La peintre littéraire Nathalie Novi, installée près de Lons-le-Saunier, a eu l’idée de proposer à 14 illustrateurs et 29 auteurs jeunesse d’évoquer leur famille pendant ce temps si particulier du confinement. Un appel qui aujourd’hui dépasse les frontières.
Le jeu en vaut la chandelle, l’enjeu dépasse l’univers intime des ateliers d’artistes. Cette initiative révèle les effets insoupçonnés du confinement. Parti d’une envie de partage exprimée comme un petit défi par Nathalie Novi, ce projet a aussitôt séduit de nombreux artistes.
Bien qu'habituelle dans nos ateliers, explique Nathalie Novi, notre solitude peut revêtir divers habits, l'incertitude du moment la colore de plomb parfois, de gris de Payne souvent… Alors, j'ai imaginé un atelier géant, proche de celui que je propose ces deniers mois lors de mes rencontres scolaires. Plus que tout, l'enjeu est de s'amuser, de fédérer, de partager entre nous et avec les autres.
Ecrire, dessiner en étant à la fois seuls dans leurs ateliers et à la fois reliés les uns aux autres dégage une force qui avait tendance à s’évanouir ces temps passés, celle du collectif.
Fin mars , Nathalie Novi, lance son idée d’atelier géant sur la vaste toile du web via sa page facebook. Les réponses fusent et sont enthousiastes. Ce besoin de ne pas rester isolé dans son atelier, cette nécessité de former une « famille » incitent les artistes à dessiner leur famille confinée et les auteurs à prendre leur plume pour la décrire.
Au fil des jours, le croquis s’affine, les artistes s’organisent. Convaincue par cette initiative, l’écrivain Cécile Roumiguière accepte de coordonner le cadavre exquis littéraire. Pour cette auteure, il est important de garder une trace de cette période. Les phrases qu’elles reçoit des uns et des autres seront peut-être comme des « Madeleines de Proust ».
Le fait d’être ensemble… On a des métiers très solitaires et en même temps on s’aperçoit que dans des cas extrêmes comme celui du confinement, à quel point on a besoin d’une sorte de famille. Garder une trace de toutes ces petites libertés du quotidien qui nous manquent, c’est aussi important. Comment dans six mois, un an, on regarderait ces fresques et ces mots lancés en plein confinement. C’était tout cela qui m’intéresse dans ce projet.
Cécile Roumigière a écrit la première phrase, puis l’a envoyée à un autre auteur qui a fait suivre la sienne au suivant…Trente écrivains participent à ce cadavre exquis. Les unes avec les autres, les phrases donnent naissance à une oeuvre littéralre à part entière.
Cécile Roumiguière se lance :
« Mon chez moi est un bateau ; ma famille, un équipage à l’horizon délavé, effacé. »
Séverine Vidal enchaîne :
« On a des nuits dans le creux de la vague et des matins à regarder le ciel ; certains oublient les jours, d'autres comptent les semaines… »`
Raphaële Frier poursuit :
« Moi j'en perds mon espace. Avec les miens, je me ratatine ; nous voilà poussières de grains de sable et comme par enchantement, l'horizon revient si nous ouvrons les yeux. »
Près de trente écrivains ont participé à ce ping-pong de phrases bien fagotées. Autant d’auteurs, autant de vécus du confinement. Ces intimités égrainées donnent alors à leur fresque littéraire une valeur universelle.
Pour les illustrateurs, c’est un peu plus complexe ! Réaliser une fresque sans être les uns à côté des autres demande une sacrée organisation ! Via Messenger, Nathalie Novi a fixé les règles du jeu. Les artistes représentent leur famille confinée sur un papier kraft au dimension identique pour tous avec un fil rouge qui passe d’oeuvre en oeuvre à la hauteur précise de 38 cm.
Les jours défilent et les oeuvres se dévoilent sur le fil de discussion de la messagerie. Elles nous donnent à voir des « familles confinées ». Pour l’occasion, Nathalie Novi a reçu dans son atelier mes confrères Claire Schaffner et Hugues Perret. L’artiste jurassienne a choisi de se représenter en compagnie de son compagnon violoniste et de son fils avide du grand air.
L’une des forces du projet est d’impliquer aussi les lecteurs et admirateurs de ces artistes. Vous, moi, avec ou sans talent pour le dessin, nous sommes tous invités à participer à cet atelier géant. Nathalie Novi a juste fixé là aussi quelques règles : dessiner aux feutres dans des couleurs vives ce qui fait la beauté des jardins : fleurs, oiseaux, plantes… Autres indications : votre dessin doit tenir sur une feuille blanche format A5 (la moitié d’une feuille A4) et il faut pouvoir le découper et l’envoyer avant le 15 juin à une adresse encore à déterminer, vous trouverez les informations sur la page facebook de Nathalie Novi. L’objectif est de pouvoir découper cet objet décoratif et de le placer sur la frise. Un jeu auquel s’est prêtée Binh Chaumont avec beaucoup de délicatesse.
Binh Chaumont a décidé aussi de s’impliquer dans ce projet au delà de sa participation à la fresque.
J’ai été très touchée par ce projet : penser que l’on pouvait être ensemble en étant chacun dans nos espaces. On a vraiment besoin en ce moment de créer du lien.
explique la chargée des projets culturels à la Direction de la Culture et du Tourisme à la Ville d'Asnières . C’est à l’occasion de l’organisation de l’exposition"Je plie un oiseau pour la Paix", suite aux attentats de Paris, que Binh Chaumont a rencontré l’illustratrice jurassienne. Nathalie Novi avait répondu à son appel en lui proposant un dessin pour cette exposition . Aujourd’hui, Binh Chaumont fait le lien avec les institutions culturelles susceptibles d’accueillir prochainement tous les éléments de cette fresque lors d’une exposition temporaire.
Mine de rien, ce projet d’exposition et cette participation du « public » illustrent à merveille le dessein de tous ces artistes. Et si l’écrivain et poète Bernard Friot a joué le jeu du cadavre exquis, c’est parce qu’il croit lui aussi à l’utilité de cette fresque géante.
Notre métier est fait de contact. On a besoin des rencontres avec notre public. Le temps des rencontres, ce n’est pas que de la communication. C’est écouter, observer des enfants pendant les ateliers que nous animons. Il n’y a pas de pratique culturelle qui ne soit pas une pratique sociale. Un livre n’est jamais le produit d’une seule personne. Il se transforme par les lecteurs qui en sont faites. La culture ne créé du lien que si elle est partagée, transformée par tous. Tout le monde est acteur de la culture. Ces temps particuliers nous ont fait réfléchir aux rôles des uns et des autres.
Cet atelier géant tisse non seulement des liens entre artistes mais aussi avec le public. La solitude que nous avons tous éprouvée entre notre quatre murs, sans musée, sans bibliothèque, sans spectacles, a donné un nouvel élan au collectif. Imaginer, créer à distance mais ensemble. Cet isolement imposé nous a fait plus communiquer, plus travailler en groupe.
Ce projet s’inscrit dans la mouvance des videos de l’Opéra de Paris, ou de tous ces musiciens qui sont parvenus à s’accorder à distance.
Fresque géante, videos aux multiples fenêtres… Les artistes ont innové, parce que c’est dans leur ADN, pour maintenir le lien avec nous tous.
Ce projet, c’est un énorme bol d’air frais dans notre quotidien, explique Cécile Roumiguière, Il y a cette idée de laisser une trace de cette période et, financièrement, c’est peut être aussi une façon de dire on est là, dans notre petit chez soi, on vous fait rêver. On enrichit aussi la culture, les livres, les images. C’est tellement important.. On s’en aperçoit d’autant plus en ce moment. C’est aussi dire qu’on est là, encore vivant, et que l’on aimerait bien le rester.
D’ici quelques temps, la fresque géante et le cadavre exquis littéraire rencontreront leur public. Le projet de Nathalie Novi va même au delà des frontières. A Dublin, en Irlande des artistes ont repris l’idée pour le plus grand bonheur de l’artiste jurassienne.
Les illustrateurs et auteurs de « Chiche ! Exquis portraits de nos familles confinées »
Les illustrateurs : Christophe Renoux, Catherine Louis, Cécile Gambini, Bruno Pilorget, Maria Concejo-Iwankowicz et Joanna Concejo, Carole Chaix, Nathalie Novi, Susanne Janssen, Gaya Wisniewski, Amandine Più, Fleur Oury, Marc Daniau, Natali Fortier, Aurelia Fronty, Laurent Corvaisier .Les auteurs : Cécile Roumiguière, Séverine vidal, Raphaële Frier, Laurence Gillot, Antoine Dole, Anne Loyer, Coline Pierré, Sigrid Baffert, Murielle Szac, Eric Pessan, Alice Brière-Haquet, Muriel Bloch, Thomas Scotto, Julia Billet, Patrick Joquel, Jo Witek, Carl Norac, Thierry Lenain, Marie Sellier, Bernard Friot, Hélène Delbart, Martin Page, Maryvonne Rippert, Jo Hoestlandt, Jean-Michel Payet, Susie Morgenstern, Bruno Doucey, Annie Agopian, Stephane Servant et Nathalie Novi.