"Faut pas avoir peur de mettre les mains dans la terre !" dit un maire de Haute-Saône, 85 ans et toujours en action

Raymond Claudel, maire de La Pisseure, dans le nord de la Haute-Saône, termine son sixième mandat. Pas de quoi faire flancher le doyen des édiles du département, qui entreprend encore la plupart des travaux de la commune. Portrait de ce maire engagé sans interruption depuis 1986.

A La Pisseure, l’automne a enveloppé les arbres et les maisons de son voile doré. Dans cette petite commune (36 habitants au dernier recensement) du nord de la Haute-Saône, à quelques kilomètres des Vosges, coule paisiblement un bras de la Semouse. Dans la rue principale, les passants se font rares, mais un son familier éveille l’attention : deux hommes balayent puis ramassent les feuilles, qui tombent, incessamment. Rien d’étonnant, si ce n’est que c’est monsieur le maire, 85 ans, qui s’y colle.

Les espaces verts de sa commune, c’est peut être lui qui les connaît le mieux, il les choie encore chaque année, comme il repique les fleurs ou veille à la propreté de la voirie. « Faut pas avoir peur de mettre les mains dans la terre ! », s’amuse Raymond Claudel, qui répète à l’envi « Un maire de 85 ans il peut encore travailler. »  C’est d’ailleurs pour celui qui marche encore 6 km chaque jour, la clé d’une bonne santé : rester actif.
 


33 ans de mairie


Raymond Claudel est maire de La Pisseure depuis 1986, sans interruption. C’est le doyen des maires haut-saônois, et le troisième maire le plus âgé de Franche-Comté. Pas du genre à s’enorgueillir, M. Claudel préfère s’en amuser : « J’aimerais mieux être le plus jeune ! » Natif de Fresse-sur-Moselle, dans les Vosges, il arrive en Haute-Saône après-guerre, avec ses parents, paysans. Ouvrier à Sochaux, magasinier puis chauffeur-livreur à Vesoul, il s’installe avec son épouse dans une ferme en friche à La Pisseure en 1970, en tant qu’agriculteur, jusqu’à sa retraite en 1990. « J’ai fait un peu tous les métiers… » précise Raymond Claudel.

Un homme à tout faire, qui s’investit vite dans les tâches municipales : « J’étais bien avec le maire, il me dit "tu ne veux pas faire partie du conseil ?" » Et c’est le début d’une longue histoire. Conseiller en 1972, Raymond Claudel devient premier adjoint en 1977 avant de prendre les commandes de la mairie à la mort du maire, dès 1986.


Faire face au dépeuplement


A l’époque, la commune comptait un peu plus d'une vingtaine d'âmes. « C’était que des personnes âgées, pas d’enfants », se souvient Raymond Claudel, dont le premier défi en tant que maire a été d’attirer de nouveaux habitants. « Personne ne voulait venir à La Pisseure. » Raymond Claudel et son équipe trouvent des terrains à bâtir, et comptent sur le bouche-à-oreille. « Le village était mort, on n’avait pas de trottoirs, il y avait encore un fossé devant la mairie ». Et la vie n’était pas celle qu’on connaît aujourd’hui : « Il n’y avait pas de salle de bains, pas de WC, pas de baignoire, ils n’usaient pas d’eau… » Les efforts de la mairie finissent par payer, non sans amener de nouvelles problématiques. Le village finit pas s’agrandir, et la petite source communale ne suffit plus à fournir la pression suffisante. La commune finance donc sa propre connexion au réseau d’eau voisin.


L’indépendance, une richesse en, perdition


Ces défis, Raymond Claudel les a relevés un par un, en, toute autonomie. Une époque révolue et des prérogatives perdues. En 2014, la loi Alur prévoit le transfert des compétences en matière d’urbanisme aux communautés de communes. Mise en application depuis 2017, elle bouleverse les modes de fonctionnement des collectivités locales, et ennuie quelque peu Raymond Claudel : « On ne peut plus s’agrandir, […], on a du terrain qu’on pourrait bâtir, eh bien on n’a plus le droit. On nous a dit que le village s’était suffisamment agrandi. » Et le spectre du vieillissement a ressurgit.

L’assainissement, les permis de construire, les papiers d’identité… On n’est plus maîtres. Si on a besoin de quelque chose […], faudra aller pleurer à la communauté des communes.
- Raymond Claudel, maire de La Pisseure.

Prochaine étape, craint le maire, les ventes de bois, qui selon lui pourraient bien être régies par l’ONF. « Toutes les communes ont voté contre, mais ils y arriveront un jour. » Car La Pisseure est entourée de forêts, dont elle tire des revenus chaque année. Des ventes, qui, avec des terrains et un logement en location, assurent à la commune des ressources suffisantes. « On s’en sort bien, on arrive à avoir de l’argent de côté, on a toujours payé sans faire d’emprunt, » se souvient Raymond Claudel. « J’aime bien avoir toujours une avance », rigole-t-il devant ses petits-enfants, qui lui reprochent parfois son côté économe. Sa brouette à la main, monsieur le maire n’en démord pas : « Si c’est pas nous qui le faisons, faut prendre quelqu’un, ça coûte cher… Du moment qu’on peut le faire ! » Pas casse-cou non plus, Raymond Claudel délègue toutefois la taille des arbres à un paysagiste. « Il y a encore quatre cinq ans, c’est moi qui les taillais. »

 


Maire, une astreinte permanente


L’autre secret de la longévité ? Être bien accompagné. Trois heures par semaine le jeudi, une secrétaire de mairie assure l’intendance administrative, un travail de fond. « Elle est vraiment compétente, on a beau lui demander n’importe quoi, elle sait tout faire. Elle fait plus de boulot que le maire ! », avoue le premier magistrat. Et pour cause, la fonction s’est beaucoup numérisée : « On ne reçoit plus guère de courriers, c’est tout à l’ordinateur. Il y a des choses que je sais faire, mais ce n’est pas évident. » Bientôt en retraite, la remplacer pourrait être une gageure. « Une secrétaire à plein temps, on trouverait tout de suite. S’il faut ajouter des heures [au contrat, NDLR], on le fera, » glisse le maire, non sans allusion à l’équilibre du budget communal.

De son côté, il travaille presque à plein temps. Une astreinte permanente, qu’une indemnité mensuelle dédommage. Pourtant, Raymond Claudel, qui vit avec une petite retraite, préférait n’en toucher qu’une partie. En tout cas, jusqu’à ce que la loi contraigne les communes de moins de 1000 habitants à verser l’intégralité de la somme à leurs édiles, en 2016. Une mesure embarrassante pour de nombreux villages désireux d’économies. « Je ne prenais même pas la moitié. C’était pour laisser de l’argent la mairie », regrette l’élu.
 

Vivre avec son temps


Les projets, Raymond Claudel n’en manque pas. Comme de nombreuses communes rurales, La Pisseure est confrontée au manque de couverture en réseau mobile, un autre motif d’attractivité. Récemment, une antenne relais a vu le jour, après des mois de démarches auprès du département et des opérateurs mobiles. Une satisfaction pour le maire, qui a même fourni l’emplacement, faute de terrains communaux adaptés. Vivre avec son temps, une nécessité quand on gère une collectivité : la salle de conseil municipal, située au premier étage de la mairie, ne sera bientôt plus aux normes d’accessibilité. Le maire entend donc créer un espace d’accueil au rez-de-chaussée : « On met un bureau, une chaise, une sonnette. La place de parking est déjà faite. » Une rampe est prévue pour les fauteuils roulants, de quoi redonner une jeunesse au bâtiment communal. Les initiatives, il en faut bien quand on est maire. Une de celles qui lui évoque les meilleurs souvenirs, ce sont les repas de fin d’année, une tradition qu’il a proposée dès ses premières années de mandat. « Comme ça on voit toute la commune, on se parle ! » 
 

6 mandats et puis…


En 2017, Raymond Claudel a reçu la médaille d’or d’honneur communale. Une distinction remise aux élus à partir de 20 ans de service par la Préfecture, en hommage à leur dévouement. S’il l’accroche bien volontiers à son tricot pour la caméra, l’édile ne parle pas de fierté, mais plutôt d’une « belle aventure ».


A moins de quatre mois du premier tour des élections municipales, le maire de la Pisseure ne fait pas mystère de sa décision. « Je ne vais quand même pas finir maire dans un fauteuil roulant ! », glisse, pragmatique, Raymond Claudel, qui boucle son sixième mandat consécutif. Alors en 2020, il passe le relais. Et la relève semble toute trouvée. Son fils Daniel, conseiller municipal depuis plus de 30 ans également, se dit prêt à prendre la suite. Néanmoins, Raymond Claudel ne compte pas tirer un trait sur son engagement : « Je laisserai l’initiative aux jeunes mais je viendrai les aider ! » En les observant ramasser les feuilles, on se dit que les deux complices n’ont pas fini de faire parler d’eux.

 
La Pisseure (70) - la liste des candidats aux élections 2020 (1er tour)
  • Source Ministère de l'Intérieur
  • Mme Valérie CLAUDEL
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  • M. Daniel CLAUDEL
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  • M. Dominique CLAUDEL
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  • M. Hervé DEMASSUE
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  • M. Daniel DEUX
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  • M. Pascal LEMPEREUR
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  • M. Romain LEMPEREUR
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