RÉCIT. "Je ne ferai pas d’efforts toute seule" : immersion à la convention citoyenne pour le climat et la biodiversité de la région Bourgogne-Franche-Comté

Pendant dix jours, des citoyens et citoyennes vont débattre, réfléchir et approfondir leurs connaissances pour proposer des actions afin de lutter contre le réchauffement climatique et la chute de la biodiversité en Bourgogne-Franche-Comté. Ils participent à la convention citoyenne pour le climat et la biodiversité organisée par le conseil régional.

La question a fusé comme un boomerang. La présidente de région, Marie-Guite Dufay (PS) venait tout juste de donner la parole à la salle après sa courte allocution de présentation de la convention citoyenne. D’ici l’été, les citoyens tirés au sort présenteront aux élus des propositions pour rendre leurs modes de vie plus « durables et robustes » face  à la crise climatique et à l’effondrement de la biodiversité. Ouahiba, employée comme Atsem dans une école d’Audincourt, saisit la balle au bond.  "Que peut-on faire pour empêcher les déchets sauvages ?" Réponse de la présidente : « C’est une question prioritaire. Vous avez raison. » A une nuance prés. La Région n’a pas la compétence directe de la gestion des déchets. Mais, la collectivité a établi en novembre 2019 un Plan Régional de Prévention et de Gestion des Déchets. Il n’en sera pas question au moment de cet échange. Trop tôt pour en parler.

Des citoyens et citoyennes tirés au sort

D’abord, il s’agit de faire connaissance. Qui peut bien prendre dix journées entières de son temps de novembre 2023 à juin 2024 pour participer à cette convention citoyenne ? La société chargée d’animer ce débat, Missions Publiques, n’est pas encore parvenu, pour cette première, à convaincre cinquante habitants de notre région à venir débattre et "contribuer aux politiques publiques sur les enjeux cruciaux du climat et de la biodiversité". Peur de perdre son emploi, manque d’effectif pour être remplacé, problème de déplacement … Les freins sont réels.

Pour constituer ce panel "qui n’est pas strictement représentatif de la Bourgogne-Franche-Comté puisqu’une surreprésentation des jeunes a été souhaitée" rappelle Marie-Guite Dufay, 13 973 coups de fil ont été passés depuis la fin octobre par des spécialistes des sondages, IRS Quality. La veille de cette première session, 43 habitants de Bourgogne-Franche-Comté avaient dit qu’ils viendraient participer à ces deux journées dans les locaux de la Région à Besançon, trente sont finalement venus.

"Des personnes se sont excusées, elles n’ont pas pu venir pour des raisons personnelles. Mais, il nous manque des hommes qui vivent à l’ouest de la région" reconnaît Erwan Dagorne, directeur de projets participatifs et concertation de Missions Publiques. La Nièvre et l’Yonne sont pour l’instant les départements sous représentés. Les habitants du nord Franche-Comté et des environs de Dijon ont largement répondu à l’appel.

Une parole respectée

Retraités, actifs, étudiants, toute classe socio-professionnels confondus, partagent tous une envie, un désir pour leur quotidien. Pas forcément le même. Le plus frappant pendant ces deux premiers jours d’échanges, c’est le respect de la parole de l’autre. Ils ne sont pas d’accord, le disent, même en souriant. On est à mille lieues des invectives sur les réseaux sociaux ou les plateaux TV.

Au bout de cette première des cinq cessions prévues, tous soulignent "la bienveillance et l’écoute" du groupe. Ils ne se connaissaient pas avant de venir et les voilà embarqués dans le même bateau. Ils ne savent pas encore eux-mêmes le contenu des recommandations qu’ils vont transmettre en mars 2024 aux élus de la Région. Seule certitude, en 2050, le climat de la Bourgogne-Franche-Comté sera celui de la Méditerranée aujourd’hui. Une vérité cash rappelée par Daniel Gilbert, professeur en écologie à l’université de Franche-Comté. Son intervention et celle de son confrère Patrick Giraudoux sur les signes manifestes de l’effondrement de la biodiversité ont fait mouche.

Un pari politique

Face à l’adversité, l’être humain se serre les coudes. C’est peut-être pour cela que ce petit groupe a si vite trouvé une forme de connivence dans les différences. Ce qui les fédère sans doute aussi, c’est cette nécessité de ne pas être dupés par les élus. Marie-Guite Dufay, le sait. Les élus du conseil régional sont attendus au virage de juin 2024.

J’entends la convention citoyenne nationale a accouché d’une souris, je m’insurge contre cela. Ce n’est pas vraiment le cas.

Marie-Guite Dufay, présidente PS de la Région BFC

En juin 2020, les 150 citoyens de la convention nationale pour le climat avaient remis au président de la République Emmanuel Macron, 146 mesures pour "réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre en France d’ici à 2030 par rapport à 1990 et dans un esprit de justice sociale". On se souvient de l’engagement d’Emmanuel Macron de reprendre "sans filtre" les propositions "abouties et précises". Mes confrères du Monde ont eu la bonne idée de tirer un bilan détaillé en février 2021de cette convention qui devait "changer en profondeur" notre société. "Cet examen montre que les souhaits de la convention ont rarement été repris à l’identique, écrit Le Monde. Seulement 12 % ont fait l’objet d’une reprise intégrale."

Le plus souvent, précise Le Monde, le gouvernement suit l’intention des citoyens, mais ne va pas aussi loin que la convention dans l’adoption de dispositifs contraignants pour les entreprises, les collectivités ou les particuliers. 

Le Monde. Juillet 2020

C’est justement parce qu’il a été "échaudé" par la convention nationale qu’un artisan de Haute-Saône a accepté de participer à celle organisé en région Bourgogne-Franche-Comté. "Je vais venir voir si c’est différent" explique-t-il dès les présentations.

Ne pas décevoir

"On sait qu’on a des impératifs climatiques mais sans les 2.8 millions d’habitants de Bourgogne-Franche-Comté, on n’y arrivera pas" estime Stéphanie Modde, vice-présidente EELV en charge de la transition écologique. L’élue rappelle que les actions doivent s’inscrire de préférence dans le champ de compétences de la Région.

Et si cela n’est pas de ressort, la Région transmettra aux pouvoirs publics concernés "pour que vous ne soyez pas frustrés" admet-elle. "On ne dira pas que l’on peut tout faire, affirme la présidente de Région. Il faut que l’on soit le plus concret possible". Marie-Guite Dufay a reconnu lors de la conférence de presse que "l’action publique est tellement décrédibilisée qu’il ne faut pas décevoir." Fait assez exceptionnel selon Erwan Dagorne de Missions Publiques, les élus de Bourgogne-Franche-Comté, se sont engagés pour participer à un vrai "cycle de discussions". Elus, agents régionaux et citoyens de la convention devraient travailler ensemble.  

Les modes de vie en question

Voilà pour les préambules, passons au plat de résistance. "Comment vivre, se nourrir, se déplacer, travailler se loger" dans notre région ? C’est à la trentaine de citoyens tirés au sort "d’imaginer des modes de vie désirables pour habiter et vivre en Bourgogne-Franche-Comté". Vaste mission…

Pour affronter le problème, il faut basculer, changer de monde, voyager, manger, s’habiller différemment.

Daniel Gilbert, Université de Franche-Comté

Par petits groupes, les discussions s’engagent. Waffa, 20 ans, Dijon, BTS economie sociale familiale, l’affirme tout simplement. Impossible pour elle de ne pas acheter une tarte à la fraise en hiver. Waffa économise l’eau et trie ses déchets mais elle a ses limites comme nous tous.

Je ne ferai pas d’efforts toute seule. Je suis prête à faire des sacrifices à partir du moment où c’est collectif.

Waffa, 20 ans

Jade, elle, ne se passera pas de sa voiture. "Pour une question de sécurité" dit-elle. Le changement dans sa vie quotidienne, pour cette jeune femme n’est pas à l’ordre du jour. "J’ai grandi comme cela, je continue comme cela, donc je n’ai pas d’avis. Je ne vois pas ce que je pourrais changer".

L'utilité des "petits cailloux"

D’autres ont déjà changé leurs modes de vie. Frédéric, retraité à Dijon, a abandonné sa voiture pour aller au centre-ville.

À Dijon, il n’y a plus beaucoup de place pour la voiture. J’ai pris l’habitude de me déplacer à vélo. C’est plus facile pour se garer. On nous oblige à changer nos façons de faire.

Frédéric, retraité.

"L’eau, je fais attention, raconte Sylvie, restauratrice et résidant à Evette-Salbert. J’ai un seau dans la douche pour les WC. Je fais mon jardin. C’est plein de petits cailloux pour la planète. Ce n’est pas une contrainte. Je me sens responsable de transmettre une planète en meilleure santé à mes petits- enfants." Un des jeunes citoyens lance un "Merci" dans l’assistance.

Le chant de la chouette

Tous ont compris l’urgence. Ils sont touchés quand Jules, 18 ans, déplore qu’il n’entend plus la chouette de chez ses grands-parents. Il vit à Marsonnay-la Côte. En 2022, rappelle Patrick Giraudoux, professeur émérite d’écologie à l’université de Franche-Comté, nous serons plus de huit milliards d’habitants sur terre. Les activités humaines sont devenues si envahissantes qu'elles détruisent les habitats et induisent les changements climatiques.

La responsabilité de l’être humain n’est pas remise en cause par les citoyens, c’est la réponse au problème qui ouvre le débat. Elsa, 29 ans, a monté son entreprise de nettoyage industriel à Hericourt, elle revendique son côté cash "S’il n’y avait que des gens comme moi, il n’y aurait pas de convention. Moi, je ne suis pas pour les petits pas, Pourquoi moi, je m’entêterai comme une petite fourmi alors que la reine ne fait rien ?". Un autre trentenaire lui rétorque aimablement "Imagine que les fourmis se rebellent contre la reine ?"

Le sens de l'intérêt général 

Qui impose quoi à qui ? Quel est ce jeu de dupe qui se joue à trois entre les pouvoirs publics, les entreprises et les citoyens ?

"Ce sont les entreprises qui imposent le plus notre mode de vie" estime Mohamed, 36 ans, cuisinier à Dijon : "Elles arrivent à imposer des nouveaux usages qui servent leurs intérêts. Il faudrait que cela soit plus pour l’intérêt général." Le jeune homme est investi dans la transition écologique.

Tout cela, je le fais par conviction personnelle. C’est plus pour une question de valeurs à transmettre aux enfants. Mais il faudrait que les politiques aient les couilles de s’imposer face aux grands industriels.

Mohamed, Cuisinier

Florence a été applaudie lorsqu’elle a résumé ses émotions après avoir écouté les experts du climat. "J’aimerais être dans l’action mais je suis plutôt dans une énorme tristesse quand je pense à tout ce laxisme" exprime-t-elle un sanglot dans la voix. "Effectivement, j’entendais Nicolas Hulot qui alertait les politiques déjà dans les années 80 qui s’en fichaient. On a le pouvoir de s’exprimer mais quel pouvoir d’action on va avoir ?"

Comment croire en nos politiques ? La région aura quel pouvoir ? Ce n’est pas nous qui allons changer le monde !

Florence

Le professeur Daniel Gilbert met en garde contre les discours simplistes de certains politiques. "Les autres vous disent de changer vos habitudes, mais avec nous vous ne changerez rien" ou "c’est la faute des autres pays ou des étrangers" peut-on entendre. Pour l’écologue, "la démocratie est en danger".

Seule la concertation et une meilleure répartition des richesses peuvent permettre de répondre aux enjeux. Mais il faudra du temps, des méthodes de prises de décisions collectives qui seront longues et complexes à mettre en œuvre.

Daniel Gilbert, professeur à l'université de Franche-Comté

C’est justement ce que viennent d’entamer ensemble ces citoyens en exerçant une forme de démocratie directe. Quelques-uns ont exprimé leur joie d’y participer. Un jeune homme l’affirme "Cela me procure de la joie. Je suis dans l’action !" 

Même si ce mot n’a pas été prononcé, une forme de retour à la "sobriété heureuse" prônée par Pierre Rabhi a été plusieurs fois envisagée comme une possibilité de mode de vie "robuste et durable".

"Donner du sens à nos choix de consommations, ne plus parler d’engagement mais de bon sens puisqu’il faut le faire tous les jours" C’est l’une des pistes envisagées pour rendre "désirable" ces nouveaux modes de vie adaptés au changement climatique et à l'effondrement de la biodiversité. Tous, l’admettent, "on a besoin d’un horizon commun".

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