Originalité de la nouvelle exposition “Ceux de la Terre” au musée Gustave Courbet d’Ornans, les visiteurs pourront regarder certaines des 80 œuvres exposées en découvrant l’analyse fine et pertinente d’agriculteurs du Doubs. Au mois de mars, un groupe d’agriculteurs s’est retrouvé à la Ferme de Flagey pour partager leurs impressions autour de quelques tableaux de l’exposition estivale du musée d’Ornans. Une parole actuelle qui résonne avec la figure du paysan au XIXe siècle.
Séverine Clémence n’a pas hésité à faire une heure de route pour voir en vrai ce tableau qui l’a tant émue. Nous avions donné rendez-vous à cette agricultrice des Fontenelles dans le Haut-Doubs, au musée Courbet d’Ornans avec Noël Barbe, l’ethnologue du pôle Courbet.
Le musée d’Ornans est labelisé ethnopôle par le ministère de la Culture depuis 2010. “Ce label, décerné par le Ministère de la Culture en 2010, permet au Département de développer, en parallèle des actions culturelles, un pôle national de recherche et de ressources en ethnologie “ précise le site du musée.
L’objectif de l’ethnopôle est de développer les relations entre activités artistiques, population et territoire ; les modalités de représentation d’un territoire et enfin les modalités d’intervention artistique et d’action culturelle.
Musée et Pôle Courbet
Cette année, l’occasion était trop belle pour faire vivre cet ethnopôle. Le musée Courbet est au cœur d’un territoire rural, le pays de Courbet devenu terre à comté. D’où l’idée de Benjamin Foudral, conservateur du musée et directeur du pôle Courbet de proposer à des agriculteurs du Doubs de participer à un travail de réflexion autour de quelques-unes des œuvres choisies pour l’exposition temporaire “Ceux de la Terre”.
En mars dernier, Benjamin Foudral et Noël Barbe ont accueilli à la Ferme de Flagey, un groupe d’agriculteurs du Doubs de la Fédération Départementale des Groupes d’Etude et de Développement Agricole.
“Ce jour-là, à Flagey, il faisait beau, raconte l'ethnologue. Dans la ferme réaménagée du père de Gustave Courbet, Chris avait installé la salle de manière à ce que nous prenions place autour d’une grande table, au centre d’une exposition en cours. Le vidéoprojecteur était prêt, il fonctionnait."
Peu à peu elles et ils sont arrivés, parfois en avance, des agricultrices et agriculteurs venus penser avec nous sur certaines des œuvres qui allaient être montrées dans l’exposition Ceux de la terre. Des œuvres qui, d’une certaine manière, entendent représenter ceux qui les avaient précédés dans l’exercice d’une même profession.
Noël Barbe, ethnologue
Ces agriculteurs se retrouvent régulièrement pour parler de leur métier et de leur place dans la société. L’an dernier, ils étaient venus en voisin au musée Courbet pour l’exposition Courbet-Picasso. Cette fois-ci le conservateur du musée Courbet et l’ethnologue Noël Barbe ont voulu les associer bien en amont de l’exposition temporaire 2022.
“On a pour objectif de croiser les thématiques Beaux-Arts que l’on aborde habituellement avec des thématiques beaucoup plus contemporaines, ethnologiques, explique Benjamin Foudral. C’est le cas de ce travail réalisé avec les agriculteurs".
C’était aussi une volonté personnelle d’aller voir finalement ce monde agricole auquel on accorde peu la parole et qui fait un peu partie de ces publics qui sont un peu hors du champ culturel.
Benjamin Foudral, conservateur et directeur du musée Courbet
Pour l’exposition Courbet-Picasso, c’était la première fois que Séverine Clemence se rendait au musée consacré au maître d’Ornans. Juchée à 900 mètres d’altitude aux Fontenelles, près de la frontière suisse, son exploitation agricole (qu’elle gère avec son mari Eric) ne lui laisse guère le temps de se rendre dans les musées.
Cette fois-ci, Séverine Clémence avait hâte de voir en vrai ces œuvres qui montre la figure du paysan au XIXe siècle. Des représentations d’hommes et de femmes au labeur ou au repos qui ont traversé les années sans perdre leur vocation à émouvoir et donner matière à réflexion.
La petite bergère est au premier plan. Elle se confond un peu dans le paysage. Sa robe elle a un peu la même couleur que le paysage. Elle a un regard triste. C’est vraiment ce regard triste qui m’a interpellé. Elle a des petits moutons à côté d’elle mais elle ne regarde pas. On a l’impression qu’elle est plantée devant le tableau mais qu’elle n’appartenait pas à ce paysage. Cela m’a fait tout de suite fait penser à la condition féminine dans l’agriculture. Moi, j’ai choisi mon métier mais cette petite bergère, elle n’a pas eu le choix.
Séverine Clémence, agricultrice
Pour Benjamin Foudral, “les analyses réalisées sur ces tableaux sont d’une justesse infinie, sensibles. Avec une parole qui vaut finalement toutes les autres paroles. Ce n’est évidemment pas la parole du connaisseur, de l’historien de l’art mais cela apporte un autre regard plus sensible et parfois plus juste”
J’ai pris une claque et je pense que mon collègue ethnologue aussi. Cette parole est très libre. On a entendu des choses liées à l’actualité, à la place des femmes qu’on entend peu dans les médias, ou même dans le monde agricole aussi.
Benjamin Foudral, conservateur du musée Courbet
Le conservateur du musée d’Ornans est lui-même issu d’un monde rural. “J’ai vécu dans un petit village de 160 habitants jusqu’à mes 18 ans, raconte Benjamin Foudral. Ma mère est agricultrice, elle travaille encore dans le Gers. C’est une thématique qui me touche. En tant que conservateur, historien de l’art, on parle aussi un peu de nous dans les expositions qu’on choisit. C’est évident que c’est un peu un hommage à ma famille, ma mère surtout”.
« La ruralité tout le monde en parle, mais sans la connaître vraiment » a déclaré l’un des participants au groupe de travail de Flagey.
Tout l’objectif de cette exposition est d’aller au-delà des apparences. L’image du paysan au XIXe siècle est complexe. Tentative de récupération par le pouvoir politique, expression de la modernité ou du conservatisme, représenter le labeur dans les champs va au-delà de la simple image. “Ce travail avec les agriculteurs permet d’un peu mieux comprendre la ruralité en tout cas de donner des clés de lecture” conclut Benjamin Foudral.
Avec : Séverine Clémence | Agricultrice Noël Barbe | Ethnologue du pôle Courbet Benjamin Foudral | Conservateur du musée Courbet Reportage : I.Brunnarius, L.Brocard, V.Martin.
"Ceux de la terre. La figure du paysan, de Courbet à Van Gogh" – Jusqu’au 16 octobre 2022 – Musée Courbet, 1 Place Robert Fernier 25290 Ornans – Tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h.