Site illégal de streaming : 8 mois de prison avec sursis requis contre le jeune pirate informatique franc-comtois

Sur son temps libre, un petit génie de l'informatique originaire des Fins dans le Haut-Doubs était soupçonné d'avoir créé le site de streaming illégal seriefr.eu. Son procès avait lieu ce mercredi au tribunal correctionnel de Besançon. Le jugement a été mis en délibéré. Récit.

C'est un procès quelque peu hors du commun qui s'est tenu ce mercredi 13 novembre devant le tribunal correctionnel de Besançon, durant plus de cinq heures. Trois jeunes hommes et une jeune femme se tenaient à la barre, soupçonnés de composer en partie une bande organisée à l'origine de la création et de l'alimentation d'un site internet de streaming : seriefr.eu, mis en ligne dans sa première version en 2014. 

Entre le 16 avril 2014 et le 4 avril 2019, le site a hébergé près de 480 séries avec plus de 37 000 épisodes proposés aux visiteurs, dont la navigation était agrémentée à chaque clic de fenêtres publicitaires intempestives. Le lièvre a été levé par un agent de l'Alpa (association de lutte contre la piraterie audiovisuelle).

Ce site, considéré comme un annuaire de liens streaming et spécialisé dans la diffusion de séries télévisées telles que Game of Thrones, Grey's Anatomy, Walking dead ou encore Les Simpsons, n'est pas un "bidouillage" a tenu à rappeler la présidente, Sophie Fouche, de nombreuses fois lors de l'audience.
 


"Un peu compliqué à comprendre"


"C'est un truc de professionnels, extrêmement élaboré, à super grande échelle en fait. Il a travaillé avec 12 sites miroirs" a-t-elle détaillé, tant bien que mal, admettant à plusieurs reprises son manque de connaissances informatiques pour saisir tous les mécanismes techniques mis en place par Mickaël* T. "J'ai beaucoup travaillé avec Wikipédia. C'est un peu compliqué à comprendre" explique-t-elle. Grâce à ses douze plateformes en ligne, le jeune franc-comtois attirait jusqu'à 700 000 visiteurs uniques par mois.

Les victimes sont la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) et le syndicat de l'édition vidéo numérique, composé entre autres de cinq sociétés de production audiovisuelle.

Le principal mis en cause, administrateur et créateur du site seriefr.eu, est âgé de 22 ans. Il est poursuivi pour contrefaçon par violation de la propriété, violation des droits d'auteur et recel d'un bien provenant d'un délit. Mickaël* T. est un jeune étudiant en Master 2 ingénierie des Systèmes Complexes à Besançon, résidant dans le Haut-Doubs. Grâce à ses connaissances pointues en informatique, le jeune homme, présenté comme un véritable geek qui s'aventure rarement en dehors de chez lui, a mis en place "un système complètement illégal et qui est au top 10 de la délinquance d'astuces, qu'on peut voir habituellement dans ce tribunal", selon la présidente d'audience.

Tout au long de l'après-midi, la complexité des procédés utilisés par ce jeune génie de l'informatique ont été mis en exergue par le tribunal correctionnel de Besançon, provoquant parfois l'agacement des parties respectives. Le langage du technicien se heurte au langage judiciaire de la cour. Il s'agit en effet de deux mondes qui s'opposent : celui de la justice et son vocabulaire précis et celui du développement et de la programmation informatique, dont l'espace de jeu est une gigantesque toile, composée d'une infinité de portes dérobées, disséminées dans le monde entier.
 
 

"Je n'ai fait que créer les sites"


"Nous sommes des magistrats judiciaires pénalistes donc nous devons essayer de comprendre dans un temps très restreint comment ça fonctionne. C'est la raison pour laquelle je peux paraître extrêmement autoritaire" concède Sophie Fouche, face à l'agacement de Maître Leroux, avocat de Mickaël* T.

"Ces sites que j'ai créé, je ne m'en occupais même plus" justifie Mickaël* T., qui semble peiner à comprendre à quel point le système qu'il a créé, comme beaucoup d'autres développeurs web avant lui, représente un délit. "Je n'ai fait que créer les sites" explique-t-il. 

"Vous avez fait quelque chose qui vous a complètement dépassé ?" questionne la présidente. Mickaël* T. acquiesce timidement du bout des lèvres. "Vous êtes dangereux pour nos institutions juridiques en raison des systèmes que vous êtes en capacité de mettre en place" lance finalement Sophie Fouche, tout en rappelant que le prévenu est allé jusqu'à installer un système de minage de Bitcoin, une cryptomonnaie utilisée sur internet. 
 

Environ 18 000 euros par mois


Au total, Mickaël* T. est soupçonné d'avoir perçu environ 200 000 euros grâce à sa galaxie de sites internet. En effet, il aurait touché entre 5 et 40 dollars par tranche de 10 000 vues, pour une manne financière d'environ 18 000 euros mensuel en Bitcoin. Cette somme, il n'en a véritablement rien fait. Aucune dépense n'a été mise en lumière par l'enquête.

Les épisodes de séries en streaming n'arrivaient pas comme par magie sur la plateforme seriefr.eu. Ce n'est pas le jeune informaticien qui s'en chargeait. Sur ce genre de sites internet, les vidéos sont mises en ligne par des "contributeurs" pouvant oeuvrer des quatre coins du monde. C'est là qu'est toute la nuance. "N'importe qui pouvait poster ses vidéos. Oui, moi j'ai ouvert un site et je ne sais pas qui postait les vidéos. Je recevais des signalements pour les vidéos non valides par mon hébergeur et je les supprimais alors" justifie Mickaël* T.

"Comment est-ce que vous expliquez qu'en 2018, l'enquêteur de la PJ clique sur les liens de 20 vidéos sur votre site et que ces liens fonctionnent ?" interroge Louise Bobillier, assesseur. "Il s'agit de dysfonctionnements" justifie le jeune développeur web qui explique même avoir fini par mettre en place un système automatisé dans le but de traiter les demandes de suppressions de vidéos.
 

Un "véritable piratage" 


Pour les avocats des parties civiles, il ne faut pas se tromper de débat. Le prévenu est renvoyé devant la cour en raison de la présence de près de 300 000 liens de séries en streaming, contrevant ainsi aux droits d'auteur et relevant d'un "véritable piratage". "Il a créé un site racine et douze sites miroirs pour créer un maximum d'audience et tout ça va générer les 200 000 euros qu'on connaît. Monsieur T. est renvoyé devant vous pour les liens, 276 000 liens postés sur cette plateforme de diffusion seriefr. Il dit - j'en ai enlevé certain. Mais on s'en fiche. Ils ont été un jour actif" explique l'avocat et représentant de la SACEM.
 
 
Devant la cour, trois contributeurs français étaient également présents ce mercredi. Marc*, Julie* et Thomas* font partie des "uploadeurs" du site. À l'aide d'un mécanisme de liens proposés aux visiteurs de la plateforme, l'administrateur est alors en capacité de verser une petite rémunération aux uploadeurs. Ils ont chacun reçu quelques miliers d'euros pour cette activité. C'est alors grâce à eux que la plateforme fonctionne et attire des visiteurs, qui voient des vidéos entrecoupées de publicités et qui génèrent des clics, qui génèrent de l'argent... et ainsi de suite.
 

De l'argent facile


Julie* explique : "Sur le site internet, un jour j'ai cliqué sur Speedvid hébergement. J'ai regardé l'explication et suivi le Tuto, et cela a marché. Je recopiais un lien de téléchargement, que je copiais sur l'hébergeur Speedvid et cela donnait une vidéo. J'ai fait ça en 2015-2016. Je voulais m'occuper et c'était de l'argent facile. Je n'avais pas l'impression de faire du mal à quelqu'un. Je savais bien que ce n'était pas légal mais je trouvais ça tellement facile. Oui, j'ai reçu des virements Paypal de Mickaël* T." 

Il en va de même pour les deux autres contributeurs présents ce jour. Ils ne se sont jamais rencontrés auparavant et n'ont jamais été en contact les uns avec les autres, mettant à mal le chef d'accusation de bande organisée. Tous déclarent avoir agi par appât du gain, sans se rendre compte de la gravité de leurs actes, tout en connaissant en partie l'illégalité de la démarche. "J'aurais dû tout arrêter, je suis bête d'avoir continué à profiter de ce système" concède l'un des uploadeurs, âgé de 37 ans et originaire de Bouches du Rhône. À savoir que d'autres contributeurs, mineurs, ont été renvoyés devant le juge des enfants. D'autres, pourtant majeurs, n'ont pas été convoqués devant le tribunal correctionnel. 
 

Un génie de l'informatique utile ?


Face à la cour, les avocats de la défense ont tenu à rappeler l'environnement économique d'internet, lieu où tout paraît gratuit mais où rien ne l'est réellement. En naviguant sur la toile, de nombreux jeunes pensent qu'il existe une certaine tolérance des institutions judiciaires face aux pratiques illégales, comme pour la loi Hadopi par exemple. "La bande organisée, ce sont les régies publicitaires installées en Israël ou ailleurs. C'est comme ça que ça fonctionne, car des publicitaires paient le clic" a martelé maître Le Targat Yann, avocat de Marc*, contributeur fan de la série Les Simpsons.

"Ce serait un bon retour qu'il soit embauché par une entreprise de cybercriminalité, car on a besoin de gens brillants qui peuvent s'inscrire dans une société et l'aider à évoluer dans le bon sens" a souhaité conclure maître Leroux, avocat de Mickaël* T.

Margaret Parietti, vice-procureure de la République, a requis une peine de prison 8 mois entièrement assortie du sursis à l'encontre de Mickaël* T., administrateur du site seriefr.eu ainsi qu'une peine de 3 mois de prison avec sursis à l'encontre de Marc*. À l'encontre de Julie* et Thomas*, la vice-procureure de la République de Besançon a requis 2 000 euros d'amende avec sursis.

Finalement, le tribunal correctionnel de Besançon a décidé de mettre le jugement en délibéré à la date du 15 janvier. Reste également à définir le montant du préjudice financier retenu à l'encontre du principal prévenu. Affaire à suivre.

* Les prénoms ont été changés.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité