"C’est plus cher d’acheter 6 steaks végétaux qu’un poulet", débat à la convention citoyenne pour le climat et la biodiversité de la Région Bourgogne-Franche-Comté

Pendant que les agriculteurs en colère levaient leurs barrages, des Francs-Comtois et des Bourguignons se sont retrouvés à Dijon les 2 et 3 février pour la Convention Citoyenne pour le Climat et la Biodiversité organisée par la Région. FOCUS : Comment favoriser une production agricole locale et saine ?

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Nadia, Elsa, Jérôme, Khadija et une trentaine d'autres citoyens de Bourgogne ou de Franche-Comté se sont retrouvés pour la 3 e fois pour débattre, réfléchir, écouter. Depuis la première session de novembre à Besançon, ils passent deux jours ensemble en tant que citoyens de la Convention pour le Climat et la Biodiversité.

Au printemps, ils présenteront aux élus ce qu’ils proposent pour avoir des « modes de vie plus durables » en Bourgogne Franche-Comté, une région où le climat méditerranéen s’imposera dans trente ans.

Moi, quand je suis arrivée ici, je n’étais pas écolo car je pensais que je n’étais pas concernée mais depuis que j’ai appris qu’en 2050 le climat de Dijon serait méditerranéen, cela remet l’église au milieu du village.

Elsa, citoyenne Convention pour le climat et la biodiversité

Comment habiter, travailler, se déplacer, vivre ensemble et consommer de façon « durable » ?

Pour trouver des actions à proposer au printemps prochain aux élus du conseil régional, la méthode est rodée grâce au savoir-faire de l’agence Missions publiques. La parole circule afin qu’un consensus finisse par émerger, les citoyens travaillent en petit groupe et changent régulièrement de thèmes. Habiter, se déplacer, vivre ensemble, travailler et consommer.

Après la pause du matin, Nadia a choisi de venir à l’atelier «Consommer », elle finit par sortir son portable pour retrouver une information qui l’avait marquée. Parmi les six propositions en cours de discussion autour de la consommation, deux concernent l’agriculture.

Une alimentation locale et saine

En décembre dernier lors de la 2e session, la majorité des citoyens avaient exprimé leur accord pour soutenir « une transformation radicale des modes de consommation- c’est-à-dire une consommation responsable locale et sobre ».

Cette fois-ci pour ce 3e rendez-vous, ils ont à débattre sur les actions à mettre en place pour cette consommation puisse « aller massivement vers la production locale, de saison et plus sobre ».

Ces citoyens veulent des « prix attractifs et justes pour les achats locaux et responsables écologiquement ».  

En clair, comment manger local, sain et pas cher ? Dès les premières discussions de cet hiver, l’argent, celui du pouvoir d’achat des participants mais aussi celui des budgets de l’Etat ou des collectivités est au cœur des échanges.

Le « pas cher» , le voilà qui s’étale sur l’écran de téléphone de Nadia. C’était le 25 janvier. Un article du quotidien Sud-Ouest raconte comment des adhérents des Jeunes Agriculteurs de Lot-et-Garonne ont intercepté un camion à la cargaison hautement symbolique de leur combat.

«Le poulet congelé circulait dans un camion portugais, qui tractait une remorque immatriculée dans un pays de l’est de l’Europe » détaille le journaliste du quotidien. Selon les agriculteurs, cette viande brésilienne a été congelée fin 2022, elle a transité par le port de Rotterdam et devrait être livrée en France ou au Portugal. L’histoire ne dit pas où ces colis, symboles du libre-échange, seront finalement livrés et à quelle sauce ils seront cuisinés.

Autour de la table, les citoyens de la Convention ne sont pas étonnés. « Là, c’est juste un camion mais il devrait y en avoir d’autres » remarque Maxime.

Si la crise agricole a fait la une des journaux, elle n’a pas monopolisé les discussions des citoyens. C’était plutôt comme une toile de fond difficile à maîtriser, facile à soutenir.

Khadija l’affirme sans hésitation. « Manifester comme les agriculteurs, il y a que cela qui marche ». Elle est aide-soignante à Quétigny (Côte d’or). Elle aussi a participé à l’un des ateliers « consommer ».

Le vendredi, une vingtaine d’experts, appelés « groupe transverse » sont venus participer aux échanges des citoyens. Là, pour une fois, ces universitaires, cadres de la Région ou d'autres établissements, tous engagés et préoccupés par le changement climatique, avaient en face d’eux des citoyens qui pouvaient leur expliquer de vive voix pourquoi, eux, ne changeaient pas leurs pratiques aussi vite qu’ils le souhaiteraient.

Deux mondes pour une transition

« Vous avez vu le prix du kilo de riz ? interroge Khadija. Moi, je stocke ! » La jeune femme a essayé le vrac, « mais c’est trop cher » regrette-t-elle. Face à elle, Fredéric Jan, salarié de l’ADEME ( Agence de la Transition Ecologique) , le reconnaît« Le vrac, aujourd’hui, on ne vend que du haut de gamme. C’est le problème du vrac qui ne cible que les bobos ».

 

La discussion est riche, posée et attentive. Aucun affrontement mais comme une impossibilité à avancer. En ouverture de session, la présidente de Région PS, Marie-Guite Dufay est venue rappeler aux citoyens de la Convention qu’ils étaient une « brique » de la planification écologique en train d’être élaborée par l’Etat et le conseil régional.

L’alimentation représente 22% de l’empreinte carbone de notre consommation totale. Elle est le 3e poste le plus émetteur de gaz à effet de serre après le transport (30%) et le logement (23%).

Notreenvironnement.gouv.fr

Je suis assez admirative de votre travail. Continuez ! Creusez bien les obstacles. Pourquoi il y en a, où sont-ils ? Nous politiques, nous devons lever les obstacles.

Marie-Guite Dufay ,présidente de la Région BFC (PS)

Ce jour-là, autour de la table «consommer », les « obstacles » à lever sont essentiellement nicher dans le porte-monnaie. Même si son père ne conçoit pas un repas sans viande, Khadija a fait ses comptes. Diminuer son empreinte carbone en privilégiant les céréales et les oléagineux peut coûter plus cher que d'acheter de la viande. 

S’ils veulent que l’on adhère, il faut que cela soit dans mes moyens. Pour une famille, cela coûte plus cher d’acheter six steaks végétaux qu’un poulet »

Khadija, citoyenne de la Convention pour le climat et la biodiversité

Il suffit d’aller sur le site d’un des géants de la grande distribution pour vérifier  les propos de la jeune femme. Le steak veggie est à 16.94 euros le kilo et les cuisses de poulet « élevage 100% local » est à 5 euros le kilo.

Le diagnostic, ou plutôt l’équation impossible est posée. « Aller massivement vers la production locale, de saison et plus sobre » tout en maintenant des « prix attractifs », c’est la quadrature du cercle.

Des solutions existent mais …

Les citoyens ne baissent pas les bras. Ils sont motivés même si la plupart n’ont aucune illusion sur l’issue de cette convention. Des pistes d’actions fusent pour les deux objectifs « accéder à des produits locaux et sains » et « retrouver goût à faire soi-même la cuisine ».

« Chercher les angles morts, valider les pistes » répète les facilitateurs de Missions publiques. Ateliers cuisines, application pour comparer les prix des grandes surfaces et des producteurs locaux, meilleure diffusion de l’information, fête de quartiers pour diffuser des recettes, aide à l’installation de magasin de producteur… Actuellement, ce ne sont que des pistes de travail, rien n'a été validé définitivement par les citoyens.

Pour Jérôme, on pourrait mettre « à disposition pour les agriculteurs des espaces de vente. C’est aux collectivités de faciliter la logistique de la distribution de produits locaux ». Dans un autre groupe, Marie-Françoise répondra « cela existe chez moi, cela s’appelle Esprit paysan ».

Les solutions existent déjà en Bourgogne Franche-Comté comme ailleurs en France mais elles sont soit inadaptées au plus grand nombre soit peu connues soient difficilement généralisables.

Les AMAP, c’est quoi ?

L'une des solutions pourrait être de proposer plus d'AMAP dans notre région. Très peu de citoyens connaissent l’existence des AMAP. Ce sont des Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne. Les consommateurs s’engagent financièrement auprès de producteurs qui, en échange, livrent des produits locaux et sains. Il existe un site régional qui recense toutes les AMAP de Bourgogne-Franche-Comté. Mais pour une partie des citoyens, c’est trop cher, trop compliqué.

Carole Zakin, du Parc national Haut-Jura résume en une phrase le défi des années à venir en s’adressant aux citoyens assis à côté d’elle.

Vous avez bien identifié les enjeux, la difficulté est de mettre en pratique, de massifier, que tout le monde adhère.

Carole Zakin, Parc national Haut-Jura.

Et quand on croit avoir trouvé une piste d’action pour concilier pouvoir d’achat et agriculture durable, c’est la douche froide.

La fausse bonne idée de la TVA réduite

Au cours de ces deux journées de travail, l’un des participants lance « Et si on faisait une TVA à taux zéro pour les producteurs locaux ? »

L’idée est séduisante mais en trois clics sur la toile, elle s’effondre. En septembre 2021, Pierre Cordier, député des Ardennes (LR), avait justement proposé au gouvernement « l’exonération de la TVA sur les opérations de vente directe des agriculteurs ». Réponse du gouvernement, cela relève du droit européen et ce n’est pas prévu par l’Europe. Une telle exonération pourrait même « être pénalisante » pour les producteurs soumis à la TVA qui perdraient ainsi « un droit à déduction".

L’impasse du chèque alimentation durable

Autre piste mais vite abandonnée par les citoyens qui suivent l’actualité. La mise en place d’un « chèque alimentation durable ». C’était l’une des propositions de la Convention Nationale Citoyenne pour le Climat. Il s’agissait de "verser chaque mois une aide aux foyers les plus modestes, pour les aider à consommer des produits alimentaires durables, français et bio."

En juin 2020, le président de la République « valide en personne la proposition devant le parterre de la Convention » relate le site PublicSenat, cela devient même une promesse de campagne électorale pour le second mandat du locataire de l’Elysée. Le « chèque alimentation durable » finira par être enterré par le ministre du Budget Bruno Lemaire en janvier 2024. « Oublions la politique des chèques, nous n’en avons pas les moyens » déclare le ministre chez nos confrères de France 3.

Sur le site officiel de l’administration française, un article datant de mars 2023, précise qu’un plan d’aide alimentaire pour les personnes précaires « Mieux manger pour tous » sera « déployé dès le printemps 2023 avec un fonds de 60 millions d’euros. « Un processus moins complexe à mettre en place que le chèque alimentaire » précise le site gouvernemental qui précise même que « des chèques verts et solidaires » existeraient déjà à Rennes et Dijon. Ce plan prévoit même une action envisagée par les citoyens : « des ateliers verts et solidaires, pour donner des recommandations nutritionnelles et favoriser l’apprentissage de la cuisine. » Pendant ces deux journées de travail passées au Creps de Dijon, personne n’a évoqué ce plan « Mieux manger pour tous » à la fois si proches des aspirations des citoyens et si loin de leur quotidien.

Là, on est une minorité de personnes, comment va-t-on réussir à avoir un impact ?

Alexia, citoyenne de la Convention pour le climat et la biodiversité

Les citoyens le savent. Ils ne sont qu’ "une brique" du projet de la Région pour accompagner la Transition agroécologique. Ils ne se font guère d’illusion sur leur impact face au poids de l’industrie et aux enjeux de pouvoirs.

La présidente de région, Marie-Guite Dufay, l’a assuré. "J’ai un engagement. Cet exercice est le vôtre. Les élus auront à reprendre votre travail. Cela doit déboucher sur des actions que je devrais traduire en politiques publiques". Autre promesse, tenir une 6e session pour que les citoyens puissent contrôler la mise en place de ce qui aura été validé par le conseil régional d’ici l’été 2024.

 

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