"Vu les dégradations, on se doit d'agir" : pollution des rivières, arrachage de haies... à Besançon, la justice montre qu'elle prend les délits environnementaux au sérieux

En deux ans d'existence, le pôle du tribunal de Besançon dédié aux délits environnementaux commence à porter ses fruits. La formation de magistrats spécialisés et des condamnations plus lourdes incitent les entreprises en infraction à davantage prendre au sérieux les pollutions et atteintes à l'environnement et à se mettre aux normes.

Comment lutter efficacement contre les pollutions industrielles des rivières ou les arrachages abusifs de haies, qui nuisent à la biodiversité ? Pour apporter une réponse judiciaire adaptée à ces délits environnementaux, le tribunal de Besançon s'est doté, comme toutes les cours d'appel, d'un pôle régional environnemental (PRE) en juin 2021.

Mais le cas bisontin fait exception : une substitut du procureur Claire Keller dédie un tiers de son temps à ces "dossiers verts", et est épaulée par une juriste, une assistante et un délégué au procureur spécialisés. Le PRE réalise le plus gros de son activité dans le Doubs, mais souhaite rayonner davantage dans les trois autres départements francs-comtois où il est compétent.

Malgré les enjeux climatiques et un forte demande des citoyens, on assistait à une dépénalisation rampante de ces infractions. On avait des débats contradictoires où les magistrats peu préparés faisaient face à des entreprises représentées par des avocats rompus à l'exercice et où les parquets étaient très frileux à mener des poursuites. (...) En spécialisant les magistrats, on remobilise aussi les enquêteurs.

Étienne Manteaux

procureur de la République de Besançon

Le temps de former cette équipe de choc, le pôle a "mis un an à se mettre en route" mais commence désormais à fonctionner à plein régime : "443 procédures" ont été reçues par le PRE en 2023, contre près de 200 l'année précédente, rapporte Étienne Manteaux, le procureur de la République de Besançon. Dans le même temps, la moyenne des amendes - ou composition pénale - prononcées principalement contre des entreprises, "est passée de 300 à 2 000 euros, complète Claire Keller, montant auquel on ajoute celui des travaux de remise en état, qui atteignent facilement 2 000 à 5 000 euros"

Un "électrochoc" de remise aux normes

Parmi ces entreprises contrevenantes, on trouve notamment une quantité importante de fromageries, dont les installations défectueuses occasionnaient des rejets dans les cours d'eau avoisinants. Deux fromagers doubistes ont été condamnés en 2022, et la préfecture a mis en demeure quatorze autres de rénover leurs équipements.

Depuis des années, on ne disait rien à ces fromageries donc elles continuaient. La formation des juges aux questions environnementales a créé un électrochoc : la plupart de ces laiteries ont depuis saisi la préfecture en urgence pour mettre à jour leurs installations, dans un cadre administratif. (...) Et le monde agricole n'est pas vent debout non plus.

Étienne Manteaux

procureur de la République de Besançon

Outre les rejets polluants, les dossiers concernent aussi des lessivages de terre ou encore des arrachages de haies abusifs. Ce dernier acte est réalisé pour gagner de la surface cultivable, mais contribue à la chute des populations d'oiseaux - qui nichent dans ces buissons - et favorise d'éventuelles inondations.

Le procès, une issue facultative

Le tribunal a créé des audiences pénales spéciales où ne sont jugées que ces atteintes à l'environnement. "Il pouvait arriver aux juges de comparer les gravités d'un acte de violence avec un délit environnemental lorsqu'ils jugeaient tout ça le même jour. L'émotion n'est pas la même," ce qui pouvait amener à une certaine clémence sur les dossiers environnementaux, affirme Étienne Manteaux. Ces audiences spéciales d'une demi-journée se tiendront à une fréquence plutôt modeste, chaque semestre.

Mais "le but, c'est de cesser au plus vite ces infractions, ce n'est pas d'amener tout le monde à l'audience," répond le représentant du ministère public. De plus en plus, les contrevenants ne vont pas jusqu'à des poursuites au pénal et préfèrent signer des sortes d'arrangements préalables, appelés conventions judiciaires d'intérêt publiques (CJIP).

Quatre CJIP ont été conclues en 2023 : mis en demeure pour les dysfonctionnements du zoo de la citadelle, la mairie de Besançon a accepté de payer 7 500 euros d'amende ; idem pour la SNCF qui s'est acquittée d'une sanction de 80 000 euros pour le curage d'une zone humide à Pontpierre-sur-Doubs. La solution CJIP est aussi moins contraignante pour l'entreprise en infraction, puisque la justice lui impose un délai maximal de trois ans pour les travaux de remise en état, contre six mois au pénal.

Ces questions environnementales me tiennent à cœur personnellement. Nous avons de très belles rivières de résurgence dans la région, qui étaient célèbres pour leur pureté. Quand on voit la dégradation de certains milieux, on se doit d'agir.

Étienne Manteaux

procureur de la République de Besançon

Mais tout ne se résout pas à l'amiable : mise en demeure en juin 2022, la fromagerie Mulin & fils de Noironte (Doubs) fait l'objet d'une procédure de consignation de la préfecture pour un montant d’1,5 millions d’euros pour "un constat récurrent de pollution".

Seule fromagerie à ne pas avoir avancé dans son processus de régularisation de ses installations, elle sera jugée lors de la prochaine audience spéciale, le 29 mars 2024, après un premier report en septembre 2023. L'entreprise a même engagé des poursuites contre l'État pour contester l'arrêté préfectoral.

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