Des chiffres et des lettres, comment René Thom, fils de droguistes à Montbéliard, est devenu un illustre mathématicien

Disparu il y a vingt ans, René Thom a dédié sa vie aux mathématiques et a gagné la Médaille Fields, équivalent du prix Nobel dans la discipline.

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À Montbéliard dans le Doubs, au gré des flâneries, certains auront peut-être aperçu son patronyme. Mais le mathématicien, disparu en 2002, se fait discret. Dans sa ville natale, René Thom a donné son nom à la résidence universitaire de la rue Clemenceau. La deuxième occurrence se fait au numéro 21 de la rue de Belfort. Sur le mur couleur terre cuite, figure une photo de l’illustre scientifique à l’adresse de l’ancienne droguerie de ses parents.

Le 2 septembre 1923, René Thom naît alors dans la cité des Princes. Deuxième fils de la famille, le petit garçon, réservé, passe une grande partie de son temps dans l’immeuble de la rue de Belfort, qui appartient à ses parents. L'enfance est heureuse, quoique parfois malmenée par son grand frère. Dès son plus jeune âge, le petit Thom est remarqué pour ses aptitudes en mathématiques, mais aussi dans les autres matières. Il confie pouvoir penser « en quatre dimensions ».

« Un pedigree plus noble que moi »

La seconde guerre mondiale aura bouleversé sa scolarité brillante. Sur les conseils de ses parents, René Thom et son grand frère Robert quittent Montbéliard lors de la guerre. En 1940, les deux partent en bicyclette et tombent sur un groupe de soldats avant de rejoindre la Suisse. Lors d’une parenthèse à Lyon à la fin de l'été 1940, René Thom passe ainsi son baccalauréat de mathématiques puis son baccalauréat de philosophie, discipline pour laquelle il gardera une grande affection. Le jeune homme gagne ensuite Paris, où il intègre une classe préparatoire au lycée Saint-Louis.

Dans les éléments biographiques recueillis par Michèle Porte, mathématicienne et psychanalyste, le fils de commerçants confie avoir ressenti un décalage social fort : « Mes parents se sont vraiment saignés pour me faire faire des études. Au Lycée Saint-Louis ce n'était pas tellement brillant. Mais on ne souffrait pas. Les étudiants avaient la plupart un pedigree plus noble que moi. Nous étions deux ou trois d'origine modeste, boursiers, et les autres étaient fils de bourgeois. »

Il entre ensuite à l’Ecole normale supérieure de Paris en 1943. Professeur de mathématiques à Grenoble, Strasbourg puis Bures-sur-Yvette à l'Institut des hautes études scientifiques (IHES), il effectue des recherches sur le cobordisme, relation d'équivalence entre variétés différentielles compactes. Ces travaux lui vaudront la médaille Fields en 1958, la plus haute distinction de la discipline. La récompense tient son nom de son créateur, John Charles Fields, mathématicien canadien, et est attribuée tous les quatre ans, à un ou plusieurs chercheurs en mathématiques de moins de 40 ans.

Pas un chef d’école

« Tout ce que j’ai compris en mathématiques, c’est lui qui me l’a appris », confie Marc Chaperon, un de ses anciens élèves. Le disciple de René Thom garde une reconnaissance immense envers celui qu’il appelle son « maître » : « Personne n’avait vraiment lu ‘Stabilité structurelle et Morphogénèse’ [ouvrage phare du mathématicien, dans lequel il explique sa théorie des catastrophes] mais cela venait de paraître et j’avais été très impressionné. Cela m’a déterminé à revenir sur ma décision de ne plus jamais faire de mathématiques. » Marc Chaperon est aujourd’hui professeur de Mathématiques émérite à l’Université de Paris.

Dans les années 1970, tout juste arrivé à l’Ecole normale supérieure de Paris, l’élève suit le séminaire de René Thom. Naît ensuite une relation d’amitié et de tutorat : « Thom était impressionnant parce qu’il avait réalisé des travaux auxquels personne n’avait pensé. Mais ce n’était pas du tout un ‘chef d’école’, il restait quelqu’un d’extrêmement accessible, très gentil.» Marc Chaperon dit qu’il avait transmis une « vision du monde » à à beaucoup de jeunes mathématiciens de sa génération. Pour lui, le Montbéliardais était iconoclaste : « Il était un géomètre à une époque où la géométrie n’était pas considérée comme rigoureuse. Ce qui lui a beaucoup réussi : il a apporté énormément aux mathématiques. »

Un mathématicien-philosophe

Malgré ses distinctions, l’illustre mathématicien montbéliardais restait très « modeste ». « C’était même un homme un peu complexé, reprend Marc Chaperon. Au fond, il doutait beaucoup plus de lui-même que beaucoup d’autres scientifiques de moindre envergure. Peut-être parce qu’il s’était aventuré là où personne n’était allé, et la solitude ne vous encourage pas beaucoup, et peut vous rendre malheureux. »

Ce doute naît peut-être de l’estime que René Thom portait aux mathématiques, comme l’explique son ancien élève : « Il y avait, pour lui, une hiérarchie sociale : les lettres occupaient une place plus haute plutôt que les sciences. Parce que sociologiquement, c’était le cas. René Thom côtoyait Jean d’Ormesson. Et même s’il était un petit bourgeois, son père n’était pas riche, il n’était pas doué pour les affaires. » Si le Comtois s’est tourné vers les mathématiques, encouragé par ses professeurs, il se rêvait plutôt homme de lettres. « Sa culture littéraire était très grande, remarque Marc Chaperon. Il lisait le latin et le grec à livre ouvert ».

Dali était un homme extrêmement intelligent. Lorsque Thom a sorti sa théorie des catastrophes, cela a plu à l’artiste, car c’était à la fois graphique et de la vraie science.

Marc Chaperon, un ancien élève de René Thom

Le mathématicien s’intéressait aussi à l’épistémologie, la philosophie des sciences, et était proche du monde de l’art. René Thom s’était lié d’amitié avec Dali. Marc Chaperon raconte : « Dali était un homme extrêmement intelligent. Lorsque Thom a sorti sa théorie des catastrophes, cela a plu à l’artiste, car c’était à la fois graphique et de la vraie science. » A la fin de sa vie, le peintre lui a dédié une série de quatre tableaux sur cette théorie, un modèle qui étudie le lieu où une fonction change soudainement de forme. « Avec ses travaux, Thom a connu un monde plus brillant et socialement plus beau. C’est en tout cas, ce qu’il croyait, admet l’ancien élève. Mais il a continué de vivre exclusivement au royaume des idées, le seul qui l'intéressait. C’est un des côtés humains de cet homme, qui était, plutôt hors du commun. »

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