Après l'assemblée Nationale, c'est au tour du Sénat de présenter son rapport sur la gestion de la crise sanitaire. Sylvie Vermeillet, sénatrice centriste du Jura, fait partie des co-rapporteurs : des dysfonctionnements sont pointés, notamment le manque de masques qui a compliqué la gestion de crise.
Sylvie Vermeillet, comptable de métier, est membre de la Commission des Finances au Sénat. Elle a été choisie par ses pairs pour faire partie de cette commission d'enquête justement parce qu'elle n'est pas médecin. Les 3 autres rapporteurs le sont. De plus, elle a eu le Covid dès le début de l'épidémie, à la mi-mars.
Les 4 sénateurs, appuyés par une cinquantaine de commissaires, sénateurs eux aussi, ont auditionné 133 personnes, sous serment. Au total, 101 heures d'audition et un rapport présenté officiellement ce 10 décembre 2020.
L'Assemblée Nationale, avec Eric Ciotti, le député LR des Alpes-Maritimes, comme président de la commission, a déjà rendu le sien, le 2 décembre.
Le rapport du Sénat pointe les mêmes dysfonctionnements mais va plus loin sur l'absence de masques. Il n'y avait pas de stocks de masques et les commandes ont été lancées très (trop ?) tardivement. Avec des masques, la gestion de la crise aurait été tout autre et les hôpitaux n'auraient pas été débordés.
"Beaucoup d'émotions et même des larmes..."
Sylvie Vermeillet dit qu'elle se souviendra longtemps de cette période "jusqu'à la fin de ma vie." Les auditions pour établir ce rapport commencent fin juin et vont durer jusqu'à la mi-octobre :"Quand on commence les auditions, les personnes interrogées sont encore sous le choc de la crise. Toutes sont très émues. Jean Rottner, médecin, et président de la région Grand Est, parle de l'épidémie comme d'un "rouleau-compresseur". Les chiffres sont effrayants : premier cas le 27 février, 6 cas le 2 mars et 4819 cas le 8 avril. Il pleure lors de l'audition. Il raconte que le personnel manque, tous comme les équipements de protection. Les médecins réanimateurs ont l'habitude, si j'ose dire, de voir mourir un patient sur trois dans leurs services. La mort, ils connaissent. Pas les autres personnels, et c'est très traumatisant pour tout le personnel soignant. J'ai été stupéfaite par la situation des internes : des jeunes en formation qui travaillent énormément sous pression pendant un an sans vacances. L'un d'entre eux m'a dit qu'il y a eu des suicides dans leurs rangs..."Les dysfonctionnements dans la gestion de la crise
Sylvie Vermeillet détaille la gestion de la crise : dès Noël, la prise de conscience d'Agnès Buzyn, ministre de la Santé au début de l'épidémie. Les clusters qui se multiplient. Les Ehpad et leurs personnes âgées oubliés. Les lourdeurs administratives, les collectivités territoriales qui pallient les manques de l'Etat et qui se battent pour acheter des masques. Il y aussi les relations difficiles entre médecine de ville, cliniques privées et les hôpitaux (dans certains secteurs géographiques, pas partout). Puis arrivent les plans blancs qui entraînent la déprogrammation d'opérations prévues, notamment pour les malades atteints de cancers et le dépistage des cancers qui prend lui aussi du retard. On assiste aussi à un tri des patients dans les hôpitaux en fonction de leurs chances de survie. Sans compter les tensions et problème de leadership entre l'ARS, l'Agence Régionale de Santé et préfet.Les constats de défaillances sont peu ou prou les mêmes que ceux pointés dans le rapport du Sénat. Plus détaillé : le manque de masques.
Points positifs, selon la sénatrice jurassienne : "Le développement de la téléconsultation et le budget illimité ! Un chef de service nous a raconté que des lits de réanimation sont ouverts en 3 jours, d'habitude, il faut 3 ans !" explique la sénatrice jurassienne.
Sans masques, la tâche se complique
Le port du masque a créée l'une des polémiques de cette épidémie : le porter ou pas ? Sylvie Vermeillet fait remarquer que, jusqu'au 30 mars, l'OMS, l'Organisation Mondiale de la Santé, affirme que le masque "ne sert à rien". Cette prise de position arrange la France : les masques, il n'y en a pas ! Le rapport explique bien comment la 5ème puissance économique mondiale n'est pas préparée à une épidémie d'une telle ampleur. Il manque les équipements nécessaires, notamment pour que les personnels soignants puissent continuer de faire leur travail.Première raison : déjà pour des raisons financières, et là,la comptable Sylvie Vermeillet comprend. La lutte contre le terrorisme - nouvelle menace- coûte cher et la précédente épidémie, le H1N1, a coûté cher en masques, entre autres, et s'est avérée beaucoup moins dangereuse qu'annoncée.
Deuxième raison : de mauvaises décisions. C'est le rapport Stahl, du nom d'un professeur de médecine de Grenoble, publié en 2018 qui fait autorité pour l'anticipation des épidémies. Il a stipulé qu'il faut un stock d'un milliard de masques au cas où... Puis, cette estimation chiffrée a disparu. Sylvie Vermeillet explique : " Jérôme Salomon, Directeur Général de la Santé, demande par mail à François Bourdillon, alors directeur Général de Santé Publique France, de modifier le rapport Stahl. La notion d'obligation devient un besoin. Et François Bourdillon, c'est page 101 du rapport, répond à Jérôme Salomon "J'ai retiré tout notion de stock chiffré". Il n'y a donc plus nécessité d'avoir en réserve un milliard de masques. C'est troublant. Nous, rapporteurs, on ne juge pas. On cite."
Résultat : quand l'épidémie déferle sur la France, on compte 0 masque FFP2 et 613 millions de masques chirurgicaux dont 60 % ne sont pas conformes et 63 millions sont périmés ou en voie de l'être. Dès le 25 décembre, Agnès Buzyn, ministre de la Santé, prévient Jérôme Salomon de la gravité possible de ce virus qui arrive de Chine. Dès qu'elle connait l'état des stocks de masques, elle en commande immédiatement, c'est le 24 janvier. Il n'y a, réellement, que 99 millions de masques utilisables. Il en faudrait 1 milliard.
Pour Sylvie Vermeillet, l'absence de masques "explique la panique parmi les médecins, les personnels soignants. Voilà un virus dont on ne sait rien, ni sur les symptômes, ni les traitements à appliquer, ni le mode de contagion, ni le nombre de morts qu'il peut entraîner... Les médecins de ville, les professionnels de santé s'arrêtent de travailler faute de masques pour au minimum se protéger et tous les malades arrivent à l'hôpital. La gestion de l'épidémie aurait été très différente avec des masques..."
"De plus, la communauté scientifique se déchire et le gouvernement envoie des injonctions contradictoires." poursuit la sénatrice jurassienne "Les masques manquent, on nous dit qu'ils ne sont pas nécessaires. Ils arrivent, ils sont indispensables, il faut absolument les porter ! En fait, le lien de confiance est rompu entre les citoyens et l'Etat, le gouvernement. Sans parler du fiasco de l'application de détection Stop Covid."
Et la Sénatrice de s'inquiéter pour l'étape suivante cruciale : "Comment envoyer des millions de Français se faire vacciner contre la Covid-19 s'ils n'ont pas confiance ?"
Le rapport fait des propositions pour une amélioration de la gestion de crise
Comme le rapport de l'Assemblée Nationale, celui du Sénat explore les mêmes pistes d'amélioration :
- Stocker "quoi qu'il en coûte" un milliard de masques
- Créér un poste de délégué interministériel de gestion des crises, quelles qu'elles soient, pour mettre de la transversalité entre tous les ministères, "ce qui a cruellement manqué" constate Sylvie Vermeillet
- Mieux organiser les relations entre médecine de ville, cliniques privées et hôpitaux publics
- Crééer une Agence Départementale de Santé placer sous l'autorité du préfet pour une meilleure coordination