C'est la première fois qu'un acteur privé, le Groupe Bel, investit dans la réhabilitation des tourbières du Jura. Pour l'entreprise, financer un projet de captation du carbone est un moyen de compenser les émissions inévitablement induites par la production industrielle de son fromage.
"Pour des acteurs de l'environnement, c'est un cadeau de Noël". Présidente du Conservatoire d'espaces naturels de Franche-Comté (CEN), Muriel Loriod-Bardi se réjouit d'un partenariat exceptionnel.
C'est la première fois qu'un acteur du privé, en l'occurrence le groupe industriel Bel, finance un projet de réhabilitation des tourbières dans le Jura, un levier d'action considérable contre le réchauffement climatique.
Après quatre ans de préparation, un partenariat a été officialisé entre les différents acteurs publics du projet et le producteur de fromage, mercredi 3 avril à Frasne, dans le département du Doubs.
Les tourbières emprisonnent 30% du carbone mondial
Les tourbières sont des zones humides. L'accumulation des végétaux morts dans l'eau y forme de la tourbe, une matière organique qui fixe le carbone dans le sol.
Cet équilibre climatique est déréglé par l'activité humaine. Depuis le 18e siècle, les hommes récupèrent l'eau et la tourbe à des fins agricoles ou énergétiques. Une fois drainées, les tourbières ne retiennent plus le carbone : elles le relâchent sous forme de gaz à effet de serre dans l'atmosphère.
Les espaces tourbeux emprisonnent 30 % du carbone mondial stocké dans le sol alors qu’ils n'occupent que 3 % des terres émergées du globe. Résultat : les tourbières assechées sont responsables de 5% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.
Leur réhabilitation est donc un levier d'action essentiel contre le réchauffement climatique. Et ce, particulièrement dans notre région, car la partie franc-comtoise du massif jurassien est une des zones les plus riches en tourbières d'Europe occidentale.
Quarante nouvelles tourbières à réhabiliter
Pour toutes ces raisons, l'Union européenne et l'Agence de l'eau financent le programme Life, deuxième programme de réhabilitation des tourbières du Jura, à raison de 12,5 millions d'euros investis entre 2022 et 2029. Seulement toutes les tourbières du département n'ont pas été retenues dans le projet, pour des contraintes foncières ou financières.
C'est là que le groupe Bel intervient. En permettant le recrutement de techniciens, le géant du fromage veut aider les acteurs publics à définir une liste de quarante nouvelles tourbières à réhabiliter dans le Jura parmi celles qui n'ont pas été sélectionnées dans le programme Life.
Une fois cette liste établie, l'entreprise financera également les travaux de réhabilitation. "Le plan de séquestration du carbone de Bel représente un investissement d’environ 10 millions d’euros par an, dont une grande partie est allouée aux restaurations des tourbières", précisent les services de communication du groupe industriel.
Bel a su convaincre les acteurs publics
Un partenariat avec le producteur de la Vache qui rit n'a pas tout de suite été évident sur les terres de fabrication du comté.
"En tant que structure associative, on est évidemment sensibles aux questions éthiques. ll fallait qu’on soit persuadés de ne pas être dans une démarche de greenwashing", commente le directeur du CEN Christophe Aubert.
Quatre ans de préparation à ce partenariat ont réussi à "lever (les) inquiétudes" des acteurs publics. "On a constaté une vraie ambition [de Bel] sur la durée, des engagements de principe et financiers", poursuit Christophe Aubert au micro de notre journaliste Isabelle Brunnarius.
Les émissions incompressibles de l'industrie fromagère
“En tant qu’entreprise familiale, on travaille aussi pour les générations futures", enchaîne le président du groupe Bel Antoine Fiévet, lui aussi en déplacement à Frasne pour la signature du partenariat.
Bien que Bel ait été mis en demeure pour avoir autorisé des rejets non conformes et pollué les cours d'eau de Dole pendant dix ans (un sujet qu'Antoine Fiévet considère "réglé"), l'entreprise s'engage dans un programme de développement durable pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 25% entrez 2017 et 2035.
Pour Antoine Fiévet, investir dans des projets de captation carbone comme la réhabilitation des tourbières est un moyen de "compenser les émissions incompressibles" de l'entreprise, celles qu' "on [le groupe Bel] ne peut pas réduire".
Dans l'industrie du fromage, l'essentiel des émissions de gaz à effet de serre est imputable à l'agriculture et au transport. Selon le groupe, les usines Bel n'émettent que 3% des 4 millions de tonnes de carbone émises chaque année par la production de son fromage, de la production du lait jusqu'à l'acheminement du produit en magasin.