Depuis cinq années, Damien Crucet avait pris l'habitude de retrouver durant le brame, un magnifique cerf de Haute-Saône. Un monstre de beauté auquel il s'était profondément attaché. Il vient d'apprendre la mort de ce roi de nos forêts et a décidé d'arrêter la photo. Il devient trop difficile aujourd'hui selon lui, d'exercer sa passion.
Chaque année au début de l'automne, Damien Crucet attend avec la même impatience cette période où la forêt se couvre d'une teinte orangée. Bientôt les sous-bois vont rugir de l'appel des cerfs et le brame va pouvoir commencer. Un moment qu'il ne raterait pour rien au monde comme la période des mues durant laquelle les cerfs perdent leurs bois. Pour lui un seul objectif : arriver à voir et photographier ce cerf majestueux qui lui offre un rendez-vous à chaque brame.
Cette passion pour le grand cervidé, Damien l'a contracté à l'âge de 14 ans alors qu'il habitait L'Isle-sur-le Doubs. La puissance, la discrétion de ces rois, l'ont rapidement fasciné. Il a commencé par de l'observation et la recherche des bois à la fin du mois de février lorsque les cerfs perdent leur couronne. Mais en 2009, un ami photographe en Haute-Saône, Guillaume Chobaut, l'initie à la photographie animalière afin qu'il puisse immortaliser ses rencontres exceptionnelles.
J'ai toujours fait de la photo en essayant de respecter au maximum l'animal. Dès que j'avais le cliché que je désirais, je m'éclipsais discrètement afin d'éviter tout dérangement.
Damien Crucet
En 2016, le photographe croise le regard d'un cerf majestueux. S'il porte seize corps (huit de chaque coté), c'est plus l'amplitude de sa ramure qui l'impressionne. Il lui donne alors "Le Plat" comme surnom. Cinq années durant, Damien n'aura qu'un but, retrouver son "copain" afin de pouvoir passer quelques instants avec lui dans la plus grande discrétion. Il en a croisé des plus beaux mais il s'est noué entre le photographe et cet animal, une relation vraiment particulière. Mélange de respect et d'admiration.
Je me souviens du jour il y avait sept mâles qui bramaient dans une clairière. Le spectacle était magnifique. Une silhouette est sortie de la lisière et a poussé un raire puissant et guttural. En une fraction de seconde, tous ont quitté les lieux pour laisser sa place au fameux cerf "Le Plat".
Damien Crucet
A la fin février Damien pose des congés pour partir sillonner les forêts de Haute-Saône. Comme pour les amateurs de champignons, Damien garde ses coins secrets afin de préserver la tranquillité de la faune sauvage. C'est une fierté pour lui d'avoir pu trouver ses mues des quatre dernières années. S'il portait seize corps il y a cinq ans, ce cerf d'un peu plus de dix ans en portait douze cette année. Damien s'impatientait déjà de partir à la fin de l'hiver à la recherche de sa cinquième paire mais le destin en a décidé autrement.
Le dimanche 14 novembre 2021 restera un jour sombre pour Damien. Il apprend que son "copain de cache-cache" comme il aimait nommer aussi "Le Plat" vient d'être abattu à la chasse. "Je suis moi-même chasseur et je connais très bien la personne qui l'a tué. Je ne lui en veux pas mais cela me fait vraiment de la peine de savoir que je ne le reverrai pas" nous explique le photographe. Il est soulagé qu'il n'ait pas été abattu par un braconnier car on recense déjà cinq cas avérés cette année. À la fin de l'hiver, il n'ira pas chercher de mues de cerfs car il n'en aura plus l'envie.
La mort de son cerf a été la goutte d'eau de trop pour Damien. Il a décidé de raccrocher l'appareil photo avec amertume. Il est devenu trop difficile pour lui d'assouvir sa passion pour la photographie animalière. Entre des chasseurs qui s'approprient des forêts qui ne leur appartiennent pas, des agriculteurs qui voient d'un mauvais œil un photographe dans leur champs et des forestiers qui en veulent aux cervidés, le cœur n'y est plus.
Aujourd'hui, Damien aimerait juste une meilleure entente entre tous ceux qui utilisent la nature pour leur loisir. Il pensait que des photographes comme lui pouvaient jouer un rôle en apportant une vision plus moderne, moins caricaturale aux yeux des chasseurs et inversement, démontrer que tous les chasseurs ne sont pas ceux du sketch des Inconnus. Si les grands prédateurs manquent dans la nature, il doit y avoir selon lui du prélèvement mais cela peut être fait correctement et en bonne entente avec les promeneurs et les naturalistes.