Lors du deuxième jour de procès, la déposition de l’enquêteur principal ayant abouti à l’extradition du Chilien Nicolas Zepeda a apporté son lot de détails extrêmement défavorables à l'accusé. On vous explique.
Alors que la parole a été largement donnée à l'accusé et ses soutiens le premier jour du procès, c'est le policier enquêteur de Besançon David Borne qui a débuté l'après-midi de ce deuxième jour. Le but ? Comprendre en détails le travail de ceux qui ont tenté de retrouver Narumi Kurosaki.
Le policier de 39 ans détaille face au président Matthieu Husson et les jurés l’enquête de la police judiciaire de Besançon, depuis le 15 décembre 2016. “Plus personne n’avait entendu sa voix depuis le 5 décembre, et selon les premiers éléments qu’on nous rapporte, elle tient des propos incohérents par sms” commence-t-il, au sujet de la victime Narumi Kurosaki.
Les enquêteurs n’ont rien constaté concernant des traces suspectes dans la chambre de la victime. “Rien ne peut nous laisser penser à une scène de crime sanglante” poursuit le fonctionnaire de police. “On retrouve l’agenda de Narumi Kurosaki. Il nous apporte quelques éléments. On se rend compte que cette jeune femme est très active. Elle a prévu un gala de danse, un voyage avec son petit ami Arthur Del Piccolo”. Certains amis de Narumi parlent aux enquêteurs de Nicolas Zepeda en disant que Narumi est plus heureuse maintenant avec Arthur.
David Borne aborde longuement le cas d’Arthur Del Piccolo, présenté comme le petit ami de Narumi Kurosaki au moment des faits. “Il nous parle de Nicolas Zepeda, son ancien petit ami chilien qui la harcelait, qui lui a supprimé ses comptes Facebook. Il essaie de nous diriger vers cette piste. Plusieurs personnes nous ont parlé d’un chilien. Pour nous c’était incohérent de penser qu’un Chilien avait traversé la terre entière pour faire du mal à son petit ami” se rappelle l’enquêteur, qui précise que les soupçons ont directement été axés sur Arthur Del Piccolo. “On hésite à placer Arthur Del Piccolo en garde à vue. On se ravise car on a aucun élément à lui reprocher” dit-il. Finalement, c’est l’impasse pour les enquêteurs, qui décident d’abandonner cette piste “qui ne donne rien”.
“On dirait que quelqu’un est en train de se faire assassiner”
Les policiers décident alors d’interroger tous les étudiants qui vivent dans la résidence universitaire : “Les étudiants entendus nous déclarent qu’ils ont eu tellement peur qu’ils n’ont pas osé sortir de leur lit. Certains n’ont même pas osé récupérer leur téléphone. Certains s'envoient des messages entre eux, ce qui nous permet de déterminer précisément l’heure des cris entendus.”
“On dirait que quelqu’un est en train de se faire assassiner” dit l’enquêteur en rapportant un message envoyé entre deux résidents du même bâtiment que celui où vivait Narumi Kurosaki. On entend la stupeur dans la salle.
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De plus, deux témoins ont vu un homme étranger présent quelques minutes avant la disparition de l’étudiante, dans ce bâtiment. L’une des témoins a repéré “un homme hispanique caché dans les cuisines du premier étage, sous le plan de travail”. Il lui a parlé en espagnol et était vêtu d’un manteau noir large, avec une capuche, et un jean.
Le dimanche 4 décembre, le duo Zepeda Kurosaki a été reçu dans un restaurant d’Ornans comme le précise un restaurateur interrogé par la police. La carte utilisée est une carte internationale, en provenance du Chili. “Là, ça nous fait tilt. Cette piste du Chilien, dont on ne voulait pas entendre parler, se précise. Nous voilà face à cette nouvelle piste Nicolas Zepeda” admet l’enquêteur. Nicolas Zepeda s’est fait flasher avec un véhicule de location sur le radar tronçon des Mercureaux. “Pour un étranger, ce radar, à 70 km/h en descente, c’est un piège” lance le brigadier-chef David Borne, tout en poursuivant sa démonstration. Le véhicule est revenu au loueur sale, avec de la terre sur les bas de caisse ainsi que dans le coffre mais aussi une roue voilée.
Les déplacements du véhicule de location de Zepeda parlent
Une carte SIM, placée par les constructeurs dans les véhicules, a permis aux policiers de récolter de précieuses données concernant tous les déplacements de Nicolas Zepeda dans sa voiture de location, et ce depuis son arrivée en France. C’est grâce à cela qu’ils ont découvert que Narumi Kurosaki avait été suivie par le jeune homme. La carte bancaire du Chilien parle elle aussi et livre des éléments accablants. Les relevés mettent en lumière l’achat d’un bidon de produits inflammables de 5L, d’une boîte d’allumettes ainsi qu’un détergent. On est alors le 1er décembre.
Un déplacement au sud de Dole, dans le Jura, interpelle les enquêteurs. Le Chilien y reste un moment, en pleine nuit. Le 2 décembre, les deux témoins reconnaissent Nicolas Zepeda sur le campus. Le jeune homme achète une chemise et un blazer dans une boutique, se nourrit dans un fast-food… Le 4, il passe toute la journée sur le campus.
Le véhicule n’a absolument pas bougé entre le 4 décembre 23h jusqu’à son départ le 6 décembre. Cela nous permet de déterminer avec certitude que Nicolas Zepeda était avec Narumi Kurosaki au moment où les cris ont été entendus dans la résidence étudiante.
David Borne, enquêteur sur l'affaire Narumi Kurosaki
Il y a eu deux "connexions" au véhicule avant son départ. Il se rend dans la même zone qu’il avait repéré quelques jours plus tôt, dans le sud de Dole. Il y avait passé 2h42 le 1er décembre. Il y passe 1h30, toujours dans une période nocturne, en plein hiver le 6 décembre. “Qu’est-il allé faire à cet endroit là ?” s’interroge à la barre l’enquêteur.
Incident de séance concernant l’exploitation de la vidéosurveillance
Dans son box, l'accusé, chemise bleu et cravate marine prend des notes. L’exploitation de la vidéosurveillance présente sur le campus n’a rien donné ou presque, jusqu’à peu. Le policier précise : “Quand j’ai préparé mon audition pour aujourd’hui, j’ai repris toutes les vidéos, car je n’avais pas exploité les vidéos moi-même à l’époque. Et là, je me rends compte qu’un homme suspect apparaît sur ses vidéos le 1er décembre à 0h32. À cette heure-là, Nicolas Zepeda était sur le campus.” L’homme repasse plusieurs fois la même nuit, et va même jusqu’à prendre en photo la façade. À chaque fois que cet homme passe, Zepeda est dans le secteur car le GPS de son véhicule l'indique.
Dans la salle, un moment de flottement se fait sentir. Le président, visiblement surpris, demande des précisions. L'avocate de la Défense l'interrompt. " Je n'ai jamais vu ça de ma vie ! C'est hors cadre procédural. On ne peut pas continuer comme ça l'audience" s'emporte l'avocate parisienne. L'avocat des parties civiles Randall Schwerdorffer répond et justifie l'intervention de monsieur Borne afin de calmer la Défense. “Vous avez eu la possibilité de demander l’exploitation de ses vidéos dans leur intégralité” note l’avocat bisontin. L’avocat général abonde également dans ce sens. “De quoi la Défense a peur ? Cet élément n’a pas été exploité illégalement” interroge-t-il.
Un homme au visage dissimulé aux abords de l'immeuble de la victime
Finalement, le président Matthieu Husson invite l’enquêteur à poursuivre son exposé. “Du 30 au 1er, il passe 6 fois. Le 1er décembre également à 20h33, à 21h06 et 22h26. Le lendemain, le 2 décembre, il passe à 10h56, toujours habillé pareil, jean, veste noir, capuche et visage dissimulé, gants noirs. Il passe le 2 à 16h15, puis le 3 à 22h25 et la dernière fois le 4 à 3h44” énumère l’enquêteur. A chaque passage de cet individu suspect, Nicolas Zepeda est présent sur le campus. Sa localisation de véhicule l’atteste. En revanche, quand il n’est pas sur le secteur, aucun passage d’individu suspect au visage dissimulé n’est examiné. "Après son départ de France, plus jamais nous ne verrons sur les images un homme au visage dissimulé aux abords de l'immeuble du CROUS".
La Défense demande une suspension d'audience, rejetée. Il semblerait que l'exposé de cet enquêteur ait jeté un froid dans la tête des avocates de Nicolas Zepeda. Il faut dire que les éléments, nouvellement énoncés en ce début de procès, sont accablants.
David Borne explique ensuite la manière dont ont procédé les enquêteurs concernant les échanges numériques entre les différents protagonistes et témoins dans cette affaire. Un professeur japonais, qui connaît la victime et Nicolas Zepeda, a écrit aux enquêteurs. Ce dernier a appelé en visioconférence Nicolas Zepeda le 15 décembre. Il l’a tout de suite soupçonné selon ce que rapporte le policier. A aucun moment, Nicolas Zepeda ne lui a indiqué qu’il avait vu Narumi les jours précédents. “Il ne lui en parle pas du tout”.
“Je viens de rencontrer un nouveau petit ami, je pars toute seul” fait traduire à une connaissance japonaise à lui Nicolas Zepeda, prétextant que ce sont des phrases courantes qu’il souhaiterait apprendre. Le reste des éléments accablent une fois de plus l’accusé. “Il a contacté deux témoins et leur a demandé de supprimer les conversations qu’ils ont eu ensemble et de leur envoyer une copie d’écran pour attester de la suppression” ajoute l’enquêteur. L’ensemble de ces éléments ont permis aux enquêteurs d’avancer que Nicolas Zepeda a utilisé les réseaux sociaux de la victime. “Nous avons obtenu la certitude que le compte Facebook de Narumi s’est connecté sur une adresse IP utilisée par le compte Google de Nicolas Zepeda, le 11 décembre, alors qu’il se trouvait à Barcelone” conclut de manière implacable l’enquêteur, avant d’enfoncer le clou en détaillant comment Nicolas Zepeda a pris également possession de la boîte mail de la victime.
D'étranges questions sur la mort, posées au cousin de l'accusé
L’accusé fait diverses recherches sur internet : “Car wash” pour lavage de voiture ou encore des recherches sur les systèmes VPN. “On est tombés sur une vidéo glaçante sur Dailymotion, d’une vidéo de menaces de Nicolas Zepeda à l’encontre de Narumi Kurosaki. Il lui dit qu’elle doit payer un petit coup pour ce qu’elle a fait” poursuit David Borne. Son récit, qui dure à ce moment-là depuis plus d'1h30, ne cesse de ternir l’image du fils modèle exposé longuement la veille par les proches de l’accusé.
Parce que tu es allée vivre en France, je ne peux pas vérifier ce que tu fais.
Nicolas Zepeda, à Narumi Kurosaki
David Borne parle également d'échanges entre l'accusé et son cousin, qui n'a pas voulu témoigner lors de ce procès. L'accusé lui pose d'étranges questions concernant la mort. "Est-ce que je meurs plus vite en étant pendu ou avec une coupure à la gorge ?" lit le brigadier-chef.
Il revient ensuite sur les différentes déclarations du jeune homme et de sa précision maladroite aux yeux des enquêteurs, notamment quand il écrit spontanément : "J’étais en couple avec Narumi pendant 19 mois et 16 jours, du samedi 21 février 2015 au 6 octobre".
Le reste des justifications apportées par l'accusé n'ont pas du tout convaincues les enquêteurs, comme le rapporte David Borne.
"Vu les repérages préalables de l’accusé il n’y a rien d’anormal à ce que le corps n’ait pas été retrouvé" conclut David Borne après avoir détaillé les recherches mises en place pour retrouver le corps de Narumi Kurosaki, en vain. "Les corps ne sont pas toujours trouvés sans l'aide de l'auteur. Ça ne fonctionne pas s’il ne reste que des os. Et si le corps a été enterré, je ne vous en parle même pas…" insiste l'enquêteur.
On sait que Nicolas Zepeda a posé des questions à son cousin, sur la strangulation, sur la mort par étranglement. On peut exclure une mort sanglante. Mais c'est un des éléments sur lequel je n'ai aucune certitude.
David Borne, enquêteur sur l'affaire Narumi Kurosaki
"Un corps immergé au sud du barrage de Crissey peut migrer sur des dizaines et dizaines de kilomètres" avance l'avocat général. "C'est difficile de trouver un corps dans l'eau ?" "Oui" répond franchement l'enquêteur. #ProcesZepeda #Narumi
— Sarah Rebouh (@srebouh) March 30, 2022
Il a livré en ce deuxième jour un témoignage glaçant, mettant en lumière une toute autre dimension de la personnalité de Nicolas Zepeda : un jeune homme jaloux maladif, menteur, qui espionnait depuis toujours sa petite amie avant de l'assassiner, après un long voyage à l'autre bout du monde, parce qu'elle ne voulait plus de lui dans sa vie.
Pour rappel, Nicolas Zepeda se dit innocent et espère être acquitté par la cour d'assises de Besançon.
Jeudi, la troisième journée du procès est dédiée à la déposition d'autres témoins, aux deux premiers interrogatoires de l'accusé sur les faits et à la déposition d'experts.
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