Cette année, de nombreuses familles qui pratiquaient l'instruction en famille se sont vues notifier des refus. Il faut désormais une autorisation et plus une simple déclaration pour faire l'école à la maison. Le dossier de Laetitia, maman de trois enfants à La Côte, en Haute-Saône, a été refusé.
Laetitia Von Allmen, maman de trois enfants a toujours fait l'école à la maison. Mais pour cette rentrée 2024, elle a reçu au mois de juin dernier un refus de la part du rectorat pour poursuivre l'école à domicile avec ses enfants.
Selon elle, le refus qu'elle a reçu n'est pas légal. "On a fait un recours en juillet et on est allé au tribunal début août", indique cette habitante de La Côte en Haute-Saône au micro de notre journaliste Vanessa Hirson. Et d'ajouter : "II se peut que dans l'année, on reçoive une autorisation et que tout se passe bien, mais il se peut aussi qu'on ait des problèmes".
Laetitia est présidente de l'association Libres (liberté d'instruction Besançon, réseau entraide et solidarité) qui a pour but de"défendre les droits des familles en instruction en famille et de proposer un réseau d'entraide".
À la rentrée, au lieu d'emmener sa fille à l'école, Laetitia se rendra à la gendarmerie.
On va entrer en désobéissance civile officielle. On va aller à la gendarmerie et signaler le fait qu'on ne scolarisera pas nos enfants.
Laetitia Von Allmen, maman de trois enfants et présidente de l'association Libres (liberté d'instruction Besançon, réseau entraide et solidarité)
La mère de famille a demandé au rectorat les raisons pour lesquelles sa demande avait été rejetée. Mais elle est restée sans réponse. "On ne sait pas pourquoi cela a été refusé", livre-t-elle.
"Ça se passe très bien comme cela"
Quatre motifs permettent à des parents de solliciter l'autorisation d'instruire leurs enfants dans la famille. Le premier relève de la situation de santé de l'enfant ou d'une situation de handicap. Le deuxième de l'itinérance en France ou de l'éloignement d'un établissement scolaire. Le troisième d'une pratique artistique ou sportive de l'enfant de haut niveau. Et le quatrième est une situation propre à l'enfant.
Dans tous les cas, les parents doivent réaliser un projet éducation. "C'est assez flou, on ne sait pas exactement ce qu'il faut mettre dedans, mais on sait qu'il faut parler des supports que l'on va utiliser", explique Laetitia. Il est aussi demandé de préciser l'emploi du temps et la situation propre de l'enfant.
Laetitia dit faire l'école à la maison pour "l'intérêt de [ses] enfants". Elle a toujours fait l'instruction à domicile pour ses trois enfants, âgés respectivement de 9 ans, 5 ans et 4 ans. Elle ne les a jamais scolarisés : "Ça se passe très bien comme cela. On trouvait ça très jeune de mettre nos enfants à l'école à deux ans et demi, trois ans". Chaque année, des contrôles pédagogiques sont effectués par les services de l'Éducation nationale. "Ils sont tous très positifs", indique la mère de famille.
Nos enfants, on leur a toujours dit que le jour où ils voudraient aller à l'école, ils iraient. Simplement pour le moment, ils ne sont pas prêts et ils n'ont pas envie d'y aller.
Laëtitia Von Allmen, maman de trois enfants et présidente de l'association Libres (liberté d'instruction Besançon, réseau entraide et solidarité)
Faire l'école à la maison permet selon elle aux enfants d'aller à leur rythme et de répondre au mieux à leurs besoins. Ce suivi personnalisé donne beaucoup de liberté : "En général, on travaille souvent le matin et ça nous permet de sortir l'après-midi ou bien de faire des activités extrascolaires". Juliette, l'aînée, participe à presque une dizaine d'activités culturelles, sportives et associatives. "D'une manière générale, on est une famille investie dans notre société et dans notre commune".
"C'était notre seule alternative"
Élodie Wintengerber, maman de deux petits garçons de 3 et 6 ans, fait, elle aussi, l'école à la maison depuis 2021. Cette année-là, elle a dû déscolariser son fils aîné. "C'était notre seule alternative. Timéo était en petite section et c'était très compliqué pour lui médicalement et émotionnellement", livre la secrétaire de l'association Libres. Pour elle, l'instruction en famille a permis à son enfant d'aller mieux : "On a vraiment vu les bienfaits pour Timéo. On pouvait répondre à tous ses besoins et j'ai pu m'adapter à sa façon d'apprendre".
L'habitante de Delle (Territoire de Belfort) a aussi proposé à son cadet l'instruction à domicile. "Cela lui permet de continuer à apprendre avec son grand frère". La maman dépense 300 euros par mois pour l'éducation de ses enfants. Cela inclut les livres et les activités.
Dans la journée, elle consacre 45 minutes par jour, du lundi au samedi à l'éducation de ses garçons. À cela s'ajoutent trois heures d'éducation informelle. Si lors d'une balade ses fils se posent des questions sur la nature, lorsqu'ils rentrent, ils se renseignent ensemble là-dessus. Élodie les emmène aussi chaque semaine à des ateliers Montessori. "Ça leur permet de voir des notions qui pourraient bloquer avec moi", souligne-t-elle.
Contrairement à Laetitia, elle a reçu l'accord du rectorat pour poursuivre l'instruction de ses deux garçons en famille.
Instruction en famille, pourquoi plus de refus cette année ?
Cette année, de nombreuses familles comme la famille de Laetitia ont reçu des refus pour faire l'école à la maison. En cause, un changement de régime, lié à la loi "séparatisme" de 2021 renforçant l'encadrement de l'école à la maison. On est passé d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation. Avant, il fallait faire une déclaration auprès de l'administration pour déscolariser ses enfants. Dorénavant, il faut demander une autorisation auprès de la DSDEN (direction des services départementaux et de l'éducation nationale) en complétant un dossier entre le 1ᵉʳ mars et le 1ᵉʳ mai précédant la rentrée scolaire.
Mais si cette loi est en place depuis deux ans, alors pourquoi ce n'est que cette année que de multiples les familles se voient refuser leurs demandes ? Depuis 2022, des dérogations avaient été attribuées aux enfants bénéficiant déjà de l'instruction à domicile. Mais en septembre 2024, celles-ci seront supprimées.
Il est vrai que beaucoup de dossiers que nous examinons au titre d'une situation propre des enfants qui étaient en instruction en famille auparavant ne remplissent plus les nouvelles conditions données par la loi.
Christophe Monny, secrétaire général adjoint du rectorat, en charge de l’organisation et des moyens.
9 demandes sur 10 accordées dans l'académie de Besançon
Parmi les quatre motifs permettant l'instruction en famille, celui qui concerne "l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif" est "celui qui est le plus sujet à interprétation" selon Christophe Monny. La situation propre n'a pas de définition, mais doit faire l'objet d'une analyse particulière. Les parents décrivent leur enfant dans ses aptitudes, sa situation, son contexte. "C'est cela qu'on essaye d'identifier au niveau de nos commissions d'examens", indique le secrétaire général adjoint du rectorat. Il faut aussi que les parents démontrent en quoi leur projet pédagogique est particulier par rapport à la situation qui est décrite.
Dans l'académie de Besançon, on accorde 9 autorisations d'instruction dans les familles sur 10 demandes. On est dans la moyenne nationale.
Christophe Monny, secrétaire général adjoint du rectorat, en charge de l’organisation et des moyens
Au niveau national, l'instruction en famille représente 51 229 demandes et 45 275 autorisations pour l'année 2023-2024. Pour l'académie de Besançon (Doubs) cela correspond à 1 139 demandes et 1 027 autorisations.