ENTRETIEN. "Il faut donner des rôles modèles aux jeunes filles", Aurore Claude-Taupin, chercheuse en cancérologie lauréate du prix Jeunes Talents L’Oréal - UNESCO

Aurore Claude-Taupin, une Franc-Comtoise spécialisée dans la recherche contre le cancer, fait partie des 35 lauréates du prix Jeunes Talents L’Oréal - UNESCO pour les femmes et la science 2023. Une distinction très importante pour elle, notamment pour démocratiser la recherche et les sciences auprès des jeunes filles. Entretien.

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Aurore Claude-Taupin ne cache pas sa joie et on la comprend. La native de Haute-Saône vient de recevoir un prix important. Il récompense son engagement professionnel et des années de recherche en cancérologie. Elle est lauréate du prix Jeunes Talents L’Oréal - UNESCO pour les femmes et la science 2023, aux côtés de 32 autres femmes scientifiques.

Postdoctorante au sein de l'Institut Necker Enfants Malades (INEM) de Paris, elle explore le potentiel de l’autophagie (en savoir plus sur l'autophagie) dans la lutte contre le cancer et notamment le cancer du rein. Elle s'intéresse tout particulièrement aux cellules métastatiques, qui migrent dans le corps et viennent infecter différents organes. À noter que 30 à 50% des personnes atteintes d’un cancer sont sujettes à faire une rechute métastatique.

J’adore faire des choses que personne n’a jamais faites. J’aime bien les problèmes, surtout les résoudre. C’est cela qui m’anime tous les jours. C’est super motivant, car je me dis que ça peut aider à développer la médecine de demain.

Aurore Claude-Taupin

"Je me suis spécialisée sur l'étude de l’autophagie, cela signifie se manger soi-même. C’est le petit Pacman de la cellule. C’est essentiel pour maintenir nos cellules en bonne santé. On s’est rendu compte que les cellules cancéreuses ont bien compris que ce process était important et elles l’utilisent pour survivre. J’étudie comment je peux toucher l’autophagie au bon moment pour empêcher les cellules métastatiques de survivre. Les cellules métastatiques sont les cellules de rechutes des cancers, quand il va dans d’autres organes. Cela passe essentiellement par les flux sanguins", nous détaille la chercheuse au profil plutôt atypique.

En effet, Aurore Claude Taupin n'a pas suivi le cursus roi : bac scientifique, faculté, doctorat. Elle est arrivée dans l'exigeant monde de la recherche fondamentale par la petite porte, en commençant par un bac technologique, puis un BTS pour ensuite bifurquer sur un doctorat. "Pendant un stage de BTS, j’ai rencontré un chercheur qui avait eu un BTS et qui était devenu chercheur par la suite. Je me suis alors dit que c’était possible", se souvient-elle.

Des inégalités de genre encore trop importantes 

Le prix Jeunes Talents L’Oréal - UNESCO pour les femmes et la science 2023 est pour Aurore Claude-Taupin l'occasion de profiter d'une visibilité dont peu de femmes chercheuses peuvent bénéficier. En plus d'une dotation de 20.000 euros qui lui permet de financer un voyage aux États-Unis pour donner une conférence, la Franc-Comtoise fait la tournée des médias et prend la parole pour rendre hommage aux nombreuses femmes chercheuses trop souvent invisibilisées. "En biologie, on est beaucoup de femmes à faire des thèses, mais très peu finissent directrice de laboratoire. Il y a encore un plafond de verre", analyse-t-elle pour France 3 Franche-Comté.

De plus, les comportements discriminatoires de certains confrères sont encore trop fréquents. "J’ai déjà entendu, de la part de certains de mes chefs, des petites remarques sexistes ou même des tentatives d’intimidation, ou des propos pour me rabaisser", confie la chercheuse en cancérologie, dénonçant les biais de genre qui persistent dans ce domaine. "Une science dans laquelle subsistent des biais de genre (ndlr, en savoir plus à propos des biais de genre) ne peut parvenir à produire des solutions qui répondent efficacement aux besoins de notre monde, de la société et des femmes en particulier, explique de son côté la Fondation l'Oréal. Dès lors que la recherche est majoritairement dominée par les hommes, les femmes, comme en attestent différentes études, sont perdantes dans l’innovation médicale et technologique".

La dotation s'accompagne d'une formation pour les chercheuses afin de les aider à mieux appréhender et répondre aux inégalités de genre qui persistent dans ce milieu. "On vient de rentrer d’une formation avec toutes les lauréates, pour nous aider à mieux négocier nos salaires, mieux réagir aux remarques sexistes. On entend tout le temps parler de quota... Je ne savais pas quoi répondre à ce genre de pic. On nous a donné toutes les clés", se réjouit Aurore Claude-Taupin. Elle en avait déjà conscience, mais les inégalités lui apparaissent de plus en plus visibles et insupportables, d'autant plus depuis qu'elle est "maman de deux petites-filles"

Quand nous avons discuté avec les autres chercheuses, on s'est rendu compte qu'on a toutes subi à peu près les mêmes choses. Par exemple, certaines filles sont dans l’informatique et n’ont à faire qu’à des hommes. C’est dur pour elle.

Aurore Claude-Taupin

"Il faut donner des rôles modèles aux jeunes filles. En vrai, on n’a pas le choix de se serrer les coudes. Il faut créer des déclics, pour montrer que plein de femmes réussissent et que c'est possible", insiste la chercheuse de 33 ans. Un rôle modèle est une personne exemplaire par son parcours, son œuvre ou encore ses valeurs, et à laquelle une personne peut s'identifier. C'est grâce à la multiplication d'exemples féminins de réussite dans les domaines scientifiques qu'une petite fille au collège, ou une jeune femme au lycée, pourra se sentir légitime d'entreprendre des études scientifiques. "Moi, je n’ai pas eu cette chance-là, je n'avais pas de modèle de femmes scientifiques. Je ne suis pas allée à la fac, car j’avais peur de l’échec", se souvient la post doctorante. 

Encore aujourd’hui en France, les femmes sont trop peu présentes dans la recherche scientifique. Elles ne représentent que 29% des postes, contre 33,3% au niveau mondial. Ce constat est la même dans d'autres disciplines de recherche. Si en 2023, Claudia Goldin en économie, Narges Mohammadi pour la paix, Anne L’Huillier en physique et Katalin Kariko en médecine ont reçu un prix Nobel, seulement 6,7% de femmes ont cette distinction suprême, depuis sa création en 1901. Et pour Aurore Claude-Taupin de conclure : "Il faut que nous, on se batte pour essayer d’équilibrer tout ça, car tout le monde a à y gagner".

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