Suppression de l'aide médicale d'État : "Un calcul électoral," dénonce ce médecin urgentiste de Besançon

La suppression de l'Aide médicale d'État (AME) pour les sans-papiers a été approuvée par le Sénat le 7 novembre. C'est "un calcul électoral [qui] ne repose sur aucun fait scientifique," regrette un médecin urgentiste du CHU de Besançon (Doubs), signataire d'une tribune en faveur du maintien de l'AME.

Faut-il supprimer l'aide médicale d'État (AME), au prétexte qu'elle crée "un appel d'air" migratoire ou qu'elle encourage le "tourisme médical" ? C'est ce qu'a décidé le Sénat mardi 7 novembre lors de l'examen du projet de loi immigration, en adoptant un article initié par les élus Les Républicains visant à remplacer l'AME par une aide médicale d'urgence (AMU). Pour rappel, l'AME permet à l'État de prendre en charge l'intégralité des frais médicaux des étrangers en situation irrégulière résidant en France depuis au moins trois mois, sur condition de ressources.

La mesure controversée crée des remous dans le monde médical et hospitalier. Après une tribune de 3 000 soignants publiée dans Le Monde le 2 novembre, près de 3 500 professionnels ont assuré le 11 novembre à l'AFP qu'il désobéiront et continueront à soigner des patients, qu'ils aient des papiers ou non.

Soigner quiconque

"J'ai prononcé le serment d'Hippocrate, qui nous intime de soigner n'importe qui. Qu'il soit riche ou indigent, qu'importe sa religion ou sa couleur de peau, qu'il soit victime ou terroriste. C'est notre boulot. On n'a pas à apporter de jugement lorsque nous apportons des soins," rappelle Abdo Khoury. Le médecin urgentiste, en poste au CHU Minjoz de Besançon, est l'un des signataires de la première tribune.

Pour le médecin, cette nouvelle AMU pourrait poser un "problème épidémiologique". "Ces gens présents sur le territoire français peuvent éventuellement être porteurs de maladies contagieuses, faute parfois de couverture vaccinale dans leur pays d'origine. Nous avons le devoir de les soigner, notamment pour éviter les contagions, martèle le responsable du département universitaire de médecine d'urgence à Besançon. Le fait qu'ils soient sans-papiers n'est pas notre problème. C'est un problème politique et les politiques n'ont pas à faire peser ça sur la santé."

Certains politiques font des calculs électoraux, cette décision ne repose sur aucun constat scientifique. Il y a peut-être quelques abus, mais il faut les contrôler, pas supprimer cette aide !

Abdo Khoury

médecin urgentiste au CHU Minjoz à Besançon

"Renoncer à l'AME, c'est favoriser la déterioration de l'état de santé et la mise en danger des populations les plus vulnérables et par extension celle de toute la population, acquiesce Quand les inégalités de santé se développent, la santé de tous en pâtit," juge Le Tour de France pour la santé, rassemblant une cinquantaine d'associations dont le comité de vigilance des services publics en Haute-Saône (CV70). "La suppression de l'AME est un scandale social, politique et sanitaire et un repli terrible de notre tradition humaniste" assène Michel Anthony, président du CV70.

"Contrairement aux fantasmes et aux idées reçues, l'AME en tant que telle n'est pas un facteur d’attractivité pour les candidats à l’immigration dans notre pays, a rappelé lors des débats au Sénat Agnès Firmin le Bodo, ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des professions de santé. Ce n'est pas non plus un facteur de tourisme médical comme nous pouvons l'entendre parfois. 50 % des personnes qui pourraient bénéficier de l'AME n’y ont pas recours. Ceux qui y ont recours le font pour des pathologies aigües qui, pour la grande majorité, ne sont pas déclarées avant l'entrée sur le territoire [français]," poursuit-elle, citant un rapport de Claude Évin et Patrick Stéfanini commandé par le gouvernement.

Une vision court-termiste

Avec un champ d'action plus réduit, l'AMU prévoit d'aider les personnes en situation irrégulière en cas de soins, de maladies graves et de douleurs aiguës, de grossesse, de vaccination réglementaire et d'examens de médecine préventive. Pour le docteur Abdo Khoury, ce nouveau dispositif méprise le rôle préventif des soignants et la facture pourrait être salée pour les hôpitaux.

"Imaginons une personne porteuse de la tuberculose. Il peut contaminer très tôt son entourage, mais s'il n'est pas pris en charge rapidement, ça se traite avec des antibiotiques. S'il ne l'est pas, il peut développer un état grave et devoir être admis en service de réanimation, avec intubation, ventilation artificielle... Et ça coûte des milliers d'euros."

Désobéir ou non, la question ne se pose pas pour le médecin urgentiste. "Lorsqu'on soigne quelqu'un aux urgences, on ne demande pas les papiers. Si la personne ne me donne pas de prénom, je m'en fiche. Je ne sais pas qui se présente à moi, je soigne sans rien lui demander."

Plus de monde aux urgences

Ce qui va changer pour lui pourrait être la nature des pathologies des patients se présentant à son service. "Avec la suppression de l'AME, ces personnes ne vont plus consulter de médecin généraliste ou spécialiste. L'AMU va les inciter à aller aux urgences lorsque ça ira vraiment mal pour eux. On est déjà en surcharge de travail, et de plus en plus de patients risquent d'arriver au service en phase tardive," craint-il.

Le Sénat a voté ce mardi 14 novembre le projet de loi immigration, dont fait partie l'article 1l remplaçant l'AME par l'AMU. Il sera soumis à l'Assemblée nationale le 11 décembre. La suppression de l'AME, que ne souhaitait pas le gouvernement, était exigée par les sénateurs LR qui menaçaient de ne pas voter en faveur du projet de loi.

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