Pollution d’une rivière : devant la justice, cette fromagerie du Doubs nie toute responsabilité

La fromagerie Mulin de Noironte dans le Doubs, encourt une amende « maximale » de 375 000 euros. Elle est poursuivie pour avoir pollué le milieu aquatique à la sortie de sa station d’épuration et provoqué la mort de poissons fin mai 2022. L’affaire était jugée ce vendredi 29 mars au tribunal correctionnel de Besançon.

« Tout commence avec la mortalité piscicole », Claire Keller, la substitut du procureur entame ses réquisitions sur le récit d’une pollution de cours d’eau, une dégradation du milieu aquatique sur 1,6 km de petit cours d’eau, des affluents de la Saône dans les environs de Recologne, un village des environs de Besançon.

C’était entre le 31 mai et le 2 juin 2022, la gendarmerie puis l’Office Français de la Biodiversité constatent une pollution des petits cours d’eau des environs de Noironte et de Recologne. Un « liquide grisâtre », une « odeur de lactosérum » sont constatés par les enquêteurs. Des poissons morts flottent à la surface à certains endroits. Pas directement à la sortie de la STEP mais plus loin, près du château de Recologne.

La fédération de pêche du Doubs et d’autres associations de pêche, la Commission de protection des eaux (CPEPESC) et la municipalité de Noironte ont déposé plainte et se sont constituées partie civile. Après deux renvois depuis février 2023, l’audience a enfin lieu.

Le 8 juin 2022, les journalistes de France 3 Franche-Comté avaient eux aussi constaté cette pollution.

Qui est à l’origine de cette pollution et de cette mortalité ? 

« Une évidence » pour les parties civiles et le parquet, « les flux polluants partent de manière certaine de la fromagerie » estime la substitut du procureur. L’avocat de la fromagerie Mulin, M° Jean-Baptiste Dubrulle, ne laisse rien au hasard pour réfuter les infractions de pollution.  

Après avoir demandé en préambule de l’audience, une procédure de nullité pour cette affaire (qui ne sera pas tout de suite tranchée), l’avocat veut démonter le travail des enquêteurs. « L’évidence doit ressortir de l’instruction pénale. Vous n’avez rien dans le PV » affirme-t-il. « Vous n’avez pas la démonstration que l’augmentation des rejets, le non-respect des rejets a causé des dommages à la faune, la flore et le milieu ». Selon lui, cette mortalité peut s’expliquer par la sécheresse exceptionnelle du mois de mai 2022 ou par la présence d’autres stations d’épuration dans le secteur.

Plus je rejette, plus je pollue. L’équation ne fonctionne pas.

M° Jean-Baptiste Dubrulle, avocat de la fromagerie Mulin

Des cartes détaillées des lieux, des photos des ruisseaux à l’agonie sont projetées. Le président du tribunal, Guillaume de Lauriston, prend le temps de comprendre la géographie des lieux, la circulation de l’eau. Début juin 2022, l’agent de l’OFB a relevé des traces de pollution jusqu’aux buses de la station d’épuration de la fromagerie. « On est sur des années de non-respect de la réglementation applicable. Et puis, on a un point d’orgue le 31 mai, là où on dépasse plus de deux fois ce qui est autorisé » résume l’avocat de la Fédération de pêche du Doubs,

Cette pollution est assumée et totalement volontaire.

M°Dominique Landbeck, avocat de la fédération de pêche du Doubs

Une fromagerie mise en demeure par l’Etat

La fromagerie Mulin est une ICPE, une Installation Classée pour la Protection de l’Environnement, elle est ainsi soumise au respect d’un arrêté préfectoral pris en 2000. Elle doit respecter une limitation de production pour éviter un impact sur l’environnement. Claire Keller, la substitut du procureur, rappelle qu’« entre le 7 janvier 2021 et le 10 juin 2022 , 95,76% des rejets dans le milieu naturel ne respectaient pas les limites ».

En raison de ces non-respects, des procédures ont été engagées cette fois-ci devant le tribunal administratif. L’entreprise a déjà dû payer plus de 250 000 euros d’astreinte. L’État est allé même jusqu’à demander une consignation de 1,5 million d’euros comme gage de réalisation de travaux.

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 La consignation n’a pas encore été versée et la fromagerie a fait appel devant le conseil d’Etat de la décision du tribunal administratif.

« L’environnement comme variable d’ajustement »

Ces dépassements de rejets n’étaient pas jugés devant le tribunal correctionnel, il s’agissait uniquement des faits de pollution ayant entraîné une destruction du milieu et la mort de poissons mais ils ont nourri les arguments des parties civiles.

« Est-ce qu’on peut dire que c’est totalement assumé de dépasser ? » s’interroge l’avocat de la fédération de pêche du Doubs. Cette surproduction, explique le directeur est liée au pic de lactation des vaches.

Le juriste de la CPEPESC, Cédric Guillaume, rappelle qu’il était « déjà devant ce tribunal il y a 25 ans pour une affaire concernant Mulin ». Il s’adresse à Anthony Pralas, le directeur industriel de la fromagerie : « Pourquoi vous ne vous organisez pas pour respecter les normes ? C’est vous l’industriel, c’est à vous d’anticiper les aléas. Cela doit être intégré dans votre démarche ».

Anthony Pralas l’affirme, il ne s’est jamais « défilé ». « Trouver des solutions alternatives, cela ne se fait pas du jour au lendemain ». Actuellement, la fromagerie transporte une partie de ses eaux usées à l’usine de traitement du Grand Besançon et d’autres solutions comme l’épandage sont à l’étude. « Est-ce que le respect des normes était optionnel ? » demande le président. « On ne peut pas tout faire en même temps » répond Anthony Pralas.

Sur son site internet , la fromagerie Mulin indique qu’elle produit une « meule de Besac » une  raclette « Sapin d’or » , de l’emmental et beurre. 96 exploitations agricoles lui livrent du lait soit 42 millions de litres de lait en 2023.

Anthony Pralas se présente comme « proche » des éleveurs. « Pour faire face au remboursement de leur emprunt, ils doivent produire toujours plus et nous les accompagnons, nous récupérons leur production. Sans cela, les exploitations ne sont pas viables » explique le directeur industriel.

L’avocat des parties civiles rappelle que la fromagerie fait partie d’un groupe qui a des « capacités financières extrêmement importantes. Il s’agit de produire plus pour gagner plus avec une variable d’ajustement qui s’appelle l’environnement ». La fromagerie appartient au groupe SODAGRAL qui affichait en 2020 un résultat de plus de 3.5 millions d’euros.

«Aujourd’hui, on ne peut plus accepter ce comportement-là car la population ne l’accepte plus » déclare l’avocat des pêcheurs. Son adversaire rétorque la fromagerie Mulin est un « bouc émissaire idéal » et demande la relaxe de son client. C’est aussi la dernière fromagerie du Doubs à ne pas avoir répondu complètement aux injonctions de mise aux normes de la préfecture du Doubs. La décision du tribunal a été mise en délibéré au vendredi 24 mai.

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