Céline Dussaucy, 47 ans souffre d’une forme sévère et chronique d’algie vasculaire de la face, appelée aussi maladie du suicide. Elle soutient une pétition rassemblant plus de 100.000 signatures. Un texte qui réclame le remboursement de traitements actuellement non pris en charge en France.
Son quotidien est un enfer. Les crises de douleur ont marqué son visage de femme. Elle accepte de témoigner pour faire bouger les choses. Habitante de Grand-Charmont dans le Doubs, Céline Dussaucy souffre depuis neuf ans d’algie vasculaire de la face. Cette maladie neurologique provoque une douleur fulgurante, très violente de la moitié de la face, avec une prédominance de la région autour de l'œil. Les crises provoquent des douleurs insoutenables, comparables à une chirurgie sans anesthésie.
“On ne s’habitue pas à la douleur, on la subit”
Céline appelle sa maladie “madame”. Et “madame” ne lui offre que peu d’instants de répit. “J’ai dépassé les 200 crises par mois, là, j’en suis à neuf par jour” confie cette mère de famille. Elle nous reçoit chez elle derrière ses volets mi-clos pour la préserver de la lumière. La quadragénaire souffre d’une forme sévère et chronique d’algie vasculaire de la face. Chez elle, les traitements, corticoïdes compris, n’ont pas eu d’effet sur les douleurs. Comme tous les malades, son meilleur allié est une bouteille d’oxygène. “Moi, l’oxygène va m’aider à passer de l’insupportable au supportable, un quart d’heure. Et après la douleur de fond revient” raconte-t-elle.
Reportage V.Hirson, L.Brocard, J.Paulin, A.Goiffon
Les voisins se sont habitués à ses cris de douleur. Elle confie avoir du mal à supporter le regard de ses deux grands enfants, confrontés aux crises de leur mère.
Quand l’algie vasculaire se déclenche, Céline souffre. À en pleurer, au sol. À se mutiler pour détourner la zone de douleur. Et quand les crises s'enchaînent, le rythme est insoutenable. “Je finis par hurler à la mort. Ça m'arrache tout le visage, ça brûle, les dents, le nez, on a envie de s’arracher l'œil" décrit cette habitante du Pays de Montbéliard. Elle vit aujourd’hui seule. “Ceux qui ont des maris, des enfants spectateurs de cet enfer, ce n’est pas vivable”.
L’algie vasculaire de la face touche 150.000 malades en France
La prévalence de cette maladie est de 1 personne pour 1 000, touchée par l’algie vasculaire de la face. Des hommes jeunes pour la plupart, mais aussi des femmes comme Céline Dussaucy. Le diagnostic prend souvent des années.
Les céphalées sont dues à une perturbation du système nerveux d’une part trigémino-vasculaire, et également du système nerveux géré par l’hypothalamus, explique le docteur Silviu Stancescu, neurologue au centre hospitalier de Trévenans près de Belfort.
“La douleur est généralement d’une intensité sévère à très sévère et d'une durée de 15 à 180 minutes. Dans 10 % des cas, les crises se répètent au long cours sans rémission de plus de trois mois et s’associe des signes dépressifs (56 %), agoraphobie, la peur de sortir dans des lieux publics (33 %) et tendances suicidaires (25 %)” précise le médecin.
Pour ces malades, les traitements actuels reposent essentiellement sur l’injection de triptans et l’oxygénation faciale. Il n'existe pas de traitement curatif de l'algie vasculaire de la face.
Pourquoi la France ne rembourse pas certains médicaments ?
Céline Dussaucy est signataire de la pétition initiée par Isabelle Schaal, une malade des Bouches-du-Rhône très active. Lancé en janvier 2021, le texte recueille plus de 118.000 signataires. La pétition réclame le remboursement de trois anticorps monoclonaux, l’Aimovig, l’Emgality, l’Ajovy produits par trois laboratoires. “En France, ces médicaments ont reçu depuis 2018 une autorisation de mise sur le marché pour les migraines chroniques et réfractaires. Mais ils n’ont pas d’autorisation pour l’algie vasculaire de la face” résume Isabelle Schaal. Ces traitements sont déjà vendus en officine et remboursés dans 14 pays européens, sauf en France.
On est que 150.000 malades, on n’est pas rentables pour les laboratoires
Isabelle Schaal
Emgality par exemple est vendu en France depuis le 22 mars 2021, mais il n’est pas remboursé. Il en coûte 250 euros par mois de traitement. Avec sa pétition, Isabelle Schaal a obtenu du ministre de la Santé Olivier Véran, une saisine de l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Objectif : obtenir une autorisation temporaire d’utilisation de ces médicaments pour l’algie vasculaire de la face. La réponse vient de tomber. C’est un refus. Les traitements ne sont pas jugés suffisamment efficaces, déplore Isabelle Schaal. Elle ne comprend pas.
Moi, je vais chercher mon traitement en Suisse, c’est 540 euros tous les 28 jours. Ça faisait des années que je crevais de cette maladie. Ce traitement m’a sauvé la vie. J’étais arrivée au bout des traitements, j’étais en errance thérapeutique avec une forme sévère et chronique d’algie vasculaire, de jour comme de nuit.
Isabelle Schaal
La malade, qui vit dans le sud de France, veut continuer à se battre. “Car je sais que ça peut sauver des malades. On se cantonne derrière des études qui disent qu’il n’y a pas de diminution significative des crises, mais ce n’est pas vrai. C’est juste une question d’argent. Les laboratoires ne veulent pas baisser les prix. On est que 150.000 malades, on est pas rentables pour eux. Et l’Etat ne veut pas faire l’effort de rembourser les traitements à ce prix là” regrette-t-elle. Cette malade veut continuer à se battre, ne rien lâcher. D’autant que la Food Drug Administration aux Etats-Unis vient d’autoriser Emgality, un de ces traitements pour l’algie vasculaire de face.
“C’est de la non-assistance à personne en danger”
Pour Céline Dussaucy, la France ne peut pas laisser les malades souffrir plus longtemps. estime-t-elle.
Les anticorps monoclonaux sont des injections qu’on se fait tous les 28 jours, dans la cuisse, le bras ou les fesses. Et ils vont faire barrage à ce qui va déclencher les crises. Dans la phase de 28 jours, on a 20 jours, ou on n’a plus rien. On reprend un semblant de vie. 20 jours où on peut sortir, faire des trucs avec les enfants, 20 jours où ils ne vous entendent plus hurler, ni pleurer, 20 jours où on revient dans le monde des vivants.
Céline Dussaucy, malade atteinte d'algie vasculaire de la face
Actuellement en France, ces traitements ne lui seraient pas remboursés. Il faut compter 500 euros pour la première injection, 250 euros tous les 28 jours pour cohabiter avec cette maladie neurologique incurable. “Celui qui n’a pas cet argent, pas de travail, pas de conjoint, il fait quoi ? Ou il crève avec ses douleurs, où il saute par la fenêtre, voilà où on en est aujourd'hui en France” estime Céline Dussaucy, en espérant que les choses bougent, que l’enfer de la maladie s’éloigne pour de bon.