« Trois quarts des tournées ne sont pas terminées » : à la Poste de Besançon, certains salariés dénoncent des cadences intenables

À Besançon, la dernière réorganisation de la distribution du courrier est dénoncée par le syndicat SUD PTT. Des salariés assurent ne plus pouvoir assurer leur mission, avec pour conséquence un service public dégradé, et un mal-être quotidien.

Cela vous est peut-être déjà arrivé : vous êtes absents de votre domicile alors qu’un recommandé vous est adressé. Vous vous dites que vous avez une chance le lendemain, ou vous allez sur le site de la Poste pour indiquer une date de votre choix. Pourtant, le recommandé n’arrivera pas, il faudra se rendre au bureau le plus proche.

Cette « double présentation » du facteur n’est plus automatique selon Luc*, un employé de la Poste à Besançon. « On n’en fait plus du tout sur les recommandés », regrette-t-il, amer. Ce trentenaire, quelques années d’expérience dans le métier, constate un service de distribution de plus en plus dégradé. « Trois quart des tournées ne sont pas terminées dans leur intégralité, et la moitié des tournées du samedi ne sont pas faites du tout. » Avec pour conséquence des destinataires dans l’incompréhension, parfois même la colère.  

Reportage A. Laroche, F. Petit, X, Brand avec :

Julien Juif, délégué SUD PTT 25 / Andreï, facteur / Marie-Edith Pourchet, directrice la Poste - Besançon Pays de Vauban / Laurent Faivre, secrétaire régional CFDT communication

La réorganisation, subie par les salariés

Cette situation n’est pas nouvelle, pour le syndicat SUD, majoritaire à l’établissement la Poste de Besançon, qui couvre une zone de Baume-les-Dames à Quingey. Elle est le résultat d’une succession de réorganisations de la distribution du courrier - les « réorgs », comme le disent les postiers - opérations menées tous les deux ans à l’échelle nationale pour s’adapter, notamment, à la baisse continue du nombre de lettres. La dernière à Besançon a eu lieu au début de ce mois de novembre 2021.

La Poste se réorganise tous les deux ans, et ils suppriment 10% de la force de travail

Julien Juif, délégué SUD PTT

À Besançon, le syndicat dénonce « de 20 à 30 emplois » supprimés, une hausse du recours aux intérimaires, et des bureaux qui ne parviennent plus à suivre la cadence. Sur le site de Proudhon, au centre-ville de Besançon, un préavis de grève est en cours les samedis : cinq tournées ont été supprimées sur les vingt quotidiennes, selon des salariés qui y travaillent. « Ils se retrouvent avec de plus en plus de rues à distribuer », déplore Julien Juif, délégué syndical SUD PTT.

Car si la baisse du nombre de lettres est inexorable depuis plus de 10 ans, le nombre de colis, lui, a doublé depuis le début de la pandémie de Covid-19. Et les facteurs, qui héritent aussi d’une partie de la distribution de Médiapost, filiale publicitaire de la Poste, ne parviennent plus à boucler leurs tournées selon le syndicat. « Dans certains cas, le facteur n’est pas passé depuis deux semaines », assène Luc*, qui souhaite rester anonyme par peur de représailles. « On n’est pas contre l’évolution ! », poursuit-il. « Le souci, c’est qu’on a une réorganisation tous les deux ans, encore si c’était tous les dix ans… » Et de dénoncer une réforme en catimini, sans transparence avec les salariés, qui tombe au plus mal : juste avant le Black Friday et et la période de pointe de Noël. « Aucune entreprise normalement constituée ferait ça ! », tacle Julien Juif.

Un mal-être qui ronge la profession

À Roche-lez-Beaupré, près de Besançon, la réorganisation se traduit par un nombre d’heures supplémentaires accru pour certains postiers, selon Julien Juif. « Depuis la réorganisation, ils viennent 30 min plus tôt le matin, et repartent 2h plus tard. » En espérant avoir bouclé le travail, et rempli leur mission. « C’est un travail individuel, donc les gens culpabilisent énormément. Si on ne termine pas sa tournée, on la retrouve le lendemain », décrit Julien Juif, du syndicat SUD. « C'est monnaie courante que les facteurs terminent leur tournée coûte que coûte », confirme Luc*.

Selon le syndicat, ces heures supplémentaires ne seraient, en outre, pas toutes payées. « Il n’y a pas de pointeuse donc les heures sont notées au bon vouloir du chef d’équipe. Certains n’osent pas demander… », alerte Julien Juif depuis des années, sans résultat. Des postiers bouclent donc leur tournée en vitesse, d’autres refusent de déclarer des heures supplémentaires, et le courrier, lui, s'accumule, assure Luc*.« Dans certains cas, le facteur n'est pas passé depuis au moins deux semaines, » avec à la clé parfois, des menaces de pétitions des habitants.

Le métier on l’aime mais on sent bien que la cadence… d’ici 10 ans ce sera plus possible. Le service public est mis à rude épreuve

Luc*, postier de Besançon

« À 40km/h sur les trottoirs »

Dans ce climat social plus que fragile, certains salariés doutent de l’avenir. « Dans cinq ans est ce que je pourrai suivre ce rythme-là ? », se demande Luc*, qui souffre de problèmes de dos. « Ça crée de la tension, du mal être. » Pour illustrer son quotidien de facteur, il décrit la cadence infernale des tournées : « On se retrouve à 40km/h sur les trottoirs ! Si on respecte le code de la route, on termine pas nos tournées. Si on renverse une personne qu’est ce qui se passe ? » se questionne-t-il.  

Concernant la dernière réorganisation, Luc* se dit désabusé. « Petit à petit, ça va rentrer dans l’ordre, mais on va devoir devenir plus performants. On est notés sur la qualité, mais à côté de ça, on court. » Encore jeune mais excédé, le facteur bisontin, qui a connu quatre « réorgs », réfléchit à quitter la Poste. « J’en viens à un point à me dire où c’est plus un métier d’avenir pour moi. Le corps ne vas pas suivre », avertit-il. Depuis l’été 2021, cinq salariés de l’établissement de Besançon ont pris la décision de démissionner, selon le syndicat SUD.    

Près d'un tiers des salariés en intérim

Sur les 380 salariés de l’établissement postal de Besançon, 120 seraient recrutés via des contrats d’intérimaires ou CDD, la plupart sur des postes vacants, alors qu'en 2020, seules deux intégrations en CDI ont eu lieu, selon le syndicat SUD. Par ailleurs, depuis la réorganisation 2021, le syndicat fustige des contrats intérimaires de plus en plus rudes : « Certains viennent pour bosser deux heures, de 4h à 6h le matin. C’est quand même fou d’en arriver là. »

Des contrats d'autant plus précaires qu'à l'échelle du groupe, les suppressions d'emplois touchent la plupart du temps les intérimaires, selon Julien Juif. « La poste avait ralenti les réorganisations après la vague de suicides de ces dernières années. Ils auraient dû renforcer l’effectif au lieu d’en supprimer. » 

Un accord social signé, assure la poste

Concernant les différentes problématiques abordées dans cet article, la direction de la Poste nous a adressé cette unique déclaration :

« Tous [ces] points ont été partagés dans les instances de dialogue social prévues à cet effet et dans le cadre de la préparation de la nouvelle organisation mise en place le 3 novembre dernier sur le site de Besançon. 

Cette nouvelle organisation fait l’objet d’échanges réguliers entre la direction et les agents et organisations syndicales afin de mettre en place les ajustements nécessaires pour garantir le service attendu par nos clients dans les meilleures conditions de travail pour nos agents.

Un accord social a été signé avant la mise en œuvre de cette organisation prenant en compte les observations des organisations syndicales présentes. »

 Des observations consignées à titre consultatif, objecte SUD.

*Le prénom a été changé

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