En février 1915, l'écrivaine néo-zélandaise Katherine Mansfield a bravé l'armée et tous les contrôles pour rendre visite à son ami-amant,le poète Francis Carco, alors en poste à Gray. Une aventure romanesque qu'elle a consigné après guerre dans une nouvelle sobrement intitulée "le voyage indiscret".
Depuis novembre 14, Francis Carco est en charge du courrier à Gray. Il est caporal vaguemestre aux magasins généraux de la gare…un nœud stratégique à l'arrière. Il a rencontré quelques mois plus tôt Katherine Mansfield, la compagne de son ami Middleton Murry. Il lui prête même son appartement du 13 quai aux Fleurs, à Paris, depuis qu'il est mobilisé. Leur correspondance a pris une tournure plus intime et il l'invite à Gray. Elle le rejoint début 1915 près du front, dans cette zone des armées, normalement interdite…Il lui a fourni une fausse lettre d’une tante imaginaire, Madame Boiffard, qui prie la jeune femme de lui rendre visite urgemment.
Un trajet périlleux
Katherine Mansfield, vêtue d’un imperméable sobre, les cheveux courts, fait le voyage en train, franchissant tous les contrôles, sa lettre et son passeport en main…Elle fait en route de précieuses descriptions pour les historiens. « A tous les ponts, les embranchements, les gares, il y avait un petit soldat, dont l’équipement essentiel paraissait être les godillots et la baïonnette. Il avait l’air abandonné et désolé, ressemblait à une image comique attendant que la légende soit écrite en dessous… »Cachés dans une maison sur les bords de Saône, les deux amants sortent surtout le soir dans les cafés..goutant l’eau de vie de mirabelle, malgré le couvre-feu. Là encore Katherine décrit :
« Bang ! fit de nouveau la porte. Deux autres hommes arrivèrent. (…) Oh, ils avaient du tracas ! Le lieutenant était un imbécile –mettant son nez partout, tombant sur eux – et ils n’avaient fait que coudre des boutons….[…]»
Une courte idylle
Katherine Mansfield repart au bout de quatre jours. Que s'est-il passé ? Déception ou impossibilité de vivre cette histoire ? Nul ne le sait. Un « amour voué au désastre », dira Francis Carco mais qui, comme la période, marquera profondément l’œuvre des deux écrivains… La néozélandaise perd à l’automne son jeune frère dans la Somme et mourra en France de la Tuberculose en 1923… Elle est enterrée à Avon, près de Fontainebleau.Francis Carco, lui, aura le temps d'explorer tous les genres de l'écriture, de la chanson au roman jusqu’en 1958..
L’histoire de cette aventure à Gray sera, elle, révélée bien longtemps après la guerre.