Témoignage. Laurent est décédé d'un accident du travail le jour de ses 22 ans : “Il est parti sans savoir que je lui avais souhaité son anniversaire”

Publié le Mis à jour le Écrit par Laurie Henriet

Laurent Paillard, originaire de Besançon (Doubs), venait d’avoir 22 ans. Le 7 novembre 2018, il a succombé à un accident du travail en Côte-d'Or. Son employeur ne l’avait pas déclaré. L'homme sera jugé devant le tribunal correctionnel de Dijon, le 11 juillet 2023.

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On n’a pas le droit de jouer à la roulette russe avec la vie des gens”, glisse Françoise Goodwin Hillier. Il y a quatre ans, son fils Laurent a perdu la vie dans un accident du travail. Le jour de ses 22 ans. “Il est parti sans savoir que je lui avais souhaité son anniversaire”, confie cette mère endeuillée.

"Quand on perd un enfant brutalement comme ça, ça détruit une famille. Malgré tout, plus rien ne peut être comme avant”, lance Françoise. Sa voix se brise un instant. “Parce qu’il y aura toujours un absent”.

« On ne plaisante pas avec les normes de sécurité »

Ce 7 novembre 2018, Laurent, un jeune Bisontin “qui vivait de petits jobs”, travaillait pour un forain à Magny-Saint-Médard (Côte-d'Or).

Alors que son patron, que Laurent guide “à la voix“, transfère d’un camion à un autre les éléments d’une grande roue grâce à une grue, Laurent est percuté à la tête, sur l’encéphale, par une barre en métal d’1,2 tonne. Il décède sur place, malgré l’intervention des secours. 

Laurent avait 21 ans sur cette photo. Il décède d'un accident du travail le jour de ses 22 ans. © DR - Françoise Goodwin Hillier

L’inspection du travail est saisie et la famille porte plainte contre le forain. Le procès se déroulera le 11 juillet 2023 devant tribunal correctionnel de Dijon (Côte-d'Or). Six chefs d’accusation pèsent contre ce dernier, dont l’homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’obligation et de prudence, et le travail dissimulé.

À lire aussi : "Pendant des mois, j'ai vécu en apnée" : derrière les accidents du travail mortels, le long combat judiciaire des familles endeuillées

Ce procès, cinq ans après le drame, Françoise le voit comme une “partie des phases du deuil”. Tout en sachant que “ça ne [lui] ramènera pas [son] fils. Son avocat, Maître Gilles Fouriscot, attend “une prise de conscience de la gravité de la part du prévenu” ainsi que la profession comprenne “qu’on ne plaisante pas avec les normes de sécurité”.

Une « irresponsabilité criminelle »

Avec sarcasme, Gilles Fouriscot évoque “le grand professionnalisme de l’employeur”, qui aurait commis “cinq violations majeures aux règles de sécurité”. Le prévenu aurait ainsi négligé les vérifications périodiques de la grue ayant servi à déplacer les éléments du manège.

Il n’a pas voulu tuer mon fils, mais son irresponsabilité, elle, est criminelle.

Françoise Goodwin Hillier, mère de Laurent Paillard

Contrairement à ce que prévoit la loi, l’employeur de Laurent ne l’avait pas déclaré, ni formé et ne lui avait fourni ni casque, ni gants, ni chaussures de sécurité - des équipements de protection individuelle, pourtant obligatoires. “Objectivement, s'il avait eu le casque, il n’y aurait pas eu de conséquence létale”, poursuit l’avocat.

Le forain, selon l'avocat de la famille de la victime, avait également omis d’établir son DUERP, un document obligatoire dès l'embauche du 1ᵉʳ salarié et dans lequel il aurait dû évaluer les risques pour la santé et la sécurité auxquels auraient pu être exposés ses employés.

"Mon client est profondément touché par ce qui est arrivé. Il entend assumer ses responsabilités"

Le forain sera défendu à l’audience par l’avocat Me Jean-Philippe Morel. “Mon client est évidemment très meurtri par ce qui est arrivé à ce jeune homme. Il est profondément touché par ce qui est arrivé. Il entend assumer ses responsabilités”. Le déménagement de cette grande roue s’est fait très vite. L’avocat reconnaît qu’il y a eu des défaillances et que tout salarié devrait être déclaré dès la première minute. Mais “mon client n’est pas un délinquant, il n'a pas de casier judiciaire. On n’est pas sûr des manquements répétés” ajoute Me Morel qui espère que la justice tiendra compte de la taille de cette petite entreprise, un patron, un salarié et pas de service de ressources humaines. L’avocat espère une peine avec sursis dans ce dossier. “Ce qui compte, c’est bien sûr l’indemnisation des proches, même si on ne répare pas la douleur des proches”. 

Des victimes et des circonstances très souvent similaires

Quand cet accident du travail s'est produit “un petit "filet" avait été publié dans la presse sur Dijon, se remémore Françoise, “mais rien de plus”. Un fait-divers comme un autre, dirait-on.

Mais, pour Matthieu Lépine, “considérer qu’il [ndrl: les accidents mortels du travail] ne s’agit que de faits-divers, ce serait considérer que c’est un fait isolé”. Auteur du livre "L'Hécatombe invisible, Enquête sur les morts au travail", il énumère les accidents professionnels mortels en France sur son compte Twitter depuis 2016. “Or, on voit que les circonstances et les victimes sont très souvent les mêmes”.

Ce n’est pas parce que c’est un gamin et qu’il a besoin d’argent, que pour quelques billets, on s’en fout de sa vie.

Françoise Goodwin Hillier, mère de Laurent Paillard

Comme Laurent, en 2018, 551 personnes ont trouvé la mort en France lors d’un accident du travail, selon l’Assurance Maladie. Matthieu Lépine estime que l’”on tourne autour de 800, voire 900 morts au travail par an”. Des travailleurs du secteur du BTP, de la route et de l’agriculture principalement.

Le collectif Stop à la Mort au Travail fait bouger les lignes

Matthieu Lépine dénonce “un système qui préfère le profit à la sécurité des employés”. “Il y a des morts qui pourraient être évités pour une ligne de vie à 150 euros”. Il note cependant "que les choses avancent", notamment grâce au collectif Stop à la Mort au Travail. Une association fondée par des parents de victimes, qui multiplie les rencontres et les interventions, au ministère du Travail, de la Justice, au Parlement européen, etc, pour tenter de faire évoluer la législation en la matière.

À lire aussi : Alban Millot, 25 ans, est mort dans un accident du travail en Bretagne : son employeur, condamné à de la prison ferme, fait appel

Hier, c’était Alban Millot, aujourd’hui, c’est Laurent et demain, ce sera un autre.

Françoise Goodwin Hillier, mère de Laurent Paillard

Depuis le 9 juin 2023, un décret oblige les employeurs à déclarer un accident mortel du travail d'un de leurs salariés à l'inspection du travail, dans les 12 heures. "Maintenant, il faut que ça se concrétise vraiment", conclut Matthieu Lépine.

Matthieu Lépine a dénombré pas moins de 167 morts au travail sur les 6 premiers mois de l'année 2023.

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