Les femmes qui accouchent par césarienne se sentent souvent dépossédées de leur accouchement. Pour y remédier, les équipes du CHU de Besançon (Doubs) ont modifié leur manière de pratiquer cette intervention chirurgicale. La césarienne "bienveillante" cherche à reproduire "le scénario d'un accouchement naturel". On vous explique comment.
Il est à peine 8 h au CHU Jean-Minjoz de Besançon (Doubs) ce mercredi 10 avril 2024 quand le couple franchit la porte de la maternité. C'est le grand jour pour Sabrina. Mais surtout pour Nacer, son mari. "Un très grand jour, mon garçon, enfin !" sourit le futur papa. Il n'était pas là, aux côtés de sa femme, pour voir naître sa première fille, Maëlys, 10 ans aujourd'hui. Et encore en déplacement pendant plusieurs mois à l'étranger pour la naissance de Nahla, 5 ans, la cadette. Mais aujourd'hui, pas question de faire faux bond à Sabrina pour l'arrivée du petit dernier.
"Je n'ai jamais pu l'accompagner dans ses grossesses, donc je vais essayer de le vivre à fond, explique-t-il à France 3 Franche-Comté. Ça me fait plaisir d'être là pour l'assister, pour pouvoir la rassurer. C'est très important de l'accompagner dans ce moment-là où c'est peut-être encore plus dur, où le stress est à son summum en fait."
Une césarienne différente
Car c'est le troisième accouchement par césarienne pour la jeune femme âgée de 32 ans. Mais cette intervention programmée ne ressemblera pas aux précédentes. "La première, c'était une césarienne d'urgence, raconte Sabrina. Je l'ai un peu mal vécue parce que j'aurais voulu accoucher par voie basse et que ça ne s'est pas passé. J'étais frustrée donc. Mais ce matin, je suis arrivée angoissée, mais plus sereine parce que tout est programmé, calé. C'est plus agréable de le vivre comme ça et d'être plus zen."
Derniers échanges avec la sage-femme et le médecin qui va pratiquer la césarienne puis direction le bloc opératoire où tout est différent cette fois. Le couple a choisi la musique qui va être diffusée sur une enceinte Bluetooth. Le père va pouvoir rester avec l'équipe tout au long de l'intervention. Et même sous rachianesthésie, la mère va, elle aussi, pouvoir participer, grâce au Winner flow, un embout d'expiration freinée mis au point par un distributeur de matériel médical installé à Meursault (Côte-d'Or).
"Le scénario d'un accouchement naturel"
Une fois l'incision réalisée, la parturiente souffle dans ce petit "sifflet" qui lui permet de contracter ses muscles abdominaux profonds et d'accompagner mécaniquement la sortie du bébé. Comme pour reproduire "le scénario d'un accouchement naturel". Derrière le champ transparent, elle peut voir la tête de son enfant sortir de son ventre, puis, très vite, son nouveau-né qui lui tend les bras. Sabrina en a les larmes aux yeux.
Ça a été rapide, aucune douleur, la sensation était bien là. C'était la première fois que j'ai pu le voir sortir donc c'était beau. Le voir sortir comme ça d'un coup, je trouve que c'était magique !
Sabrina, mère de Zayn.
48 cm et 2 kilos 990, Zayn est aussitôt placé tout contre sa mère, peau à peau. "Là, c'est vraiment l'idéal, explique Emmanuelle Ecoffet, la sage-femme qui a préparé Sabrina à cette aventure. Quand on peut se faire son projet à l'avance, lorsque tout se passe comme prévu, que tous les souhaits sont réalisés, c'est aussi des fois la réparation d'autres accouchements qui ont pu être plus brusques, imprévus et traumatiques."
Améliorer le vécu de l'accouchement
Une manière plus douce, c'est sûr, d'aborder une césarienne souvent redoutée par les femmes. Selon les spécialistes, elles éprouvent de la peur et de l'anxiété quand elles vont au bloc opératoire et appréhendent les douleurs postopératoires.
Une façon aussi d'améliorer le vécu de l'accouchement. Des études scientifiques ont montré qu'une expérience positive de l'accouchement sera bénéfique sur la santé de la mère. Elle favorisera la relation avec l'enfant et lui apportera plus de confiance et une meilleure estime d'elle-même. En revanche, une expérience négative peut entraîner un syndrome de choc post-traumatique ou une dépression du post-partum.
"Depuis qu'on fait ce genre de césariennes, ça change tout, c'est vraiment vécu comme un vrai accouchement, reconnaît Yolande Maisonnette, la gynécologue obstétricienne qui a opéré Sabrina. C'est un peu plus difficile à mettre en place quand il est 2h du matin, que c'est l'extrême urgence, mais, par exemple, le champ transparent, on essaie toujours de le mettre en place."
Je pense que le fait de voir sortir le bébé de son ventre, le fait d’avoir son compagnon ou sa compagne, la personne qu’on aime à côté de soi, et puis cette rencontre qui a vraiment lieu, ça change tout !
Yolande Maisonnette, gynécologue-obstétricienne CHU de Besançon.
"Ce qui rend cette césarienne à part, c'est que les patientes sont actrices de cette naissance, insiste Emmanuelle Ecoffet, la sage-femme. Elles vont choisir le jour de la naissance, arriver debout à la maternité. On leur explique comment cela va se passer pour qu'elles puissent s'approprier ce bloc qui est assez inhospitalier, elles vont mettre leur musique, oublier tout le reste, les lumières, les chirurgiens, les anesthésistes. Nous, on est là juste pour les aider à mettre au monde leur bébé en sécurité, mais si on peut se faire oublier, c’est mieux !"
Une philosophie de la bienveillance
"Que ce soient les chirurgiens, les sages-femmes, les anesthésistes, les pédiatres, nous nous sommes engagés à faire en sorte que les parents puissent être vraiment impliqués au moment de la naissance, confirme le professeur Nicolas Mottet, chef de service du pôle mère-femme du CHU de Besançon. Et on se rend compte qu’on peut adapter ce milieu opératoire sécurisé pour répondre à certaines attentes des parents. On voit bien que c’est largement faisable."
On voit qu’on arrive à rendre cette intervention chirurgicale différente et qu'elle ressemble à une naissance normale. On peut arriver à rendre ce moment-là plus humain.
Pr. Nicolas Mottet, chef de service du pôle mère-femme du CHU de Besançon.
La bienveillance avant tout. C'est le credo des équipes de la maternité depuis plusieurs années. "Il y a toutes nos politiques sur la protection du périnée, sur le choix des accouchements instrumentaux, sur le fait de bien réserver les césariennes aux bonnes indications, ajoute le Pr. Nicolas Mottet. Mais quand on a une césarienne, on veut aussi la faire dans cette philosophie, cette nécessité d'être bienveillants avec les patientes et de considérer la naissance comme un évènement unique."
Le patron de la maternité rappelle aussi l'importance de cette démarche dans un hôpital universitaire. Il mise sur le "compagnonnage" pour donner cette culture aux étudiants. "On pourrait banaliser la césarienne en disant que c'est un simple geste chirurgical, une laparotomie qu'on fait à la patiente. Mais non, c'est bien plus que ça ! Il faut montrer aux jeunes en formation que c'est hyper important pour eux, dans leur pratique future, quand ils seront aux manettes, qu'ils se disent : quand je fais une césarienne, je la fais avec bienveillance, je communique avec la patiente et j'essaie de montrer que ce moment-là, je le respecte aussi."
Le taux de césariennes en France, en augmentation constante jusqu’en 2007, s’est depuis stabilisé autour de 20%. Il est seulement de 15 % au CHU de Besançon.