En 2015, Jade Grecea, alors âgée de deux ans et demi, ressortait d'une hospitalisation au CHU de Besançon plurihandicapée. Depuis, sa famille, basée à La Barre (Jura), se bat pour la rééducation de la petite fille. Et espère toujours prouver que des négligences médicales ont eu lieu dans cette situation. Un quotidien souvent éprouvant. Témoignage.
Le 1ᵉʳ janvier 2024, Jade Grecea a soufflé ses onze bougies. Un moment de joie partagé avec ses proches, dans la maison familiale de La Barre, dans le Jura. Un rare instant de bonheur pour Christelle et Ciprian Grecea, qui depuis neuf ans se battent pour leur fille, aujourd'hui multihandicapée.
Jade est en effet atteinte d'une cécité corticale et d'une paralysie cérébrale. "Pour faire simple, c'est comme si son cerveau ne comprenait pas les messages et les images que ses yeux captent et lui envoient" détaille Christelle, la maman, la voix teintée d'émotion. Comment expliquer qu'une petite fille sans souci de santé à la naissance soit aujourd'hui dans cette situation ? Il faut remonter au 10 octobre 2015 pour l'expliquer.
Une négligence médicale à la source de l'état de la jeune fille ?
Ce jour-là, Jade, alors âgée de deux ans et demi, est admise en urgence à l'hôpital de Besançon (Doubs) après une série de vomissements inquiétants et de fortes douleurs au ventre. Le début de l'horreur pour elle et sa famille. S'ensuivent six semaines en réanimation, deux arrêts cardiaques (dont un de 27 minutes), une perforation abdominale et des séquelles irréversibles.
À sa sortie, elle était figée, ne nous reconnaissait plus, ne réagissait plus à nos gestes. Elle avait perdu le langage, la propreté et toute mobilité. C'était un bébé de cinq mois dans le corps d'une fillette de trois ans. Et ça, pour nous, parents, c'est destructeur.
Christelle Grecea,maman de Jade
Rien ne sera plus jamais pareil. D'un côté, la famille Grecea se lance dans une bataille judiciaire pour faire reconnaître la responsabilité de l'hôpital de Besançon dans les handicaps de Jade. "Il y a eu un enchaînement d'erreurs" estime Christelle. "Dans un premier temps, il y a eu une mauvaise communication quant au diagnostic initial. Il aurait fallu opérer ma fille directement. Au lieu de cela, on l'a laissé dans un lit quasiment toute la nuit. C'est cette prise en charge chirurgicale trop tardive qui a causé les arrêts cardiaques. Il y a eu négligence médicale".
Des séjours de rééducation à l'étranger
Trois expertises judiciaires commandées par la justice, la dernière datée de 2021, ont conclu à des manquements imputables au CHU de Besançon dans la prise en charge de Jade. "Mais nous attendons toujours les dernières conclusions du tribunal administratif" souffle Christelle. "On se sent ignoré, pas respecté. Ce parcours judiciaire est coûteux et vient nous remettre en pleine face notre douleur alors que nous essayons de nous en sortir".
Car malgré les multiples chocs psychologiques, la famille Grecea s'est juré de ne pas abandonner Jade, de la rééduquer". "Ça neuf ans qu'on se bat pour la remettre debout" témoigne Christelle. "On fait énormément de choses, on lutte au quotidien pour lui permettre de se reconstruire. Malheureusement, en France, il est très difficile d'accéder à des soins de rééducation intensifs pour enfants. On s'est alors tourné vers le privé".
La famille Grecea a donc pris les choses en main. Christelle ne compte plus les journées à chercher un kinésithérapeute, un orthophoniste ou un ergothérapeute. Elle multiplie les allers-retours à Paris, pour voir des médecins spécialisés, et accompagne sa fille plusieurs fois par an pour des séjours en centre de rééducation intensif en Slovaquie, d'abord, puis en Europe. "Cela lui fait beaucoup de bien. Mais tout ça à un coût. Par exemple, un séjour en Slovaquie nous revient à 10 000 euros" avoue la mère de famille.
"Il a fallu tout reprendre à zéro"
En 2018, les Grecea arrive ainsi à bout financièrement. "Nous étions exsangues" reprend Christelle. "Nous avons même songé à faire un emprunt pour faire face aux frais médicaux et de justice, vous vous rendez compte ?". Après réflexion, la famille crée une association, "l'Espoir pour Jade", grâce à laquelle sont organisés "des événements pour récolter les fonds nécessaires aux soins, tout en soutenant des familles d'enfants malades et en alertant sur les erreurs médicales".
Aujourd'hui, Jade va mieux. Il a fallu "tout reprendre à zéro", mais la fillette parle à nouveau. Si elle n'arrive pas encore à lire ni à marcher, elle suit des programmes adaptés avec une AESH (accompagnant d'élèves en situation de handicap) parmi les élèves de CE2 de l'école primaire d'Orchamps (Jura), où elle est scolarisée depuis ses quatre ans.
Elle fait des efforts tous les jours et malgré ses frustrations, elle garde sa joie de vivre. Notre objectif, c'est qu'elle reste à l'école publique, même si aujourd'hui, elle n'a pas le niveau CE2. On veut qu'elle puisse remarcher, lire, écrire, calculer. C'est notre rêve, car c'est avec ça qu'elle retrouvera son autonomie. Mais c'est un combat de tous les jours. L'inclusion, sur le papier, c'est magique, mais dans la réalité, c'est beaucoup plus dur.
Christelle Grecea,maman de Jade
En parallèle, Jade s'épanouit à l'école de musique Jura Nord, à Orchamps. "Cela lui apporte au niveau de la santé, pour la respiration" sourit sa mère. "Et elle peut aussi sociabiliser avec les autres enfants et, à travers la musique, arriver à trouver son bien-être". Une école de musique au rôle important, qui a également organisé plusieurs événements dont les recettes ont profité à la famille Grecea. Mais si la situation s'est améliorée, le quotidien est aujourd'hui encore compliqué.
"Je suis sa maman, je lutte chaque minute à ses côtés. Son papa est aussi présent, sa famille également, mais par moments, c'est terrible" avoue Christelle Grecea. "Je suis devenue aidante par la force des choses, avec la charge mentale que cela implique. Je ferai tout pour ma fille, mais au quotidien, c'est très prenant. Nous en avons souffert".
Jade a des moments de colère et de frustration, car en grandissant, elle se rend compte de son handicap et de ses différences. Ce sont des moments très dur à gérer. Je suis là au quotidien pour la motiver, pour qu'elle ne se laisse pas abattre, et mon mari travaille d'arrache-pied pour ramener l'argent nécessaire aux soins. C'est éprouvant sur la durée.
Christelle Grecea,maman de Jade
Derrière les espoirs médicaux sommeille ainsi une colère sourde. "On a le cœur lourd. La justice n'a toujours pas statué, on est obligé d'organiser des tombolas et des lotos pour trouver de l'argent... " s'agace la mère de famille. "Et puis devoir s'exiler pour trouver des parcours de rééducation de qualité... Ce n'est pas normal. On s'épuise pour pouvoir la soigner".