INSOLITE. "Bistourner", "lacrymosaure", "zinzinuler"... Il a compilé 2222 mots inconnus ou oubliés dans un drôle de dico totalement gratuit

Il aime les mots anciens, méconnus ou tombés dans l'oubli. Jean-Louis Lesbros redonne des définitions aux expressions du quotidien. Il a patiemment rassemblé le tout dans "Le Fouille-mot", un dictionnaire (pas tout à fait) comme les autres, une encyclopédie "humoristocio-culturelle" qu'il offre gratuitement aux internautes.

Aucun doute, c'est un érudit. Il est entouré de centaines de livres et possède un savoir encyclopédique. Un homme de lettres qui adore jouer avec les mots. Mais Jean-Louis Lesbros, lui, préfère dire qu'il est simplement "emprunt de curiosité". Assurément, le publicitaire à la retraite de Besançon (Doubs) ne souffre pas d'égobésité. Et c'est très modestement qu'il dévoile son étonnant dictionnaire : "le Fouille-mot".

L'ouvrage en impose pourtant : 7 volumes au total, bien rangés dans la bibliothèque de son ordinateur. Sur sa page Facebook, il en publie régulièrement les pages une par une. Une lubie ? Non, plutôt un aboutissement. Voilà presque 10 ans qu'il exhume, classe, archive ces mots méconnus ou oubliés, en faisant bien attention de ne pas en perdre ni son latin, ni son grec ancien. Presque "un travail d'archéologue de la langue française", reconnaît l'infatigable "fouineur".

Car "le Fouille-mot", c'est lui. Il a 80 ans aujourd'hui et a eu de nombreuses vies. Diplômé de l'École des Beaux-Arts de Besançon, il a notamment ouvert et dirigé le département littérature de la librairie bisontine historique Camponovo, travaillé au Centre de linguistique appliquée (CLA) dans la Boucle. Il a aussi participé à la création de L'Espace Planoise avant de s'envoler pour la Polynésie française et de créer une agence de publicité sur l'île de Tahiti.

"Game of thrones"

C'est d'ailleurs à Mahina que cette drôle d'idée a germé en 2013. Toute l'histoire a débuté en fait par une lecture et pas forcément celle qu'on aurait pu imaginer.  "Je suis un très grand fan du 'Trône de fer" ('Game of Thrones' en anglais) la saga de George R. R. Martin, confie-t-il à France 3 Franche-Comté. C'est une série formidable avec un vocabulaire extrêmement riche. Dans les premières traductions qui étaient vraiment fantastiques, et au fil des pages, j'ai découvert des tas de mots en vieux français du Moyen Âge que je ne connaissais pas et dont j'ignorais complètement la signification. Alors, je les ai notés dans un petit carnet. Et j'ai commencé à rechercher leurs définitions." 

Très vite, il a été piqué au vif, explorant tous les dictionnaires spécialisés, retrouvant l'origine de chaque terme désormais inusité ou retrouvant les racines de tous ces néologismes "xyloglottes" (du grec ancien xúloν : bois et glôtta : langue), si chers à Umberto Eco. En effet, le romancier italien, auteur du célèbre "Nom de la Rose" et du "Pendule de Foucault", était aussi un sémiologue et un théoricien du langage qui adorait créer de nouveaux mots, comme dans "Comment voyager avec un saumon", un recueil de chroniques et pastiches publié en 1992.

"Langue de bois"

"C'est la "langue de bois' qui traduit en mots de nombreuses expressions du quotidien, par exemple, 'pelliculopyge' qui signifie 'qui coûte la peau des fesses' ou encore ce mot que ma femme adore : 'orchidoclaste', dont je vous laisserai chercher la définition", sourit avec malice Jean-Louis Lesbros. 

Des professeurs de français du monde entier, qu'il avait rencontrés au CLA de Besançon, lui ont également suggéré des pistes et des mots à ressusciter, qui sont venus compléter ses propres investigations. Des mots qui se sont bousculés, entassés, empilés, au point qu'il ne pouvait plus les garder pour lui seul. C'est un ami informaticien qui l'a alors poussé à partager ces "trésors" sur les réseaux sociaux et sur internet. 

Je n'ai rien inventé. J'ai juste rassemblé tous ces mots dans un dictionnaire et retrouvé leur étymologie. Et je me suis beaucoup amusé.

Jean-Louis Lesbros, créateur et auteur du "Fouille-mots".

Jean-Louis Lesbros a poussé l'exercice de style jusqu'à trouver pour chacune de ses définitions des citations, souvent humoristiques, pour donner plus de relief encore à son dictionnaire. Graphiste de métier, il n'a pas pu résister non plus à la tentation et il a agrémenté chaque mot de nombreuses illustrations "décalées ou détournées".

2222 mots et pas un de plus !

Il lui aura fallu des années, presque huit, pour venir à bout de son projet. Car l'aventure est presque terminée. Il s'est arrêté à 2222 mots exactement, comme il avait prévu. Pas question d'en faire un bibliopotame ! "Il fallait quand même que je me donne une limite sinon je n'aurais jamais pu en voir le bout", explique Jean-Louis Lesbros.

Mon ami Hubert-Félix Thiéfaine m'a parlé un jour d'une troupe de théâtre qui avait décidé de s'appeler "4 litres 12" parce qu'il fallait bien se donner une contenance. Moi, j'ai choisi un nombre qui sonne plutôt bien. Et quand on additionne les chiffres, on obtient le chiffre huit qui une fois couché, est le signe de l'infini ! Pas mal, non ?

Jean-Louis Lesbros, créateur et auteur du "Fouille-mot".

Le "Fouille-mot" n'existe qu'en format numérique et il est disponible gratuitement sur simple demande, pourvu que l'on dispose d'un ordinateur avec suffisamment de mémoire pour l'accueillir. Jean-Louis Lesbros y tenait absolument. Et si pour parachever son œuvre, il devait résumer tout son incroyable travail, il dirait simplement : "ne pas se prendre au sérieux et partager un sourire." Peut-être la plus belle de ses définitions.

10 mots choisis au hasard (ou presque)

Impossible de faire l'inventaire tant la somme impressionnante. Voici quelques mots choisis qui figurent dans le dictionnaire de Jean-Louis Lesbros et dont les définitions valent leur pesant d'or. Dix mots qui donnent surtout le ton de l'ouvrage.

 Abutyrotomophilogène [adjectif] (terme xyloglotte) (figuré) : se dit d'un individu simplet, peu brillant. Personne d'une intelligence réduite ou ayant l'air un peu benêt. Littéralement :  "qui n'a pas inventé le fil à couper le beurre". Étymologie : formé de a-, préfixe privatif, de butyro du grec ancien boùtyron : beurre, de tomo issu de temnein : couper, du latin fila : fil et du suffixe latin genus : qui génère.

Apoxobibliomanie [nom féminin] (terme xyloglotte) : habitude de lire aux toilettes (non attesté par l'Académie Française). Étymologie : composé du grec apoksos : cabinets, de biblio : livre et de mania : folie, démence.

Bistourner [verbe] : tourner, courber un objet dans un sens contraire au sens naturel, de manière à le déformer. (Élevage) : tordre les vaisseaux qui aboutissent aux testicules d'un animal pour le rendre incapable de procréer. Étymologie (XIe siècle) : de l'ancien français bestorner : mal toumer, composé de tourner et du préfixe bes-, de bis : deux fois.

Granonatriofère [nom masculin] (familier) (terme xyloglotte) : qui s'immisce dans une situation où l'on n'était pas spécialement désiré, donner son avis sans que personne l'ait demandé. On peut dire également mettre son gain de sel. Étymologie : composé du latin grano : grain, de natro, du grec ancien niton : natron et du suffixe -fère, du grec ancien phero : porter. Variante orthographique granonatriophière.

Hilarothanatogène [adjectif] (terme savant xyloglotte) : désopilant à l'extrême au point que certains peuvent en succomber. Quelques simplets disent que c'est à mourir de rire ! Étymologie : composé de hilaro-, du grec ancien hilarés : joyeux, du grec ancien Thánatos, personnification de la mort et du suffixe -gène, qui génère, qui forme, du grec ancien génos : race.

Lacrymosaure [nom masculin] (terme savant xyloglotte) : larme de crocodile, tristesse feinte. Contrairement à la croyance populaire, l'expression ne ferait pas référence aux larmes que le crocodile est réputé verser lorsqu'il dévore ses proies, mais se référerait à une ancienne légende gréco-latine selon laquelle les crocodiles du Nil attiraient les naïfs en gémissant. Étymologie : du latin lacrima : larme, lui-même du grec ancien dúkryma et de saros : lézard.

Lantiponner [verbe] (vieilli) : tenir des discours frivoles, inutiles et importuns. (Vieilli) : prendre son temps, tergiverser, faire des difficultés. Étymologie : composé de lent par contamination avec lanterner et du latin ponere : pose, qui donnera pondre.

Oaristys [nom féminin] (littérature antique) : poème élégiaque ou familier. (Rare) (littéraire) : entretien amoureux. (Par extension) : communion d'idées, d'intérêts. Aventure galante, idylle, ébats amoureux.
Étymologie : emprunt au grec ancien oaristus : entretien tendre, amoureux, conversation familière. Variante orthographique : oaristis.

Pastacircopyge [adjectif] (terme savant xyloglotte) : exprime l'admiration pour quelqu'un qui a beaucoup de chance. Quelques roturiers disent qu'il a le c... bordé de nouilles, mais nous ne céderons pas à la vulgarité ! Étymologie :du latin pasta : pâte, emprunté au grec ancien pasta : gruau d'orge, du latin circus : cercle lui-même du grec ancien kyklos et de -pyge, du grec ancien pugé : fesses, postérieur.

Zinzinuler [verbe] (ornithologie) : désigne le chant ou le cri des mésanges et fauvettes. Parfois utilisé de manière générique pour le chant des oiseaux. (Entomologie) : utilisé quelquefois pour décrire le bourdonnement des moustiques. (Figuré) (rare) : répéter inlassablement la même rengaine, prononcer des paroles inappropriées aux circonstances. Étymologie : du latin tardif zinzilulare : gazouiller, jaser, en parlant de certains oiseaux. Formé par onomatopée.

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