Harcèlement sexuel dans la gendarmerie : pourquoi ça continue malgré plusieurs condamnations ?

Des femmes gendarmes viennent de porter plainte pour harcèlement sexuel au sein d'une brigade de gendarmerie de l'Ain. Plusieurs affaires similaires ont déjà eu lieu, notamment dans l’Yonne. Les condamnations ne sont pas assez fortes, estime une avocate spécialisée.

 

 

Malgré les condamnations, il y a toujours des affaires de harcèlement sexuel 

Le parquet de Bourg-en-Bresse a ordonné l'ouverture d'une enquête après deux dépôts de plainte faits par des femmes gendarmes.  Elles ont dénoncé des actes de harcèlement sexuel au sein d'une brigade de gendarmerie de l'Ain.

Des investigations "devraient permettre de déterminer si les faits sont avérés", a indiqué le parquet mercredi 29 juillet 2020. De son côté, la gendarmerie explique qu'une enquête "de commandement" (interne) a été engagée très rapidement après les faits, "dès le 2 juin 2020, donc avant même le dépôt des plaintes des victimes".

Cette nouvelle affaire ne surprend pas Maître Elodie Maumont, co-fondatrice d’un cabinet d’avocats exclusivement dédié au droit des militaires.
Cela fait des années qu’elle traite des dossiers de ce type.

"Je ne constate pas une diminution singulière de ce nombre d’affaires", dit-elle. "Soit les condamnations ne sont pas assez diffusées, soit elles ne sont pas assez fortes. Mais, il y a vraiment un problème pour faire comprendre que de tels comportements ne sont pas admissibles. Ça commence avec la blague potache, mais la blague potache peut blesser profondément."



"Un plan à trois, ça te dirait ?"

Me Elodie Maumont a défendu notamment une femme gendarme qui était en poste à Joigny, une brigade de l'Yonne. Et le moins que l’on puisse dire c’est que les faits allaient bien au-delà de simples "blagues".

"C’était une petite brigade où deux harceleurs avaient pu asseoir leur emprise avec la défaillance du capitaine", se souvient Elodie Maumont.

Deux gradés - un adjudant et un maréchal des logis - tenaient à une jeune collègue des propos répétés à connotation sexuelle. Il y avait une surenchère entre les deux hommes qui multipliaient les grossièretés : un jour, l’un d’eux s’était tenu derrière la jeune femme en poussant des gémissements suggestifs; une autre fois, l’autre avait tenté de l’embrasser sur la bouche.

"Je te niquerais bien. Quand est-ce qu’on baise ? Un plan à trois, ça te dirait ?" Ce n’est qu’un petit aperçu des réflexions auxquelles la femme gendarme avait droit, sans parler de remarques carrèment ordurières et racistes.


Dans son jugement du 12 avril 2016, la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris avait condamné l’adjudant et le maréchal des logis de la brigade de Joigny à une peine de prison avec sursis. Et pour l’un d’eux, le tribunal avait prononcé à titre de peine complémentaire l’interdiction définitive d’exercer les fonctions de gendarme. Une décision qui allait faire bouger les lignes, espérait l'avocate.

"Mais, dans d’autres affaires qui ont été jugées par la suite, les condamnations n’ont pas été assez fortes pour être suffisamment exemplaires", déplore Maître Elodie Maumont . "Trois ou six mois d’emprisonnement, ce n’est pas fort. Une interdiction d’exercer, ça c’est exemplaire. Mais, parfois même, on accède à la demande que la condamnation ne figure pas au casier judiciaire des militaires mis en cause."

 
 

Comment faire changer les mentalités ?

"La gendarmerie a un système baptisé "Stop Discri" qui lui est propre : c’est un dispositif destiné aux agents qui s’estiment victimes de harcèlement ou de discriminations.
Je regrette que là-dessus la gendarmerie ne soit pas sous la tutelle du ministère des Armées (alors qu’elle l’est sur beaucoup de points) car une cellule appelée Thémis a été créée au sein du ministère des Armées en 2014.

La cellule Thémis a pour but d’accompagner les victimes, mais aussi de s’assurer qu’elles ne subissent pas les conséquences néfastes sur leur carrière, en plus de la difficulté à porter jusqu’au bout un combat judiciaire.
Car, c’est ce qu’on voit aujourd’hui : souvent les femmes qui osent dénoncer les faits sont souvent celles par qui le scandale arrive et celles qu’il faut éliminer.

J’ai défendu plusieurs femmes qui ont dénoncé des faits d’agression sexuelle et qui m’ont dit : "Je vais jusqu’au bout. Je sais que ma carrière est terminée. Mais, si je peux aider pour que ça ne recommence pas, je le ferai".

Elles sont d’autant plus courageuses qu’elles sont souvent prises dans un conflit de loyauté. En effet, dans le milieu militaire, on est dans le devoir d’obéissance. Elles doivent dénoncer des faits qui sont insupportables et inadmissibles et en même temps on leur donne l'impression qu’elles trahissent l’institution", résume Maître Elodie Maumont. "Il y a encore du chemin à faire en matière de lutte contre le harcèlement sexuel, tant dans l'armée que dans la gendarmerie."

 
 

Quelles mesures existent au sein de la gendarmerie pour aider les victimes ?


"Plusieurs dispositifs ont été mis en place pour lutter contre le harcèlement", assure le service Communication de la Gendarmerie nationale, qui cite pas moins de six possibilités de recours en cas de harcèlement et de souffrance au travail :

1-Les gendarmes peuvent aller consulter un médecin militaire et bénéficier d’un suivi.

2-Ils peuvent faire appel au commandement, c’est-à-dire à leurs supérieurs hiérarchiques. 

3-Les gendarmes peuvent faire appel à des conseillers concertation, qui sont des gendarmes élus par leurs pairs "de la même façon que des représentants du personnel".

4-La cellule Stop-discri est un dispositif rattaché à l’Inspection générale de la gendarmerie. Elle est composée de personnels chargés de recueillir les plaintes pour discrimination.

5-Le réseau des psychologues cliniciens de la gendarmerie : on en compte 42 dans les régions. On peut les visiter et "la hiérarchie n’est pas forcément au courant, sauf s’il y a un problème grave", précise la Gendarmerie nationale.

6-Le réseau Ecoute Défense est une plateforme qui dépend du ministère des Armées et à laquelle les gendarmes peuvent s’adresser en cas de problème : 08 08 800 321 (appel gratuit et anonyme).


 
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