait les soignants toutes les dix minutes" car Jade "se tordait de douleur". Jusqu’à ce que dans la nuit, à 4h30, une médecin les prévienne : "vous voyez pas que votre fille est en train de partir ?" s’exclame-t-elle, avant d’emmener Jade en réanimation.

Quand on s’approchait, on voyait Jade entourée de médecins. Quand on la regardait, on aurait dit qu’elle était morte. Ça a duré 25 minutes, puis le médecin réanimateur a dit : « vous pouvez arrêter le massage cardiaque, il va y avoir trop de séquelles ».

Christelle Grecea

Maman de Jade

Le pouls revient par miracle deux minutes plus tard. Puis Jade est passée au bloc opératoire. S'ensuivent six semaines d’hospitalisation, un autre arrêt cardiaque, une perforation abdominale et des séquelles irréversibles.

"Elle était méconnaissable. On a emmené une enfant de trois ans, joyeuse. On est sorti avec un bébé de cinq mois qui ne tenait même plus sa tête, qui était figé" se souvient Christelle Grecea. "Cela m’a fauchée moi et ma famille".

Rééduquer Jade et prouver les erreurs médicales

Commence alors une deuxième vie. "On s’est très vite aperçu qu’on n’allait plus jamais avoir le même quotidien" résume la mère de famille qui, par la force des choses, devient aidante et se retrouve plongée dans un quotidien qu’elle ne connaissait pas.

Avec deux combats parallèles à mener : tout faire pour que sa fille puisse reparler, remanger, remarcher. Et prouver que ce sont bien des erreurs médicales qui ont provoqué les handicaps de Jade. "Dans un premier temps, il y a eu une mauvaise communication quant au diagnostic initial" estimait Christelle dans un article publié en janvier dernier.

Il aurait fallu opérer ma fille directement. Au lieu de cela, on l'a laissé dans un lit quasiment toute la nuit. C'est cette prise en charge chirurgicale trop tardive qui a causé les arrêts cardiaques. Il y a eu négligence médicale.

Christelle Grecea

Maman de Jade

Aujourd’hui, deux expertises judiciaires ont donné raison aux Grecea. Mais le tribunal en a demandé une troisième, dont les conclusions se font toujours attendre. Un long parcours, usant psychologiquement, mais aussi économiquement. À cela vient s’ajouter le coût de la rééducation.

Très vite, Christelle Grecea décide de se tourner vers le privé "au vu de la difficulté d’accéder à des soins satisfaisants pour les enfants handicapés en France". Christelle, qui a arrêté de travailler, se consacre à Jade, multiplie les recherches et les allers-retours pour lui trouver les meilleurs soins possibles, dont "des consultations sur Paris", et "des allers-retours en Slovaquie dans un centre de rééducation intensive".

La création d’une association, "L’Espoir pour Jade"

Mais tout cela demande de l’argent. En 2018, les finances des Grecea sont exsangues. Christelle décide alors de fonder une association, "L’espoir pour Jade" afin d’organiser des événements pour réunir des fonds mais aussi pour aider les familles touchées par le handicap, en leur partageant les informations et conseils acquis tout au long des neuf années passées à aider Jade.

Aujourd’hui, Jade va mieux, même s’il a fallu "tout reprendre à zéro". Âgée de 11 ans, elle n’arrive pas encore à marcher ni à lire, mais parle et suit des cours spécialisées avec une AESH, parmi la classe de CE2 de l’école primaire d’Orchamps (Jura). Jade s’épanouit également dans la musique, qui lui apporte beaucoup au niveau de la sociabilité avec les autres enfants.

"Jade aura toujours besoin d’aide"

Pour autant, le quotidien reste difficile."Jade aura toujours besoin d’aide" explique Christelle. "Pour sa toilette, s’habiller, manger, etc. Notre but, c’est qu’elle retrouve son autonomie. Mais notre peur, c’est qu’on ne sait pas qui s’occupera d’elle quand on ne sera plus là ".

Être aidant, sans être aidé, c’est s’empoisonner un peu plus chaque jour. Souvent, on a de la souffrance, de la frustration, comme notre enfant. Mais on en parle pas. On a aucune aide extérieure, malgré nos demandes.

Christelle Grecea

Maman de Jade

"Il faut réfléchir à ce statut d’aidant" continue Christelle. "C’est bien beau de glorifier cela dans les médias. Mais cela engendre beaucoup de souffrance. J’ai été longtemps déprimée, en détresse. J’ai eu plusieurs fois envie d’en finir ".

"J’ai l’impression qu’on m’a volé ma vie"

Les autres membres de la famille ont eux aussi pâti de la situation. "Notre quotidien a changé, on avait plus forcément les moyens d’aller en vacances, notre vie s’est centrée autour du handicap de Jade" raconte Christelle. "Mon mari se réfugie dans le travail. Ma fille aînée, Alexandra, a quitté la maison. Pour elle, ça faisait trop de souffrance. Ça lui devenait insupportable d’entendre parler de handicap".

Aujourd’hui, une colère sourde reste présente, malgré les années. "J’ai l’impression qu’on m'a volé ma vie. Qu’on a volé la vie de Jade. Ma liberté a été prise" conclut la mère de famille. "Je suis enchaînée à un fauteuil roulant, à un handicap. Je ne peux pas pardonner". Un récit poignant, que Christelle Grecea développe sur plus de 40 minutes, à retrouver en intégralité sur notre chaîne Youtube.

Une interview préparée par Antoine Comte, avec la complicité de Philippe Héritier, Jimmy Chabod, Romuald Piniac, Bertrand Poirier, Marie Loir et Clément Jeannin.

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