Alors que le nombre d’installations agricoles baisse chaque année, des jeunes gens venus d’horizons bien différents se lancent dans l’aventure d’une vie en ayant pour objectif d’exercer un métier qui respecte l’humain, l’animal et la terre. Récit.
Pour accéder à la Ferme des Plaines, située près de Sancey dans le Doubs, le chemin est quelque peu sinueux. Le soleil se lève et baigne les champs et les bois dans lesquels je m’enfonce en voiture. Je passe plusieurs hameaux avant d’arriver sur place, à 7h30. Barbara et deux stagiaires de 14 ans, Anouck et Zoé, m’attendent pour commencer à nourrir les ânes, puis les poules, oies, lapins, moutons et cochons. Pendant que le trio s’attèle à faire rentrer les ânes gourmands et têtus dans leur asinerie, je ne peux m’empêcher de m’éloigner du grand bâtiment pour contempler cet endroit magique. La lumière est sublime et la beauté du décor saute aux yeux. Grand jardin, jolis bâtiments en bois bordés d’aménagements invitant à la flânerie, animaux en tout genre, étangs en contrebas se partagent l’espace et participent à créer une atmosphère hospitalière et chaleureuse, malgré les températures négatives.
Cet endroit, Barbara, originaire de Suisse allemande, l’a déniché il y a environ 6 ans via une annonce de reprise d’exploitation en agriculture biologique. Amoureuse de la nature, cette dessinatrice en bâtiment de formation a troqué son crayon pour une tenue d’éleveuse, mais pas que.
“Je suis dessinatrice en bâtiment à la base, mais très vite j’ai bossé un jour par semaine dans une ferme qui produisait des pommes, un peu de viande, des céréales aussi et qui allait à l’alpage avec des vaches et des chèvres. Ça m'équilibrait, par rapport au bureau. Ensuite, j’ai fait des études d’environnement et j’ai ressenti le besoin de retourner à l’alpage. En alpage, je devais garder les animaux, mais moi, en plus, je voulais faire des tommes de chèvres puisqu’il y avait des chèvres. C’était pour avoir un produit fait sur place, parce que garder les animaux, ça ne me semblait pas assez...” rigole-t-elle.
Je comprends vite que la trentenaire est mordue de travail, du moment qu’elle y trouve du sens. L’opportunité d’acquérir la Ferme des Plaines lui a permis de créer une activité viable tout au long de l’année, contrairement à l’alpage, activité saisonnière.
Six personnes travaillent sur place
Dans cette jolie ferme à la vue imprenable, Barbara s’attache à valoriser tout ce qui est possible de valoriser, comme l’avaient fait avant elle les anciens propriétaires : vente directe à la ferme, exploitation des céréales pour créer de la farine, utilisation de la farine pour créer du pain et des pizzas, maraîchage, mais aussi accueil de touristes, en majorité Suisses et Allemands.
Pour pouvoir gérer tout ça, un collectif s’est construit autour de la ferme des Plaines. Désormais, six personnes travaillent sur le site à temps plein ou à mi-temps, dont cinq qui participent actuellement à la création d’une SCOP, qui regroupera toutes les activités commerciales de la ferme.
Thomas, le frère de Barbara, s’occupe des animaux, des aménagements extérieurs, du jardin et du tourisme. Louise est en charge du jardin et de la transformation des produits. Piétro, le plus jeune, fait également de la transformation, du pain et un peu de jardin. La seule franc-comtoise de l’aventure, Emmanuelle, s’occupe quant à elle des animaux, du tourisme et complète les forces vives en transformation. Noémie, qui vit sur le site, est à son compte et produit des herbes aromatiques. Barbara s’occupe des ateliers animaux, tourisme et de la confection de la farine et du pain. Le collectif a été véritablement créé autour du projet, pour en faire quelque chose de pérenne permettant notamment de jouir de jours de repos, grâce à la mise en place de roulements. S’ajoutent à cela quelques stagiaires de temps en temps, venus parfois de loin, comme Anouck et Zoé, originaires d’Allemagne, puisque la ferme est bilingue. “Chaque jour, je pourrais bosser de 6h à 18h, je n'en ai pas envie, c’est un choix. C’est l’équilibre entre les choses et dans le travail qu’on cherche aussi. C’est pour ça qu’on est plusieurs, qu’on essaie de prendre des congés, des vacances” détaille Barbara, 38 ans.
"Faire un produit avec les choses qui sont autour de moi"
Après avoir accompagné les stagiaires avec les animaux et pris un petit déjeuner à base d’oeufs brouillés produits à la ferme, elle m’explique sa philosophie de vie et de travail tout en poussant du grain à moudre dans la meuleuse pour me montrer la confection de la farine bio : “Je produis une chose, pourquoi je fais ça ? Ah oui, parce que c’est intégré à autre chose.” La jeune femme, qui a eu un coup de coeur pour la région, appréhende l’exploitation de la ferme dans sa globalité et aime transmettre.
Ce qui me plait beaucoup c’est faire un produit avec les choses qui sont autour de moi. Comme ici en fait. Penser en réseau. Si je fais ça, qu’est-ce que ça produit après ? Mais aussi penser à ça pour les générations suivantes.
Au détour d’un bruit de tracteur, je discute avec Thomas. Il vient de revenir avec son petit tracteur chargé de bois, pour l’empiler sur le côté de la maison. Il est à la ferme de manière quotidienne depuis le mois de septembre 2020. Il m’explique être tombé amoureux de cet endroit. Après avoir travaillé plusieurs années dans le commerce en Suisse, avec des “supers jobs et des bons salaires mais toujours derrière l’écran”, le frère de Barbara, âgé de 36 ans, a senti qu’il était temps pour lui de faire quelque chose de radicalement différent. “J’adore travailler dehors. J’ai senti que mon corps avait besoin de bouger, de faire des travaux comme ça, qui ne tiennent pas que la tête” m’explique-t-il. Il a attendu que son fils Ron, 13 ans, soit plus grand, pour concrétiser son installation.
A la ferme des Plaines, Thomas apprend chaque jour. Sans formation spécialisée, il se donne un ou deux ans pour parfaire ses connaissances. “Comme j’ai grandi à la campagne, j’ai quand même une compréhension de la nature et un lien avec elle. Ici, je me sens de nouveau plus jeune, plus élève. J’étais dans une monotonie. Il me manquait le challenge, l'intérêt", précise-t-il.
Jusqu’à maintenant j’étais fan de l’endroit, et maintenant que j’y vis, je me vois comme une partie d’un groupe qui permet de faire vivre ce lieu et le lien entre les gens.
"Des petites productions diversifiées"
La ferme des Plaines est un lieu très diversifié. Très loin du modèle de monoculture, les acteurs de ce projet ont à coeur de varier les plaisirs. Thomas, également musicien, imagine pouvoir développer la dimension culturelle du projet dans les années à venir et créer pourquoi pas un “cinéma sous ciel”. D’autant que le lieu est une véritable terre d’accueil. Le volet touristique représente un peu moins de 40% de l’activité. Ici, six familles peuvent être accueillies en même temps. 40 lits sont disponibles à la ferme, dans six gites différents. Hors Covid-19, les enfants en vacances occupent l’espace et profitent chaque jour des animaux et de la très attendue chasse aux oeufs de poules, qui pondent là où bon leur semble en liberté sur la propriété.
“Le grand plus de la ferme des Plaines, c’est la diversité. Ce sont des petites productions mais diversifiées, et c’est ce qui fait la force du lieu” confirme Noémie, qui est spécialisée dans les plantes séchées et les aromates. A côté du moulin aménagé dans la grange, elle trie ses plantes dans une petite pièce. Elle en cultive elle-même 14 sortes et en ramasse 12 sortes dans la nature.
La trentenaire originaire de Suisse romande a sa propre activité mais vit sur le site et vend ses produits dans le magasin installé côté cour. A l’intérieur, les vacanciers peuvent y trouver les produits de la ferme, mais aussi les produits des producteurs aux alentours. “Les gens viennent, prennent ce qu’ils souhaitent et paient dans cette boîte. On leur fait confiance” m’explique Noémie.
L'habitat et le travail collectifs favorisent l’entraide, la solidarité et offrent une aventure hors du commun à ses acteurs, dans nos sociétés habituées à valoriser l’entreprise individuelle. Les enjeux sont nombreux.
Pour sauvegarder la bonne entente et faire progresser ce projet “en construction”, l’équipe des Plaines organise une fois par mois des réunions en groupe pour désamorcer les potentiels conflits. Pour l’instant, l’équipe est au complet. Elle attend impatiemment la fin du troisième confinement pour voir revenir les touristes et ainsi faire vivre ce petit coin de paradis, pour tout ce qu'il a à offrir.
>> Notre journaliste Sarah Rebouh vous fait découvrir les paysans francs-comtois de demain. Dans l'épisode 3, découvrez l’histoire de l'AMAP La cagette du coin, située à Besançon. Gaëtan et Louis sont autodidactes et créent des outils pour exercer leur métier, en total respect de la terre. A lire par ici.