Alors que le nombre d’installations agricoles baisse chaque année, des jeunes gens venus d’horizons bien différents se lancent dans l’aventure d’une vie en ayant pour objectif d’exercer un métier qui respecte l’humain, l’animal et la terre. Récit.
Aux Jardins de Cocagne, situés à Chalezeule près de Besançon (Doubs), deux trentenaires s’affairent autour d’une drôle de machine à quatre roues, installée près d’une grande serre sous laquelle poussent des carottes, salades et autres légumes en tout genre. Gaëtan et Louis ont dans l'intention de l'utiliser pour recouvrir de terre les oignons nouveaux. Ce porte-outils à pédales, muni d’une assistance électrique, est leur outil de travail. Il est 100% auto-construit et adapté à leur petite production. Il est depuis sa création indispensable à leurs yeux. Son nom : L’Aggrozouk. Grâce à lui, ils peuvent entretenir la terre dans laquelle pousse la production biologique vendue par leur AMAP, La Cagette du Coin.
Gaëtan a d’abord débuté l’aventure seul, en 2019. Seul, façon de parler, puisqu’il a créé une AMAP, ce qui signifie “Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne” (en savoir plus sur le modèle AMAP) baptisée La Cagette du Coin. Cela suppose donc que des membres de l’association participent au développement de l’activité, notamment dans sa dimension commerciale.
Le trentenaire, fils de paysans francs-comtois syndiqués à la Confédération Paysanne, a préféré aux études agricoles la fac de géographie. “Après mon master, je suis passé animateur syndical à la Confédération paysanne du Jura. C’était une manière de revenir dans le milieu, et puis j’ai arrêté après trois ans pour faire des saisons en tant que salarié dans des fermes maraîchères. M’installer en maraîchage, j’avais ça dans la tête depuis un moment et je voulais être sûr que c’était bien ce que je voulais faire” explique le jeune homme au sourire communicateur. Son souhait d’alors est de s’installer à deux, mais une opportunité d’”espace test” aux Jardins de Cocagne le lance dans le grand bain, avant que Louis, “un vieux pote”, ne le rejoigne un an plus tard. Ce dernier, impliqué dans l’association La Cagette du Coin dès le début, était cordiste pendant plusieurs années avant de tenter le maraîchage, sans aucune formation non plus et loin d’avoir grandi dans le milieu agricole. “J’accrochais des filets sur les parois, les falaises par exemple. J’étais un petit peu cassé de partout. J’ai pris une grosse gamelle et c’était la fin d’un truc dans ce boulot-là. Quand j’avais le coude trop pété pour faire cordiste, mais pas assez pour ne rien faire du tout, j’ai aidé Gaëtan, à la fin de sa première année” se rappelle Louis, qui décide à ce moment là de partir en voyage 6 mois, avant de se lancer dans l’aventure La Cagette du Coin.
Ce projet était parfaitement adapté à mes convictions sociales, environnementales... et tout ce qui va avec. C’était assez évident.
Les deux amis apprennent depuis deux ans à travailler ensemble et découvrent un travail très technique. “C’est hallucinant le nombre de connaissances qu’il faut” confirme Louis, quand Gaëtan ajoute : “Il faut trouver l’équilibre entre ce qu'on apprend au fur et à mesure et nos acquis. Certes on est dans un truc de lancement, mais on voulait qu’économiquement ce soit viable”.
"Une vie associative forte"
L’AMAP propose des paniers de légumes bio hebdomadaires à une centaine d’adhérents, pour les deux tiers de leur chiffre d’affaires, et distribue dans quelques restaurants bisontins et en épiceries. Le challenge pour les deux amis, c’est de pouvoir vivre correctement de leur travail. “On ne peut pas se cacher derrière cette passion paysanne qui suppose que si tu es passionné tu acceptes de bosser pour 500 euros par mois en travaillant 70 heures. Faire des heures, ça ne nous dérange pas, on est des bosseurs, mais il faut qu’on puisse vivre correctement à côté” explique Louis. Les deux Francs-Comtois sont au SMIC et avaient d’ailleurs fait leur calcul à partir de cette base, en espérant par la suite pouvoir la faire évoluer puisque leur salaire, s’il est rapporté au nombre d’heures travaillées, reste bien maigre.
La particularité c’est que notre AMAP a une vie associative forte. Notre conseil d’administration est très impliqué dans son rôle d’organiser et faire le lien entre nous, producteurs, et les adhérents.
"C'est la grosse revendication de l’asso. On milite pour que les paysans puissent vivre correctement. Cela passe parfois par des augmentations de prix et également par de la pédagogie” poursuit l’ancien cordiste reconverti en maraîcher bio.
Pour cela, ils se sont concentrés sur le dimensionnement de leur production. Les deux associés cultivent 60 légumes différents pour pouvoir varier les compositions de leurs paniers, très loin de l’agriculture en monoculture. Cela semble être d’ailleurs un tout autre métier. “On ne connaît que celui-là” s’amuse Gaëtan. “C’est un modèle qui nous passionne. C’est ce qui fait qu’on s’amuse. On ne veut pas faire comme certains gros paysans qui font de la monoculture et qui ont des grosses surfaces, des gros tracteurs, des gros pesticides... ” énumère Louis, qui fait la distinction entre l’exploitant agricole et le paysan.
C’est compliqué la comparaison avec le modèle dominant. Ce n’est pas le même métier.
Pour les deux hommes, le paysan produit de l’alimentation mais est également impliqué dans un territoire et dans sa dynamique sociale et économique. L’outil associatif AMAP leur permet d’ailleurs d’organiser des événements pour montrer aux consommateurs la réalité du monde paysan mais aussi trouver des leviers de réflexions pour rendre cette alimentation saine accessible au plus grand nombre. “On veut promouvoir une alimentation de qualité, que ce soit par la qualité des produits en termes gustatif, environnemental, mais aussi social. Si un produit ne fait pas vivre celui qui le cultive, il n’y a pas d’intérêt non plus” détaille Gaëtan.
Tarification progressive et accessibilité
Hors restrictions sanitaires en raison du Covid-19, La Cagette du Coin organise quelques événements à Besançon ou aux alentours tels que des ciné-débats, des visites de ferme ou encore des conférences gesticulées pour sensibiliser le public au métier de paysan. Pour exemple, l'association organisait en mars 2020, la projection du film "La Part des autres", qui pose un regard sur l’appauvrissement tant des producteurs que des consommateurs et interroge les conditions d’un accès digne pour tous à une alimentation de qualité et durable.
Pouvoir rendre accessible une nourriture saine à un maximum de personnes, c'est l'un des défis que se lance l'AMAP La Cagette du Coin. Pour favoriser cela, celle-ci a mis en place une tarification progressive pour les adhérents qui bénéficient des paniers de légumes bio. "On définit le prix de base de nos paniers, par exemple 12 euros par semaine. Deux prix entourent ça, 10 ou 13 euros. Quand la personne choisit son panier à l'année, elle choisit elle-même la tarification en fonction de ses moyens" précisent les maraîchers, qui ont souhaité s'inspirer d'un modèle créé par le café-restaurant associatif Le Pixel à Besançon.
Désormais, l'objectif pour les deux amis est de pouvoir améliorer leur technique et ainsi réussir à réduire leur temps de travail, bien trop conséquent pour l'instant. Pour ce faire, ils ont décidé de s'associer à Isabelle, une amie maraîchère bio installée à la Chevillote, près de Mamirolle. L'an prochain, ils rejoindront donc la ferme de La Grange Melot, pour continuer l'aventure sur d'autres terres nourricières.
>> Retrouvez les autres épisodes des "nouveaux paysans" sur France 3 Franche-Comté :
- Les nouveaux paysans #1 : “Produire une alimentation saine” à la Ferme de la Charme dans le Doubs / à découvrir par ici.
- Les nouveaux paysans #2 : “Chercher l'équilibre entre les choses”, à la Ferme des Plaines dans le Doubs / à découvrir par là.
- Les nouveaux paysans #4 : “ll ne faut pas écouter tout ce qu’il se dit, il faut foncer”, l’exemple de Jeanne, éleveuse de brebis laitières dans le Jura / à découvrir par ici.