Depuis 1968, la Chartreuse de Vaucluse est noyée sous les eaux du lac de Vouglans (Jura). Début juin, des plongeurs et un photographe spécialisé ont pu réaliser des images d’une qualité exceptionnelle. Récit.
Comme un enfant qui ne cesse de s’émerveiller, ses yeux brillent toujours. André Reumaux vibre encore au souvenir de cette plongée incroyable. Après deux ans de préparation, le photographe et son équipe ont pu descendre les 3 et 4 juin 2023 à 80 mètres de profondeur pour explorer les contours de l’ancienne Chartreuse, engloutie lors de la construction du barrage de Vouglans.
Ça descend d’un seul coup. La Chartreuse est dans une ancienne vallée. L’eau devient noire dès les 10 premiers mètres. On se retrouve dans la nuit noire, dans une eau à 4 degrés.
André Reumaux, artisan photographe sous-marin
Pour approcher la belle endormie dans de bonnes conditions et garantir sa sécurité, l’équipe a utilisé différentes techniques. Trois plongeurs ont plongé avec des recycleurs. Des machines qui permettent de ne pas faire de bulles dans l’eau et d'avoir une meilleure autonomie. Le photographe André Reumaux alias André PiedPalmé sur les réseaux sociaux et son éclairagiste Thierry Hustin étaient munis eux de bouteilles de gaz à base d’hélium. “Cela permet de mieux encaisser les profondeurs, d’être plus lucide, de rester plus longtemps sous l’eau” précise André Reumaux.
“La sensation d’être perdus dans une grande salle aux trésors”
La descente vers le vestige du passé se fait progressivement. Dès 50 mètres de profondeur commence l’exploration. “On se balade dans un labyrinthe de salles, tout se joue avec l’éclairage. Ce jour-là, les conditions étaient incroyables, l’eau était claire, sans doute parce qu’il n’y avait pas eu de vidange d’eau sur le barrage de Vouglans. Il y a une part de chance quand on plonge” note le photographe.
Sous les eaux noires dort une vieille dame. La Chartreuse de Vaucluse située sur la commune d’Onoz. Elle fut en partie détruite par les troupes de Louis XI. Elle fut reconstruite entre 1756-57 et de 1776 à 1787 tout en conservant des éléments des bâtiments datant du XII ème siècle.
“La pierre de la Chartreuse n’a pas bougé d’un poil. Elle n’est pas abîmée par l’eau. Les escaliers sont encore là. On a l’impression que l'on pourrait mettre ses meubles si l'on vidait le lac. On a même un piano dans une cuisine au milieu d’une pièce dans laquelle on a envie de sortir une tarte du four. C’est intact, et ça a 700 ans !!” a pu constater le photographe.
Il y a une espèce de fascination, de plonger dans l’histoire, le site a presque 1000 ans et tout est intact. À certains moments, on ne sait pas où l'on se trouve.
André Reumaux, artisan photographe sous-marin
Au fil de la plongée, derrière son masque et son objectif, les yeux du plongeur s’écarquillent. “C’est la sensation d’être perdus un peu dans une grande salle au trésor, un émerveillement constant. On est partagé entre la découverte du lieu que l’on voit dans l'instant, les pièces, les murs de la Chartreuse, et ce que l'on ne voit pas. Il y a un contraste énorme. Je n’ai jamais eu l'occasion de plonger dans des bâtiments historiques si grands et donc on a une espèce d’excitation mélangée à un peu de frustration, car il faudrait des centaines de plongées pour se repérer sur la Chartreuse. Il y a une espèce de fascination, de plonger dans l’histoire, le site a presque 1000 ans et tout est intact. À certains moments, on ne sait pas où l'on se trouve” se remémore-t-il.
Sous l’eau, les hommes qui ont eu le privilège de s’approcher de la Chartreuse, ont savouré leur chance :
“On a l'impression de faire une découverte. Avant la plongée, on mentalise sur des plans le site, la façon dont la plongée va se dérouler, et quand on arrive sur place, c’est complètement différent. Il y a des escaliers par exemple pour se repérer, mais entre deux repères, on est sur une autre planète. C’est vraiment ça qui m’a fait vibrer sur cette exploration".
Au total, le photographe André Reumaux sera resté trois fois 20 minutes dans les bras de l’ancienne Chartreuse. Une heure est nécessaire pour remonter à la surface par paliers.
"Ce patrimoine appartient à l’humanité, je veux le faire partager"
André Reumaux, Lillois de 28 ans, est d’origine martiniquaise. Chef de projet en informatique, il a troqué claviers contre palmes il y a trois ans pour vivre de sa passion, il vend ses photographies sous-marine, fait de la formation. Sur chaque lieu chargé d’histoire où il plonge, André Reumaux a à cœur de partager ses images. Ce fut le cas pour la Chartreuse du Jura.
“Ce patrimoine appartient à l’humanité, et je ne fais qu’en rendre compte. Le cœur de ma mission, c’est le partage” dit-il.
Comme tous ceux qui rêvent de plonger sous la Chartreuse, André Reumaux sait que le site est particulièrement dangereux. En septembre 2021, un plongeur Florent Bardet, y a trouvé la mort, son corps n’a été retrouvé que 9 mois plus tard.
“La plongée, c’est une leçon de vie à chaque fois. Dans le milieu de la plongée technique, on perd tous les ans, l’un des nôtres. Outre la sécurité, la plongée, c’est très mental comme sport. Ces facultés sont primordiales” ajoute André Reumaux.
Plonger, explorer l'histoire, ici et ailleurs
Après le Jura, André Reumaux s’apprête à vivre une autre aventure. Cette fois dans les eaux de la Norvège. Cet été, il part, avec son matériel, explorer les épaves provenant de la seconde guerre mondiale. De nombreux destroyers allemands reposent près de Gulen et Narvik. Une nouvelle terra incognita qui fait déjà frissonner le plongeur français André Reumaux.
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NB : L’expédition d’André Reumaux sur la Chartreuse a été réalisée avec le soutien du Centre de plongée Carrière de Rochefontaine, Dive Factory, BigBlue Dive Lights Europe et Lowcar garage.