En 1916, Pontarlier est en plein marasme économique. L’interdiction de l’absinthe prononcée a provoqué en grande partie la ruine des 23 distilleries et 111 bistrots. Toute une industrie sacrifiée sur l’autel de la lutte contre l’alcoolisme, chez les militaires comme les civils.
L'heure verte
La plante d’absinthe est connue pour ses vertus médicinales depuis l’antiquité. Mélangée à l’hysope, la mélisse, l’anis vert, le fenouil et distillée, le breuvage titre de 68 à 72°. On le déguste à l’apéritif, « L’heure verte » qui inspire les milieux artistiques, de Verlaine à Van Gogh. Né en Suisse, l’absinthe est importée à Pontarlier en 1805. Et en 1870, son succès fait entrer la ville dans l’ère industrielle. La plus grosse usine, La Maison Pernod fils, fait tourner ses 620 alambics dans un établissement ultra moderne, desservi par le chemin de fer. En 1914, 3 000 personnes vivent directement ou indirectement de l’absinthe à Pontarlier, exportant 15 millions de litres dans le monde entier.L'alcoolisation, un problème de société en France depuis le 19ème siècle
Religieux, médecins et patrons combattent ses ravages. Même la CGT dénonce ce « tueur d’énergies et d’organisations prolétariennes ». L’absinthe cristallise ces passions car les gens en consomment à un degré trop fort, en ne la diluant pas suffisament à l'eau. Et les versions frelatées abiment la santé. On accuse l'une de ses molécules, la thuyone, de rendre de fou, mais c'est bien l'alcool excessif qui provoque des crises de démence chez les buveurs. La ligue nationale contre l’alcoolisme mène campagne contre la fée verte dès 1905… L'entrée en guerre va lui porter le coup fatal. Aidée par le lobbying des viticulteurs, qui ont beaucoup souffert du phylloxéra et qui voient dans l'absinthe une concurrence à bas coût. Le 3 août 14, le gouvernement demande aux préfets d’interdire la vente pendant tout le conflit. Le 16 mars 1915, l’assemblée vote l’interdiction de la fabrication, de la vente en gros et au détail, ainsi que de sa circulation.La santé gagne ce que l'économie y perd
A Pontarlier, les distilleries ferment leurs portes, ruinées. L’usine Pernod devient un hôpital militaire. Les ouvriers touchent six mois de chômage ou sont réemployés dans les usines métallurgiques à but de guerre. Les stocks sont retraités par l’armée pour la fabrication de poudre. L’alcool, c’est pour la guerre. Mais dans les années 1990, les produits à base de plantes réapparaitront , la dénomination « absinthe » sera à nouveau autorisée en 2011. De nouvelles distilleries artisanales ouvrent chaque année dans le Haut-Doubs. Un siècle après, Pontarlier retrouve sa tradition, et La Fée verte distille à nouveau son petit parfum de souffre et d’interdit….
Source archives :
- Musée de Pontarlier
- Collection privée Fabrice Herard
- Pathé Gaumont
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©France 3
Découvrez l'histoire de l'absinthe, de Pontarlier et du Haut-Doubs au musée de Pontarlier (site des amis du Musée)
Parcourez la route de l'absinthe entre France et Suisse.
Remerciements : le musée de Pontarlier, Elise Berthelot, Fabrice Herard