"On m’a dit : vous vomissez votre bébé" : peu connue, mal prise en charge... Le calvaire des femmes enceintes qui souffrent d'hyperémèse gravidique

Elle concernerait entre 1 et 5% des grossesses. Pourtant, l’hyperémèse gravidique, qui se caractérise par des vomissements et des nausées violentes et nombreuses, est encore mal connue du monde médical. Des Franc-Comtoises racontent le calvaire qu’elles ont traversé pendant leur grossesse.

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"Ça a commencé une semaine après que j’ai appris que j’étais enceinte". Les premiers symptômes de l’hyperémèse gravidique, Laura M. s’en souvient parfaitement. En avril 2020, cette Bisontine tombe enceinte pour la première fois. Et très vite, quelque chose ne tourne pas rond. "Tout de suite, j’ai vomi, beaucoup, raconte-t-elle, c’était des nausées h24, une moindre cuillère à café d’eau m’envoyait aux toilettes". "Je n’arrivais plus à manger ni à boire". Diététicienne, elle connait pourtant toutes les petites astuces que l’on conseille aux femmes enceintes, pour s’accommoder des nausées. "Rien n’a marché". La jeune femme fait tout ce qu’elle peut pour s’hydrater et s’alimenter. Mais rien n’y fait : quelques jours plus tard, alors qu’elle n’est enceinte que d’un mois, déshydratée, en pleine crise d'acétone, elle est hospitalisée. 

L’hyperémèse, une maladie difficile à faire reconnaître

Son histoire, elles sont des centaines à la partager. L’hyperémèse gravidique concernerait 1 à 5% des grossesses. Une fourchette vague, car peu d’études existent sur le sujet. Sa caractérisation médicale reste elle-même floue : "vomissements et nausées incoercibles [ndlr : que l’on ne peut contenir ou arrêter] de la grossesse". En novembre 2019, "j’ai eu les premiers symptômes avant même que les tests de grossesses ne soient positifs" se remémore Manon F. "Je ne comprenais pas pourquoi j’étais aussi nauséeuse". "C’était des nausées du matin au soir, même la nuit, et des vomissements 6, 7 fois par jour". La Haut-Saônoise, qui ne pesait que 57 kilos en perd 7 en quelques semaines. Elle cherche de l’aide auprès de son gynécologue et de son médecin traitant : "C’était minimisé, on me disait ‘ah bah oui, c’est normal, c’est des petits symptômes de la grossesse, il faut prendre son mal en patience’. Mais pour moi, ça devenait atroce". Lorsqu’elle arrive au bout de son premier trimestre de grossesse, son médecin généraliste lui prescrit tout de même une prise de sang : elle est dénutrie et souffre de nombreuses carences. Elle aussi est hospitalisée.

J'ai su que j'étais enceinte le lundi, dès le jeudi j'ai commencé à avoir des fortes nausées, et le samedi j'étais aux urgences

Mathilde P., atteinte d'hyperémèse gravidique

Même scénario, ou presque, dans le Haut-Doubs, pour Angèle B., en 2018 : "j’ai perdu 12 kilos, je vomissais jusqu’à 30 fois par jour". "Mon mari et ma maman ont vraiment cru que j’allais mourir" confie-t-elle. Pour tenir, elle doit être hospitalisée deux fois deux semaines. En Bourgogne, en 2019, c’est moins d’une semaine après avoir appris qu’elle est enceinte que Mathilde P. arrive aux urgences. "Je n’arrivais plus à manger, je ne comprenais pas ce qu’il se passait". Elle sera d’abord renvoyée chez elle, après quelques heures sous perfusion, sans plus d’informations.

Aux urgences, les femmes atteintes d’hyperémèse doivent parfois se battre pour faire comprendre la gravité des symptômes qu’elles subissent. "La deuxième fois où je suis allée aux urgences, l’interne m’a dit : ‘vous êtes déjà venue, on ne peut rien pour vous’ ". Mathilde P. vomit alors une centaine de fois par jour. "Mon conjoint leur disait, mais je pense qu’on ne le croyait pas". Elle doit insister pour que des examens complémentaires révèlent qu’elle est sévèrement déshydratée. Mais une fois hospitalisées, les femmes touchées par l’hyperémèse gravidique ne sont pas toujours au bout de leurs peines, loin de là.

A l’hôpital, un traitement "psy" : elles sont enfermées, dans le noir 

"Ils ont tout de suite diagnostiqué l’hyperémèse, raconte Mathilde P., mais ils voulaient m’envoyer en hôpital psychiatrique". "J’étais jeune, j’avais 25 ans, et c’était une grossesse un peu surprise, on m’a cataloguée direct". Elle est perfusée, mais l’équipe médicale ne discute pas avec elle de ses traitements. "Aucun médecin ne m’a expliqué concrètement ce que j’avais, ils se sont concentrés sur la partie psy". "On m’a quand même dit : ‘vous ne voulez pas votre bébé’. C’était hyper violent, surtout que ça n’était pas vrai."

Ces mots terribles, Mathilde n’est pas la seule à les avoir entendus. "Une personne [un soignant ndlr] m’a quand même dit ‘vous vomissez votre bébé’ " s’émeut Manon F.. "J’ai mis des mois à m’en remettre, c’est tellement violent". "Ils sous-entendaient que je n’en avais pas conscience, mais que je ne désirais pas cet enfant, s’indigne-t-elle, avec mon mari, ça faisait des années qu’on voulait un enfant, on était les plus heureux du monde de découvrir cette grossesse". "Ils insistaient que c’était un rejet de mon corps de cet enfant". Des paroles traumatisantes, qui résonnent encore, plus d’un an après la naissance de sa petite fille.

On est obligées de se battre contre la maladie, et en plus on est obligées de se battre pour faire comprendre que nous ce n’est pas juste des petits symptômes de grossesse classique, et faut vraiment se battre pour dire nous on a vraiment autre chose

Manon F., touchée par l'hyperémèse

Pour Manon F., il n’y a pas de doute : on l’a traitée comme l’aurait été une femme soupçonnée d’être atteinte d’hystérie au siècle dernier. Le protocole mis en place dans de nombreux hôpitaux existe d’ailleurs depuis 1914 : l’isolement. "On doit être dans le noir, pas de télévision, pas de téléphone, on a pas le droit de voir nos proches, même notre mari, énumère la Haut-Saônoise, et le but c’est de nous faire réfléchir sur notre grossesse, pour savoir si on la veut vraiment". 

Toutes les femmes qui nous ont contactées, et qui ont été hospitalisées pour hyperémèse gravidique, nous ont parlé de ce protocole. A Dole, Pontarlier ou Besançon, elles évoquent "une méthode horrible d’isolement total, sans visite, dans le noir". Les raisons évoquées par le personnel soignant varient. "Comme ils ne savent pas trop d’où ça vient, ils disent que c’est souvent psychologique. C’est leur traitement pour se recentrer sur soi-même", se remémore Laura M., hospitalisée à Besançon. "On met les mamans dans le noir pour limiter les sources de bruit, d’odeur, ou de lumières qui nous font vomir " restitue Angèle B., prise en charge à Pontarlier. "Pour moi, c’est de la maltraitance psy" dénonce Manon F.

Trouver, seule, des solutions pour tenir

Faute de traitements médicaux pour améliorer leurs symptômes, les femmes enceintes qui souffrent d’hyperémèse sont ainsi quasiment toutes contraintes de trouver par elles-mêmes des solutions, le plus souvent sur internet. "J’ai fait des recherches de mon côté, et j’ai pris un traitement moi-même, ça m’a beaucoup aidée" confie Laura M.. "Ça n’était pas la grosse joie, mais au moins je pouvais boire et manger". C’est un antihistaminique, en vente libre dans les pharmacies françaises, qui lui a permis d’arrêter de vomir, et de reprendre une alimentation. En France, il ne dispose pas d’une autorisation de mise sur le marché pour les nausées et vomissements de la grossesse, mais il est souvent prescrit dans ce cadre aux Etats-Unis et au Canada. Alors, son nom circule sur les forums et groupes de discussions dédiés à l’hyperémèse.

En France, des groupes facebook en particulier permettent aux femmes qui souffrent d’hyperémèse de partager leurs expériences, comme celui de 9 mois avec ma bassine, ou de l’association de lutte contre l’hyperémèse gravidique. "Ça m’a sauvée", affirme Mathilde P. "C’était le seul endroit où je me sentais comprise, où je pouvais exprimer toutes mes émotions et mes ressentis". "Sans ça, ma fille ne serait pas là. Je pensais avorter… ". Selon l’association Lutte contre l’hyperémèse gravidique, 15 % des femmes atteintes par l’hyperémèse gravidique auraient recours à l’IVG, y compris pour des grossesses désirées et planifiées, faute d’une autre solution.

J'avais l'impression d'avoir d'été la seule au monde à subir ça

Angèle B., concernée par l'hyperémèse gravidique

Fondée en 2018, par deux femmes ayant souffert d’hyperémèse gravidique, l’association propose de la documentation sur la maladie, un répertoire de médecins et de soignants sensibilisés, et une ligne téléphonique d’écoute. Après sa grossesse difficile, Mathilde P. est devenue ambassadrice en Bourgogne-Franche-Comté de l’association. "Pour moi, le plus dur dans la maladie, c’était de ne pas être entendue, ni reconnue". Alors, aujourd’hui, elle répond aux appels à l’aide d’autres femmes atteintes par l’hyperémèse. "Ces coups de téléphones permettent de légitimer leur souffrance, expose-t-elle,  j’ai beaucoup de femmes qui ont besoin d’une hospitalisation d’urgence mais qui n’osent pas y aller. On les écoute, on les légitimise pour qu’elles y aillent". "Je vais aussi les informer sur les traitements qui existent, pour qu’elles en parlent avec leurs médecins, et je vais leur donner des conseils pratiques, sur l’alimentation par exemple". 

Des séquelles pérennes

Ensemble, les femmes touchées par une hyperémèse continuent à se soutenir après la fin de leur grossesse. Car si les nausées et les vomissements s’arrêtent souvent à l’accouchement, des séquelles se font souvent sentir dans les mois et les années qui suivent.  "J’ai des problèmes de santé associés" raconte Angèle B. "J’avais les reins et le foie qui lâchaient". "Je suis ressortie de cette grossesse très faible physiquement" explique Manon F. "J’ai perdu beaucoup de muscles et de poids. J’ai perdu ma voix, elle est encore fragile. Mes dents, le dentiste a remarqué qu’elles étaient énormément abîmées" énumère-t-elle. "J’ai tellement vomi pendant des mois, j’ai eu tellement de spasmes, que mes muscles sont abîmés" confie Mathilde P. "J’ai eu des gros problèmes de fuites, de périnée, pendant longtemps".

Et puis, il y a le traumatisme psychologique. "Ça vous marque, je n’avais pas mesuré ça" avoue Angèle B., "j’ai dû être suivie 18 mois après la naissance". Une femme qui a souffert d’hyperémèse lors d’une grossesse a de grandes chances d’être de nouveau malade si elle retombe enceinte. Alors l’hyperémèse chamboule souvent les projets familiaux des femmes concernées. Angèle B. l’a constatée elle-même : c’est lors de sa deuxième grossesse que l’hyperémèse, dont elle avait déjà souffert en 2013, est devenue hors de contrôle : "j’ai toujours voulu trois enfants, mais clairement l’hyperémèse m’en empêche. Revivre ça, pour moi, c’est insoutenable". Une autre femme, Jurassienne, nous a confié préféré monter un dossier d’adoption, que devoir de nouveau traverser une grossesse sous le joug de l’hyperémèse.

Pour Manon F., l’après-hyperémèse passe par l’écriture : "j’ai décidé d’écrire un livre, pour parler de cette maladie, la faire reconnaître". "J’écris pour soutenir les autres femmes atteintes, qu’elles se sentent moins seules, et pour moi aussi, pour me reconstruire, pour être capable d’envisager une deuxième grossesse". La Haut-Saônoise est déterminée : si aucun éditeur ne la contacte, elle éditera elle-même son ouvrage. Avec en tête, un espoir : "si la maladie était plus connue, on serait peut-être mieux soignées, avec plus de bienveillance".

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