Education : pourquoi les enseignants sont-ils hostiles aux réformes ?

La réforme du collège, prévue pour la rentrée 2016, mobilise contre elle de nombreux enseignants qui descendront dans la rue samedi 10 octobre 2015. Une réforme éducative est toujours un défi, notamment en France, souligne le chercheur Vincent Dupriez, auteur de Peut-on réformer l'école?

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Pourquoi de telles réticences de la part des enseignants alors que les études internationales de type PISA soulignent les faiblesses importantes du système français ?

Un système éducatif est une structure cellulaire, une juxtaposition d'enseignants qui, chacun dans sa classe, va tenter de répondre à plusieurs objectifs vis-à-vis d'un groupe d'élèves, de manière quasi-autonome. Cette organisation du travail, très différente de celles qu'on retrouve dans une usine ou un hôpital, rend indispensable l'adhésion des professeurs au projet de réforme.

Cette division cellulaire est particulièrement poussée en France, car son système éducatif se définit prioritairement par une mission de transmission de savoirs. On a longtemps pensé qu'il suffisait d'avoir des experts dans chaque discipline pour que cette transmission puisse s'effectuer. Et qu'il n'y a pas besoin de dialogue entre l'expert en mathématiques et l'expert en histoire qui pourtant enseignent aux mêmes élèves.

En Scandinavie et en Australie par exemple, les professeurs collaborent beaucoup plus. Ils sont dans leur établissement toute la journée et ont donc plus de temps pour discuter avec leurs collègues, leurs élèves ou les parents, et construire un projet éducatif. Dans ces pays, l'établissement scolaire insiste sur son insertion dans un quartier ou une communauté locale.



Quel est le levier à activer pour convaincre les enseignants de la nécessité de telle ou telle réforme?

Pour passer progressivement d'une ancienne manière de faire à une nouvelle, les professeurs doivent se sentir soutenus et accompagnés, via une formation continue et solide. Il faut dire aux profs : "c'est un vrai défi, pas un petit changement qui nécessite juste de la bonne volonté. Mais on va vous accompagner, être à vos côtés".

Mes travaux m'ont montré que la formation des enseignants est la garantie première de la qualité d'un système éducatif. On discute actuellement en Belgique d'une réforme de la formation des professeurs. Après avoir étudié les systèmes de nos voisins, le modèle français nous est très vite apparu comme celui à ne pas suivre, car s'il est très exigeant sur les disciplines, il propose peu sur la manière d'enseigner à des publics divers.

Dans beaucoup de pays, la formation s'appuie sur une double mission : le contenu à transmettre (les disciplines) et la formation pédagogique (comment vais-je pouvoir travailler cette discipline avec mes élèves ?). En France, vous mettez la barre très haut pour l'expertise dans les disciplines, mais vous ne travaillez pas la formation pédagogique. Une tradition qui a beaucoup de conséquences sur la manière de penser et de vivre le métier.



Malgré la réticence aux réformes, pourquoi nombre de professeurs n'hésitent-ils pas à tenter de nouvelles choses dans leurs classes ?

La structure cellulaire évoquée précédemment rend complexe tout projet de changement à grande échelle. Mais, elle est aussi propice à des innovations locales à échelle réduite, au sein d'une école ou même d'une classe. Le pilote d'une réforme à l'échelon national doit comprendre qu'une réforme réussie, c'est celle qui a su générer un très grand nombre d'innovations locales, quitte à ce que le projet ne soit plus tout à fait ce que le ministre avait souhaité.

Les propos de Vincent Dupriez, chercheur à l'université catholique de Louvain (Belgique), ont été recueillis par Frédérique Pris (AFP).
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