Les nouveaux paysans #1 : “Produire une alimentation saine” à la Ferme de la Charme dans le Doubs

Alors que le nombre d’installations agricoles baisse chaque année, des jeunes gens venus d’horizons bien différents se lancent dans l’aventure d’une vie en ayant pour objectif d’exercer un métier qui respecte l’humain, l’animal et la terre. Récit.

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Le soleil se lève à peine pour venir percer le ciel nuageux lorsque je prends la direction de la ferme de La Charme, située près de Dambelin, non loin du pays de Montbéliard. Les champs s’étalent, givrés par des températures hivernales négatives, alors que nous sommes entrés dans le printemps depuis plusieurs semaines. J’ai rendez-vous avec Hélène et Jean-Pierre du GAEC Rapenne. Après des études universitaires, ces deux jeunes paysans de 34 et 36 ans ont choisi de prendre un virage serré pour une vie en accord avec leurs valeurs.

“Jean-Pierre était ingénieur en électricité haute tension et moi j’étais sociologue-anthropologue. C’est par l’écologie qu’on en est arrivés là, en se disant ‘Comment faire pour vivre de la manière la moins pire possible ?’” m’explique Hélène, tout en préparant les pots à lait juste avant la traite. Aujourd’hui, c'est à son tour de s’occuper des vaches, pendant que son compagnon œuvre dans le laboratoire de transformation de fromages. Cette semaine, leurs deux enfants, âgés de 3 et 5 ans, sont chez leurs grands-parents à Besançon.

“Le but c’est que nous sachions quand même tout faire, si jamais l’un d’entre-nous tombe malade. Même si là, je suis plutôt un opérateur pour la transfo (ndlr, transformation du fromage). Pour la mécanique agricole par exemple, je dois le faire. C’est un peu sexiste mais malheureusement c’est vraiment des tâches de bourrins. Hélène ne peut pas dévisser les boulons, par exemple” détaille Jean-Pierre, occupé à faire des crèmes laitières au chocolat dans le laboratoire que le couple a entièrement aménagé dans l’ancienne écurie.

La ferme de La Charme est spécialisée dans l’élevage bovin de races multiples et croisées. Sa production est certifiée en Agriculture Biologique. Grâce au lait des vaches, le duo Franco-Suisse confectionne des produits laitiers fermiers tels que du fromage blanc, des yaourts, des fromages frais, secs ou à pâte molle et vend sa viande de bœuf et de veau sous la mère directement à la ferme ou dans des points de vente spécifiques.

Une formation complète avant le grand bain

Ce projet, c’est le rêve d’une vie. Hélène a toujours aimé cet animal, symbole en quelque sorte de sa Suisse natale. “Quand j’étais petite, je disais qu’un jour j’aurais des vaches. Je trouve que c’est un animal super beau, calme. Et après, c’est vraiment un feeling, tu ne sais pas pourquoi” m’explique la jeune femme qui a grandi avec le personnage d’Heidi en toile de fond.

Pour devenir éleveurs et producteurs de fromages bio, Hélène et Jean-Pierre semblent avoir laissé peu de place à l’improvisation. Avant de se lancer, ils ont chacun repris des formations qualifiantes. Dans ce domaine, qui allie connaissances de la terre, de l’animal mais aussi gestion et valorisation d’une production de A à Z, la moindre erreur peut s’avérer fatale. Jean-Pierre a d’abord choisi le maraîchage et Hélène l'élevage. Ensuite, le couple a voulu mettre la main à la pâte, pour savoir s’il était capable d’encaisser la charge de travail. Le métier de paysan est très exigeant physiquement et psychologiquement, pour des revenus le plus souvent modestes. “On s’est formés d’abord à la transformation dans des petites fermes, comme la nôtre, en faisant du Wwoofing et ensuite j’ai fait l’Enil de Poligny pour le côté technique. Jean-Pierre a fait un stage à l’installation lorsqu’on a trouvé la ferme, il y a 4 ans et demi puis je l’ai rejoint” détaille Hélène, pendant que six vaches passent entre ses mains pour la traite du matin, aux cliquetis réguliers de la machine à traire. 

Une aventure familiale

Pour acheter les bâtiments, 37 hectares de terre et les remettre en état, Jean-Pierre et Hélène ont investi leurs économies, bien aidés par leurs deux familles respectives. La mère d’Hélène est même venue s’installer à la ferme définitivement, pour pouvoir assurer la garde des enfants quand c’est nécessaire. “On a mobilisé toutes nos familles, parents et frères et soeurs. On a créé une société comme ça tout le monde a des parts foncières. Sans eux, ça n’aurait pas été possible” me confie la trentenaire.

En Suisse, c’est impossible de reprendre une ferme si tes parents ne sont pas agriculteurs. C’est trop cher. En Franche-Comté, tu as un accès possible à la terre. Compliqué, mais possible.

Hélène, éleveuse de vaches et productrice de fromages bio 

 

Le couple a aussi bénéficié de financements de la part du département du Doubs et de la Région Bourgogne-Franche-Comté. L'Europe octroie également des aides "très importantes" à l'installation des jeunes agriculteurs, "notamment pour la trésorerie des premières années, ainsi que pour la construction de locaux de transformation fermière, 35% du montant de tout ce qui est acheté neuf" précise-t-il. 

Dans cette petite ferme, on ne trouve pas de pipeline de traite. Hélène fait des allers-retours avec un chariot rempli de seaux de lait, pour les déverser dans le petit tank situé dans la fromagerie, de l’autre côté de la cour. Pour sortir les vaches au pré, les jeunes agriculteurs sont accompagnés de Nelson, un adorable Border Collie, chien de troupeau très câlin, dévoué à la tâche mais encore en cours d’apprentissage. Tout semble avoir été dimensionné pour éviter les pertes et produire en conscience. Les vaches ne passent pas toutes à la traite en même temps puisque certaines nourrissent leurs veaux. Le troupeau compte également quelques boeufs. Les bêtes qui composent ce troupeau mixte, peu commun dans notre région, sont soigneusement sélectionnées par les deux passionnés.

"On ne pousse pas nos vaches"

Hélène ou Jean-Pierre entrent tous les matins et tous les soirs dans l’enclos dans lequel elles sont toutes réunies pour leur indiquer le chemin de la traite. D’ailleurs, je constate étonnée que toutes leurs vaches ont des cornes ; “Parce que c’est gore d’enlever les cornes, franchement. Si elles sont là, c’est qu’elles servent à quelque chose” m’explique Hélène. Cette traite non automatisée prend du temps évidemment, mais est gage de qualité et participe au respect du rythme naturel de l’animal, comme nous le précise Hélène, qui en plaisantant se définit comme une “extrémiste du lait” : “On ne pousse pas nos vaches, c'est-à-dire qu’elles produisent ce qu’elles peuvent. Elles vivent 7-8 ans chez nous, contre 5 ans dans l’industrie laitière.” 

On raisonne en système, plutôt qu’en litre de lait produit. C’est là que ce n’est pas toujours le même métier que les voisins. Le but c’est de produire une alimentation saine, qui apporte quelque chose aux gens.

Hélène, éleveuse de vaches et productrice de fromages bio 

Pour le couple, le bien être animal est primordial, mais également la qualité du produit laitier : ”De la vache au pot à traire, il y a un mètre de tuyau. Le lait n’est pas violenté. C’est un lait qui est plus digeste, selon les théories alternatives auxquelles nous sommes sensibles. Le lait qu’on achète en supermarché est homogénéisé, pour que les graisses ne remontent pas. Ca passerait dans les parois des intestins et c’est moins digeste. A force d’industrialiser, il y a forcément des conséquences.” 

En plus de la production de fromages, la ferme de la Charme propose du bœuf et du veau bio, le plus souvent en vente directe. Hélène l’avoue sans rougir, elle pleure à chaque fois que Jean-Pierre emmène une bête à l'abattoir, à raison d’environ 10 veaux par an et 3 bœufs. “J’ai vraiment de la peine, mais je me dis que ça ne pourrait pas être mieux fait. Je ne vois pas comment rationnellement et économiquement on pourrait faire autrement. Si on mange un peu de viande, la cohérence c’est de faire ce qu’on fait. Après, nous on essaie de ne pas en manger beaucoup. Sinon, c’est être végétarien. Mais les veaux partiraient en engraissement ailleurs... Comme on fait du lait, on est un peu obligés…” justifie-t-elle quand je lui demande pourquoi continuer à produire de la viande bio.

Il faut dire qu’Hélène et Jean-Pierre ne lésinent pas sur l’éthique souvent au détriment de leur sommeil. Proposer un aliment en contrôlant de la production de la vache au produit laitier est extrêmement exigeant. Les journées commencent à 6h et se terminent à 19h30, heure après laquelle Jean-Pierre commence à répondre aux commandes, sur son ordinateur. “Le gros truc qui nous prend beaucoup beaucoup de temps, c’est l'extrémisme, c’est dur...” lance Hélène en éclatant de rire.

“Par exemple, on fait des yaourts en pots en verre consignés. On en vend environ 500 par semaine. Il faut les nettoyer, les vérifier, les porter… C’est une véritable démarche. Faire des yaourts pour jeter des pots en plastique, c’est non. Ce n’est pas possible pour nous” insiste-t-elle. La démarche est évidemment pertinente pour l’environnement, mais s’avère être un casse-tête pour les producteurs bio si le consommateur tarde à en comprendre l’intérêt. 

Ce sont des projets qui génèrent très peu de revenus, beaucoup de fatigue, donc forcément il y a des tensions. Là, on est deux, on sait que l’autre fait encore plus que soi-même. Ou alors c’est pour être avec les enfants, c’est normal...

Hélène, éleveuse de vaches et productrice de fromages bio 

“On travaille comme des dingues. Il ne faut surtout pas tomber malade. On n’a pas vraiment de loisirs, mais toutes les tâches qu’on fait, on les aime. C’est juste qu’il y en a trop pour l’instant” admet Hélène, tout en gardant le sourire. Après un an d’activité, le couple continue à progresser dans son organisation et espère pouvoir gagner en efficacité et ainsi réduire progressivement le temps de travail. Les jeunes parents aimeraient pouvoir partir au moins deux semaines par an en vacances avec leur fils et leur fille. 

Pour ce qui est du salaire, Hélène et Jean-Pierre sont au SMIC, mais rapporté aux heures de travail, ce n’est même pas la peine de compter. Grâce à leur projet semble-t-il bien ficelé et modulable, ajouté à leur sens de l’anticipation et leur rigueur, les deux amoureux espèrent que le plus beau reste à venir.

Infos pratiques :

Lieux de vente des produits de la ferme de La Charme :

- à la ferme : tous les samedis de 14h à 17h
- marché couvert d’Audincourt : tous les samedis de 8h à 12h
- AMAP du Champ à l’Assiette à Audincourt : infos sur champalassiette.fr
- Bio’cal du Lomont à Montécheroux : infos sur biocaldulomont.blogspot.com
- Ferme de Rombois à Meslières
- Au Drive Coeur Paysan de Sochaux

>> Notre journaliste Sarah Rebouh vous fait découvrir les paysans francs-comtois de demain. Découvrez l’histoire de la ferme des Plaines, située dans le Doubs. Ce lieu magnifique valorise l’écotourisme et est géré de manière collective. Les nouveaux paysans, épisode #2 à découvrir par ici.

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