Jura : "Assassins !", la colère des salariés de la fonderie MBF Aluminium, 280 emplois, placée en liquidation judiciaire

Le tribunal de commerce de Dijon a rendu son délibéré ce mardi 22 juin. Il a prononcé la liquidation judiciaire de la fonderie MBF Aluminium qui emploie 280 salariés à Saint-Claude (Jura).

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Les visages sont fatigués, les mines graves, et c'est finalement la colère qui explose à la sortie du bureau du greffier. La décision est tombée peu avant 16 heures ce mardi 22 juin. Le tribunal de commerce de Dijon vient de prononcer la liquidation judiciaire de MBF Aluminium à Saint-Claude (Jura).

En images, regardez la réaction des salariés à l'annonce de la liquidation

En pleurs, des salariés qui ont fait le déplacement, s'effondrent dans les bras l'un de l'autre. Nail Yalcin, délégué syndical à la CGT lance :"Macron, Runacher, vous êtes des asssassins ! C'est l'Etat qui nous a condamné aujourd'hui.". Il rappelle le désastre que représente cette liquidation pour le bassin d'emploi de Saint-Claude. Le sous-traitant automobile était le premier employeur privé de la ville du Haut-Jura. "Ce sont 280 familles, des femmes, des enfants". Après 83 jours de grève, la rage succède à la désillusion. Le représentant syndical CGT cible directement le ministre de l'économie Bruno Le Maire et sa secrétaire d'Etat Agnès Pannier-Runacher qu'il accuse d'être responsables de cette liquidation : "Reconvertissez-vous en chauffeur de corbillard !" s'écrie-t-il.

 Si c'est la violence qu'ils cherchent, ils vont la trouver"

Nail Yalcin, délégué syndical CGT à MBF Aluminium

"On avait du boulot jusqu'en 2025, et là on doit fermer la boutique, l'Etat a ouvert la porte aux constructeurs automobiles pour qu'ils s'échappent, c'est leur stratégie", dénonce Nail Yalcin. Une voiture au logo de l'entreprise retournée sur le toit brûle au milieu des voies du tramway. Des flammes pour signifier à quel point la situation est grave.

Devant le tribunal de commerce de Dijon, les salariés cherchent leurs mots. “On est très en colère, le mot n’est pas assez fort” lance un salarié. “On a menacé de faire sauter la boîte, on le fera” prévient une femme à bout de nerfs. “On est tous des pères de familles, plus de 200 emplois supprimés à MBF, c’est ensuite l’hôpital qui va en subir les conséquences, Saint-Claude est déjà sinistré, les services publics vont suivre” s’inquiète un des ouvriers de la fonderie. "J'ai 45 ans, mon mari en a 50, comment allons-nous retrouver du travail dans un bassin où il n'y en a pas beaucoup ?" s'interroge une autre salariée en larmes.

En sursis depuis le 4 novembre 2020, date du placement en redressement judiciaire de la fonderie, les employés sanclaudiens étaient en grève depuis le 31 mars 2021. Ils ont multiplié les actions pour se faire entendre et alerter sur cette possible liquidation de l’entreprise. Allant jusqu'à entamer une grève de la faim devant Bercy. La fonderie du Haut-Jura produisait des carters de moteurs et des pièces de boîtes de vitesse. Selon l'intersyndicale, les deux clients quasi-exclusifs de MBF, Renault et PSA-Stellantis, n'honoreraient pas leurs commandes à hauteur des engagements prévus.

"On voulait garder notre travail"

A 160 km de Dijon, devant l’usine de MBF Aluminium une trentaine de salariés sont rassemblés sur le site au moment où la liquidation est actée. “Toutes les fonderies sont en difficulté. On pensait que l’Etat allait agir, imposer aux constructeurs de relocaliser les productions. On se rend compte qu’ils nous ont lâché. C’est honteux300 emplois en moins, ce sont des familles détruites” fulmine un salarié. Un jeune crie aussi sa colère, ”Bénéficier des 50 millions d’euros que Renault et PSA va mettre en place, on n’a pas besoin de çà ! On ne veut pas aller à Pôle Emploi. On voulait garder notre travail.”

L'intersyndicale pourrait faire appel de la décision du tribunal de placer l'entreprise en liquidation, la mairie de Saint-Claude y songe également.

"C’est un assassinat public, ce sont des salauds" dénonce le maire de la ville

Contacté par téléphone, le maire de Saint-Claude Jean-Louis Millet (droite) a appris la nouvelle de la liquidation judiciaire par les journalistes. Catastrophé et effondré, il ne mâche pas ses mots : “Je pensais qu’on donnerait sa chance au repreneur. Je suis écoeuré par l’Etat et par la Région, c’est un assassinat public, ce sont des salauds”. “L’Etat et la Région ont refusé d’accompagner la reprise, il faudra nous expliquer pourquoi” ajoute l’élu. “On est dans l’inhumanité totale, 282 emplois dans notre ville, c’est 1000 personnes au tapis dans une ville innocente", ajoute Jean-Louis Millet. Candidat aux élections départementales, le maire de la ville attaque Marie-Guite Dufay, la présidente sortante (PS) du conseil régional qui a versé 500.000 euros pour payer les salaires, mais qui, selon lui, aurait dû aller au-delà, et avait le pouvoir sur ce dossier : “La Région a donné 1,5 million d’euros pour sauver 32 emplois à Jacob Delafon près de Dole, et MBF ?”. Le premier édile de Saint-Claude, ville déjà sinistrée par l’emploi, est inquiet pour la suite et craint la réaction des salariés à leur retour du tribunal de commerce de Dijon.

“C’est une véritable catastrophe industrielle et sociale pour tout un territoire”

La présidente de la Région Bourgogne-Franche-Comté estime que la collectivité a poussé les feux comme jamais elle ne l’a fait pour tenter de trouver une solution. Elle avait proposé d'entrer au capital d’une éventuelle nouvelle société en soutenant l’investissement du seul repreneur, se désolidarisant de l'Etat. “Il n’y avait plus du tout de cash, la situation était catastrophique” explique-t-elle. “On aurait eu besoin de plus de temps pour trouver des industriels. Je voulais encore avoir de l’espoir. Je suis catastrophée, je pense à ces hommes et ces femmes, et à la difficulté de retrouver du travail”, réagit la présidente sortante socialiste. "C’est un drame pour le bassin de Saint-Claude. Mes pensées vont aux salariés et à leurs familles, qui détiennent tous les savoir-faire pour permettre à MBF de rebondir", déclare Marie-Guite Dufay. “Les syndicats savent que la Région est allée jusqu’au bout... l’Etat lui avait déjà fait beaucoup pour MBF”.

L'unique offre de reprise retoquée

Initialement prévue le 25 mai dernier, la décision du tribunal de commerce de Dijon a été repoussée au 22 juin. L'unique offre de reprise de l'homme d'affaires Mikaël Azoulay qui prévoyait de conserver 229 CDI sur 272 a été retoquée. Deux nouveaux éléments avaient pourtant été tardivement apportés au dossier lundi 21 juin dans la soirée. Une banque aurait accepté d'apporter les fonds nécessaires pour constituer le capital social exigé pour la reprise. Pour mémoire, Mikaël Azoulay, seul candidat à avoir déposé une offre de reprise le 9 juin dernier, n'offrait pas toutes les garanties lors de la dernière audience. Il lui manquait 500 000 euros... D'autre part, Stellantis (ex-Peugeot) se serait engagé par écrit à continuer à travailler avec la fonderie jurassienne. Deux éléments qui n'ont pas suffi à faire infléchir la décision du tribunal.
Le lundi 21 mai, une délégation MBF s'était rendue dans la capitale pour s'entretenir avec Agnès Pannier-Runacher, la secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie et des Finances. Les 70 salariés présents avaient demandé une nouvelle fois l'aide de l'Etat. Ils étaient ressortis de cet entretien dépités, le projet de reprise ne sera pas soutenu par l'Etat. 

Plusieurs fonderies françaises en difficulté

Outre MBF Aluminium, de nombreuses fonderies françaises sont dans la tourmente. Avec la chute des demandes en moteurs diesel et la fin des moteurs thermiques actée pour 2040, 40 % des emplois du secteur pourraient disparaître durant la prochaine décennie. Ailleurs en France, les 292 salariés de la Fonderie du Poitou Fonte ont appris la fin de leur activité fin 2020. Dans la Vienne, celle d'Ingrandes s'achemine également vers un placement en liquidation judiciaire. Les 290 personnes qui y travaillent viennent de l'apprendre ce 18 juin. Dans l'Indre  l'ex-Française de roue (850 salariés en tout), dernier fabricant de jantes aluminium en France, connaît le même sort. Dépendantes des constructeurs Renault et Stellantis (ex Peugeot), leurs principaux donneurs d'odre, elles font face à une baisse de commandes due notamment aux délocalisations de la production automobile. D’autres fonderies automobiles redoutent des annonces similaires prochainement. En Bretagne à Caudan (Morbihan) notamment où 350 personnes fabriquent des bras de suspension ou des coudes d'échappement.

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