Dans une lettre adressée à 1500 éleveurs, le président de la chambre d'agriculture de Haute-Saône, Thierry Chalmin, enjoint les agriculteurs à "sortir armés et à "taper" un loup" s'ils en voient un. Le loup est une espèce strictement protégée. Le préfet n'accepte pas cette "posture provocante".
Trois jours après le nouveau coup de colère des agriculteurs de Haute-Saône, le président de la chambre d'agriculture de Haute-Saône persiste en envoyant un courrier le 23 septembre aux 1500 éleveurs du département. Dans cette lettre, Thierry Chalmin enjoint les agriculteurs à "sortir armés et à "taper un loup"" s'ils "en voient un".
Autrement dit, le président de la chambre d'agriculture de Haute-Saône, incite les agriculteurs à ne pas respecter la loi. Les loups sont strictement protégés par la convention de Berne. Tuer un loup est passible de trois ans de prison et 150 000 euros d'amende.
Le président de la Chambre d'agriculture de la Haute-Saône appelle les éleveurs à s'armer face au loup.Un ras-le-bol partagé dans un courrier distribué aux agriculteurs. Bien que protégé,le loup crispe une profession qui vient de revivre de nouvelles attaques dans le département pic.twitter.com/jVDvIkaZ5U
— Frédéric Buridant (@FredBuridant) October 3, 2024
Des éleveurs avaient hissé, le 20 septembre 2024, le cadavre d'un mouton mort à la grille de la préfecture de Vesoul pour demander l'autorisation d'un tir de défense contre un loup aperçu dans le département. En septembre, un loup a tué une vache et huit brebis dans le secteur de Villersexel.
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Dans ce courrier, Thierry Chalmin "considère que l'État n'applique pas à l'élevage le principe général de protection de "l'intégrité des biens et des personnes" et qu'il y a carence de l'État et de la République".
"Postures provocantes"
La préfecture de Haute-Saône a réagi dans l'aprés-midi du 3 octobre à cette incitation à enfreindre la loi. Le préfet a écrit directement à Thierry Chalmin et a choisi de rendre public son courrier. Le représentant de l'État, rappelle "l'engagement des services de l'État aux côtés des éleveurs".
Je ne peux accepter que vous continuiez à appeler, au nom de la Chambre d'agriculture, les éleveurs du département à agir en dehors de tout cadre légal et à commettre un délit.
Romain Royetpréfet de Haute-Saône
En conclusion de son courrier, le préfet Romain Royet estime que "la défense de l'agriculture haut-saônoise en général, et la réponse aux prédations du loup en particulier, méritent d'abord un travail de fond et une forte collaboration de tous les acteurs, loin des postures provocantes et des appels à la désobéissance".
Un contexte où "les langues se délient"
Contacté ce matin, le président fondateur du Pôle grands prédateurs, Patrice Raydelet, n'est pas étonné par le courrier de Thierry Chalmin. "On voit qu'à tous les niveaux de l'État, des syndicats agricoles, quelle que soit la région de France, on entend de plus en plus ce message" déclare Patrice Raydelet. "
C'est une mouvance, poursuit-il, que l'on sent depuis quelques mois, maintenant les langues se délient et plus personne ne craint de sortir ce genre de choses.
Patrice Raydelet, président fondateur du Pôle grands prédateurs
Thierry Chalmin précise qu'il a "bien conscience d'inciter à enfreindre la loi". Contacté par téléphone, le président de la chambre départementale d'agriculture veut "dire tout haut ce que tout le monde dit tout bas, il faut arrêter de se cacher derrière son petit doigt".
S'il faut enfreindre la loi pour la faire changer, c'est peut-être par là qu'il faut y passer.
Thierry Chalmin, président de la chambre d'agriculture de Haute-Saône
Pour Philippe Monnet, l'homologue de Thierry Chalmin dans le Doubs, un département également concerné par les attaques de loup sur le bétail, il s'agit d'un "coup de colère".
On est régi par des règlements communs que l'on respecte. J'interprète le courrier de Thierry Chalmin comme un coup de colère.
Philippe Monnet, président de la chambre d'agriculture du Doubs
Outre la Haute-Saône, d'autres attaques avaient été signalées dans le département voisin du Doubs, où deux loups "en situation d'attaque" ont été abattus en août sur un arrêté préfectoral.
Thierry Chalmin a l'intention que "tout le monde prenne conscience de ce qui se passe, cela suffit". Pour lui qui est également éleveur, "le loup doit rester dans son milieu normal, il n'est plus à sa place " et "quand il n'est plus à sa place, il faut le taper".
Déclassement du statut du Loup : "signal positif" pour la ministre de l'Agriculture
Ce jeudi 3 octobre, le débat sur le statut de protection du loup a été abordé lors du déplacement de la ministre de l'Agriculture, Annie Genevard (LR) au Sommet de l'élevage.à Cournon, près de Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme. Dans son discours, la ministre a précisé ses convictions.
Le lancement du déclassement du statut du loup par le Comité des représentants permanents de l’UE la semaine dernière est un signal positif que nous attendions tous. C’est une bataille que j’ai menée avec acharnement comme présidente de l’ANEM (Association Nationale des Élus de la Montagne) et dont je me réjouis aujourd’hui comme ministre. Comme quoi, il n’y a de batailles perdues que celles qu’on ne livre pas.
Annie Genevard, ministre de l'Agriculture
Dans son premier discours du 23 septembre, la ministre, originaire du Doubs, prenait bien soin de ne pas prononcer le mot loup, mais parlait de "prédateurs".
"Les cultures de la terre et l'élevage sont les secteurs les plus exposés aux évolutions climatiques et dans certaines régions, aux prédateurs." précisait dans son discours Annie Genevard. Un "sujet important" que la ministre de l'Agriculture veut aborder avec Agnès Pannier-Runacher, la nouvelle ministre de l'Écologie.
Interrogée par nos confrères au Sommet de l'élevage, Annie Genevard comprend la colère des éleveurs, mais appelle au calme :
Je pense que ce n'est pas du tout la bonne façon d'approcher le sujet. Je comprends ce qui la motive, mais je pense que les choses doivent se traiter différemment et dans le respect. Je dis que les agriculteurs qui feraient cela se mettraient en défaut vis-à-vis de la loi parce que c'est illégal. Donc on ne peut pas inviter les agriculteurs à se mettre dans l'illégalité.
Annie Genevard, ministre de l'Agriculture
Comment ce "sujet important" va-t-il être traité par l'État ? "On voit que l'État français, remarque Patrice Raydelet, du Pôle grands prédateurs, pousse au niveau européen pour déclasser l'espèce". Le 25 septembre, le Conseil de l’Union européenne vient d'adopter la proposition de la Commission européenne visant à abaisser le statut de protection du loup dans le cadre de la Convention de Berne. Le loup pourrait ainsi passer d'une "protection stricte" à une "protection simple", ce qui permettrait d'éliminer plus facilement les loups quand ils sont jugés trop nombreux dans certaines régions.