Le texte sur la réforme des retraites poursuit son parcours législatif à l'Assemblée nationale. Alors que le vote définitif se déroulera jeudi 16 mars, quelles sont les positions des députés du Nord-Franche-Comté ? Ian Boucard (LR), Florian Chauche (LFI-NUPES) et Nicolas Pacquot (majorité présidentielle) ont répondu à nos questions.
Depuis le début de son examen, le projet de réforme des retraites fait débat. Si beaucoup de tensions se cristallisent autour de l'âge de départ à 64 ans, l'index sénior, les carrières longues, les carrières des femmes sont aussi des points de crispation visibles au sein de l'Assemblée nationale, du Sénat, comme dans l'opinion publique.
Dans la rue, la contestation contre la réforme des retraites ne faiblit pas : un nouvel appel à la grève a été émis pour le mercredi 15 mars. Une date qui n'a pas été choisie au hasard puisque la commission mixte paritaire (CMP), composée de 7 sénateurs et 7 députés, se réunira ce jour-là. Ces 14 élus doivent discuter de la version finale de la réforme des retraites. Cette grève se déroulera donc la veille du vote définitif de la réforme par l'Assemblée nationale et le Sénat prévu le jeudi 16 mars.
Si, dans la majorité, le vote en faveur de cette réforme est clair, il devient de plus en plus incertain du côté des Républicains à l'Assemblée nationale. Majoritairement, il semblerait que les députés LR soient plutôt pour cette réforme, mais le groupe parlementaire commence à montrer ses fêlures. Certains s'y opposent même publiquement, contestant alors la position officielle de leur famille politique et annoncent voter contre. Des voix donc, qui s'ajouteraient à celles de la NUPES et du RN, deux groupes qui s'opposent au texte depuis le début de son examen. En outre, contrairement au Sénat, l'Assemblée nationale n'a pas pu examiner l'ensemble du texte en première lecture, s'arrêtant à l'article 2, et donc sans aller jusqu'au très controversé article 7 sur l'âge de départ à la retraite. Autant d'incertitudes quant à l'issue du scrutin qui pourraient amener le gouvernement à recourir au 49-3 pour passer ce projet de loi.
France 3 Franche-Comté a rencontré trois députés du Nord-Franche-Comté : Ian Boucard (LR), Florian Chauche (NUPES) dans le Territoire de Belfort et Nicolas Pacquot (majorité présidentielle) dans le Pays de Montbéliard. Les trois élus ont répondu aux questions de notre journaliste Emilien Diaz sur la réforme des retraites. Voteront-ils ou non cette réforme ?
Ian Boucard (Les Républicains)
Député de la 1e circonscription du Territoire de Belfort
- Voterez-vous pour ou contre cette réforme des retraites ?
Comme je l’ai annoncé depuis le début, je vais voter contre cette réforme des retraites, que je trouve injuste, inefficace sur le plan budgétaire, et qui surtout, tombe dans un mauvais timing.
- Que pensez-vous de cette réforme ?
Elle fait à nouveau porter l’effort sur celles et ceux qui travaillent et qui s’en sortent de moins en moins bien. Elle est inefficace budgétairement parce qu’on sait qu’il faudra y revenir dans quelques années. Et surtout, sur le timing, elle est mauvaise : on sort d’une pandémie, on est en pleine guerre en Ukraine qui cause cette inflation démesurée...
- Si vous pouviez changer un élément au texte ?
Il faudrait tout changer. Déjà, ne pas reculer l’âge de départ à la retraite. Ensuite, il faudrait avoir de vraies mesures sur la pénibilité, des vraies mesures sur les carrières longues et surtout des vraies mesures sur les carrières des femmes, qui, malheureusement ont des parcours plus hachés et qui sont le plus souvent concernées par le travail à temps partiel.
- Qu’est-ce qui fera pencher la balance lors de ce vote à l’Assemblée nationale ?
La clef, ce seront les 577 députés qui se positionneront en leur âme et conscience ce jeudi sur le texte issu de la commission mixte paritaire. Même si la situation de l’Assemblée nationale fait qu’effectivement, ce sera le vote des Républicains qui définira l’avenir de cette réforme des retraites.
- Et si le gouvernement avait recours au 49-3 ?
D’année en année, les Français ont de moins en moins confiance en nos institutions, et plus largement - et c’est dramatique - en la démocratie. L’utilisation du 49-3 sur ce projet de réformes, qui sera la réforme-clef de ce quinquennat, serait une erreur démocratique de la part du gouvernement et de la majorité. Cela va encore rogner la confiance que nos concitoyens ont en leurs institutions. Et cela provoquerait un rejet encore plus massif de la réforme des retraites, c’est une évidence.
- Êtes-vous mobilisé depuis le début des manifestations ?
Non, j’estime que le rôle du député, c’est de faire la loi. C'est ce que j’ai fait consciencieusement pendant les trois semaines de débat à l’Assemblée, en commission des affaires sociales et en hémicycle. Je laisse aux organisations syndicales le soin d’organiser les manifestations. On voit d’ailleurs que lors du premier mandat, Emmanuel Macron a mis de côté tous les corps intermédiaires, notamment les organisations syndicales. On a eu des manifestations extrêmement violentes. Et on voit que les manifestations cornaquées par les syndicats se passent remarquablement bien dans toutes les villes malgré une mobilisation particulièrement massive.
- Que vous disent les personnes que vous croisez dans votre circonscription ?
Globalement, le message que j’entends depuis quelques semaines, c’est "vous avez raison, il ne faut rien lâcher". Donc je rassure les Terrifortains : je ne compte rien lâcher et j’irai jusqu’au bout de la démarche jeudi prochain.
Florian Chauche (LFI-NUPES)
Député de la 2e circonscription du Territoire de Belfort
- Voterez-vous pour ou contre cette réforme des retraites ?
Je voterai contre, bien évidemment. Depuis le début, j’ai affiché clairement mon opposition à cette réforme des retraites qui est injuste et injustifiée, qui va voler deux ans de retraite à tous les Français.
- Que pensez-vous de cette réforme ?
Cette réforme est injustifiée. On nous dit que c’est pour faire des économies mais nous avons proposé d’autres formes de financement des retraites : taxer les superprofits, taxer les dividendes, l’égalité salariale entre hommes et femmes qui permettrait aussi plus de cotisations sociales. On pourrait augmenter les salaires, mécaniquement, ça augmente les cotisations sociales. Car il y a aussi un mécontentement à ce niveau-là pour les Français.
Puis, on voit bien que le gouvernement nous a menti sur cette réforme. Deux millions de personnes devaient toucher 1200 euros. C’est tombé à 200 000 puis 40 000. Maintenant, on parle de moins de 20 000 personnes.
Pareil sur la durée de cotisations des carrières longues. Pourquoi, si on commence à travailler à 17 ans, on cotise 43 annuités ? A 18 ans, 44 annuités ? A 19 ans, 43 ? C’est une réforme qui est faite à la va-vite, de bric et de broc. La majorité des Français est opposée à cette réforme. Donc notre groupe au complet, la NUPES, votera contre cette réforme.
- Si vous pouviez changer un élément au texte ?
On veut le retour de la retraite à 60 ans avec 40 annuités de cotisation. C’est dans le programme défendu par la NUPES. On a des propositions pour le financer. C’est un point de vue politique : on estime qu’après le travail, il y a une vie. Une majorité de retraités est engagée dans le milieu associatif, dans la politique locale, en tant que conseiller municipal ou maire. On estime que c’est une vision de la société qui doit permettre aux gens de s’épanouir pendant le travail, mais aussi après le travail. Il faut être en bonne santé, et donc partir quand il en est encore possible, et ne pas arriver malade à la retraite et ne pas pouvoir en profiter.
- Qu’est-ce qui fera pencher la balance lors de ce vote à l’Assemblée nationale ?
Ce sont Les Républicains qui détiennent les clefs sur ce scrutin. Cela fait plusieurs années qu’ils défendent des candidats et candidates qui proposent la retraite à 65 ans. Là, ils sont divisés, ils sont partagés sur le sujet. J’ai envie de leur dire : écoutez la volonté populaire, écoutez les Français qui sont opposés à cette réforme, et ne pas être la béquille de la politique d’Emmanuel Macron.
- Et si le gouvernement avait recours au 49-3 ?
On est contre le recours abusif de cet article. On a bien vu depuis le début du mandat, pour les projets de loi de finances, on a déjà eu dix 49-3 dégainés par le gouvernement. A chaque fois, nous avons déposé une motion de censure. On en déposera encore une s’il le faut. On ne sera pas étonnés s’ils l’utilisent. On voit bien que le gouvernement d’Emmanuel Macron ne fait que du passage en force depuis le début de cette législature.
- Êtes-vous mobilisé depuis le début des manifestations ?
Mercredi, je serai encore à la manifestation. J’ai participé à toutes les manifestations depuis le début que ce soit à Belfort ou à Paris quand je siégeais à l’Assemblée nationale.
- Que vous disent les personnes que vous croisez dans votre circonscription ?
Les Terrifortains nous disent qu’ils n’en veulent pas et ne comprennent pas pourquoi c’est à eux de faire cette réforme, pourquoi ce serait à eux de travailler deux ans de plus alors qu’il y a d’autres moyens de financer cette réforme des retraites.
Nicolas Pacquot (majorité présidentielle)
Député de la 3e circonscription du Doubs
- Voterez-vous pour ou contre cette réforme des retraites ?
Je soutiens cette réforme depuis le début, tout comme je l’ai soutenue pendant la campagne législative. Evidemment, je ne suis pas d’accord sur tout, c’est pour cela que j’ai déposé et cosigné un certain nombre d’amendements. Je voterai cette réforme qui est une réforme d’équilibre de nos comptes publics. Il y a nécessité à le faire.
- Pourquoi ?
On dit que la réforme est injuste. Mais le système actuel est-il juste ? Je ne pense pas.
Demain, cette réforme prend en compte un équilibre de nos comptes publics – 13,5 milliards de déficit à horizon 2030 et 150 milliards de déficit cumulé d’ici 2035.
C’est une réforme de progrès et de justice. On prend mieux en compte les carrières longues et certaines personnes partiront deux ans plus tôt. On prend mieux en compte les carrières hachées, notamment avec les congés parentaux, les congés d’aidants, les stages, les apprentissages. C’est une revalorisation des petites pensions pour les personnes qui ont une carrière complète : ces personnes verront leur pension revalorisée en moyenne dès le 1er septembre de 650 euros par an. Pour certains, cela représentera 100 euros en moyenne par mois de revalorisation de leur pension.
- Si vous pouviez changer un élément au texte ?
Sur la pénibilité, j’avais déposé un amendement sur la prise en compte des horaires en équipes alternées dans les critères de pénibilité. Il y a eu des avancées qui devraient être retenues sur les carrières longues, sur l’index senior et sur les carrières hachées. C’est dommage parce qu’on n’en a pas entendu parler. On a cristallisé beaucoup de choses autour des 64 ans. Je rappelle qu’il y a eu des avancées avant le dépôt du texte par le gouvernement. On parlait d’un âge de départ en retraite à 65 ans, aujourd’hui on en est à 64 ans. Un certain nombre de discussions ont eu lieu en amont avec les syndicats et les oppositions.
- Qu’est-ce qui fera pencher la balance lors de ce vote à l’Assemblée nationale ?
Il y a évidemment des partis sur lesquels on sait qu’on ne pourra pas compter. Les partis de gouvernement comme Les Républicains peuvent faire pencher la balance. Nous, nous aurons nos voix dans la majorité puisque c’est le projet qu’on portait durant la campagne des présidentielles et celle des législatives donc il serait malvenu que des députés qui sont sous ces couleurs-là aujourd’hui ne votent pas cette réforme. Les Républicains sont un peu perdus à l’Assemblée nationale. Je rappelle qu’en 2019, ce groupe trouvait qu’on n’était pas assez ambitieux avec une retraite à 64 ans et avait déposé un amendement pour 65 ans. J’espère que la majorité d’entre eux reviendra à la raison et votera ce texte.
- Et si le gouvernement avait recours au 49-3 ?
Il faut qu’on soit dans le consensus, dans la discussion jusqu’au bout; comme on a essayé de l’être depuis le début, depuis la première lecture à l’Assemblée nationale. Malheureusement, il y a eu une obstruction qui a fait qu’on n’a pas pu aller au-delà de l’article 2 sur la vingtaine d'articles que comptait le projet de loi.
Ce projet de réforme des retraites, c’est un engagement de campagne, c’était notre mesure phare. Ça nous a coûté notre majorité absolue. Mais aujourd’hui, il y a toujours un fait majoritaire : la majorité, c’est nous qui la portons, et nos électeurs, ceux qui nous ont fait confiance attendent que nous allions au bout de cette réforme pour nos comptes publics.
- Vous êtes prêts à aller jusqu’au bout ?
Pour moi, c’est la seule solution. Augmenter les cotisations salariales ? On fait exactement l’inverse depuis plusieurs mois en préservant le pouvoir d’achat des Français. Augmenter les cotisations patronales ? On a montré que la stabilité fiscale a permis de créer 1,7 million d’emplois. Aller reprendre aux milliardaires ? A chaque fois qu’on fait un projet de loi, on doit aller leur reprendre et ça fait dix fois depuis le début du mandat. Ce qui est de la capitalisation boursière et non leur fortune personnelle.
Le projet de LFI, 60 ans et 40 annuités, cela représente un doublement de l’impôt sur le revenu, donc posons la question aux Français. Aujourd’hui, le courage politique, c’est nous qui le portons : on sait que cette réforme n’est pas populaire, mais elle est nécessaire. La somme des intérêts particuliers ne fait pas l’intérêt général, mais le politique, il est là pour prendre ses responsabilités pour le bien commun.
- Que vous disent les personnes que vous croisez dans votre circonscription ?
Très honnêtement, on n’est pas dans un contexte de 2018-2019. Je peux compter sur les doigts de mes deux mains les personnes qui m’ont parlé de la réforme des retraites. Souvent, c’est ramené à un intérêt particulier : est-ce que je suis concerné ? Aujourd’hui, l’esprit de la réforme n’est pas celui-là mais de travailler pour l’intérêt collectif et sauver notre système de retraites par répartition. On a reçu quelques courriers, pas toujours signés, mais on continue à être sur le terrain. On ne reçoit pas de cailloux ni de tomates. On discute avec les gens, on leur explique et beaucoup sont convaincus qu’il faut faire quelque chose : on n’est pas toujours d’accord sur les solutions apportées. Le constat du déficit, de faire quelque chose, celui-là est partagé.