Philippe Girod quitte sa vie de trader à Singapour pour rejoindre Morez, jadis Eldorado de la lunetterie. Il va essayer de faire revivre la manufacture familiale de lunettes Gouverneur-Audigier dans le Jura. Nous l'avons suivi depuis 2014 dans ce documentaire.
Installé à Singapour, Philippe Girod n’a jamais oublié le Jura de son enfance. Une petite mélodie entêtante lui chuchote qu’un jour, il reviendra. C’est ce qu’il décide de faire, accompagné de son épouse Carole. Lassé par le tourbillon incessant du monde de la finance, il met le cap sur Morez, la capitale de la lunetterie française.
Il apprend qu’une des dernières fabriques de lunetterie du Jura est à bout de souffle. Mais à l’heure de la délocalisation, relancer une manufacture locale semble être un doux rêve. L’âge d’or de la lunette est révolu, et la plupart des usines de la ville ont dû fermer leurs portes à cause de la mondialisation. On ressent à Morez l’histoire qui résonne dans un grand nombre de vallées françaises : on a abandonné les territoires industriels.
Renaître de ses cendres
La lunetterie Gouverneur-Audigier est en faillite, mais Philippe Girod décide de mettre toute sa passion dans la relance de son activité. Depuis 2014 Laurent Lutaud, réalisateur, le suit dans ce tour de force qu’il a réussi à accomplir à force de passion et de sacrifices.
On a vécu des moments très difficiles. On a eu 100, 200 occasions de jeter l’éponge. Surtout, ne pas le faire et persévérer.
Philippe GirodPrésident de la Maison Gouverneur-Audigier
L'aventure n'en reste pas moins semée d'embuches. Car avant de distribuer leurs deux collections qui totalisent des milliers de références en France et dans 28 pays différents, Philippe et Carole ont relancé la production avec une dizaine de modèles. Leur premier associé quitte le navire après deux ans, déçu par les premiers résultats. Dans l'urgence, un nouveau partenaire financier est trouvé, qui finalement renonce en estimant la rentabilité trop aléatoire. Philippe se voit déjà obligé d'annoncer la fin à ses collaborateurs. Mais le président de la Maison Gouverneur-Audigier réussi à convaincre 4 anciens amis d'investir. Les dettes disparaissent et la création d'un site internet voit le jour : la machine est relancée.
Savoir bien s'entourer
Les années passent et l'équipe s'étoffe de passionnés. D'autres sont présents depuis la première heure. Laurent Jeannet est mécanicien-monteur et a commencé à travailler dans la lunette à 19 ans, pendant 11 ans. Après avoir bifurqué, il est revenu à la source de son enthousiasme et nous explique pourquoi il aime son métier : " Il y a tellement d’opérations, il y a tellement de choses à savoir qu’on apprend vraiment sur le tas. Il y a une certaine fierté, qu’on n’a pas quand on fait un travail qui n’est pas manuel."
Bérengère Evain est la première femme opticienne à avoir obtenu le titre de Meilleur Ouvrier de France en lunetterie. Cette passionnée découvre l'atelier Gouverneur-Audigier sur les réseaux sociaux et une visite dans les locaux s'organise avec Philippe Girod. Elle repart de Morez des idées plein la tête et des ébauches de lunettes dans ses bagages.
C'est la naissance d'une collection de 4 montures, fabriquées en matériaux naturels comme la nacre abalone et le bois. Elle est sélectionnée par les Talents du Luxe à Arc-et-Senans dans le Doubs, mais ne remporte malheureusement pas de prix. Philippe et Bérengère ont néanmoins la satisfaction d’être les uniques fabricants de lunettes dans la sélection, face à des marques de créateurs de bijoux et des maisons de haute couture.
Se tourner vers l'avenir
Le Covid arrive, et s'accompagne d'un net ralentissement de l’activité pendant un an et demi. Les obstacles s'enchaînent mais sont toujours surpassés. La lunetterie compte désormais 6 employés à plein temps, et fait travailler une vingtaine de représentants dans le monde, sans oublier les sous-traitants locaux. La grande difficulté reste la distribution des montures sur le marché français et la concurrence des groupements d’opticiens.
Peter représente l'entreprise auprès des opticiens et observe un changement dans la consommation : " On retrouve aujourd’hui une évolution de la mentalité du consommateur. Le client maintenant est conscient de son acte d’achat, et que son acte d’achat peut avoir une répercussion sur l’industrie, française en l’occurrence." Le Made in France plaît, mais pas n'importe lequel.
Je ne lis pas dans une boule de cristal mais ce n’est pas possible qu’avec l’histoire que nous avons, que l’aventure s’arrête. Au contraire, la lunette a toujours survécu, à des moments très difficiles. Le bassin a su rebondir à chaque fois, parce que la lunetterie, à mon avis, repart. Il y a une vie à Morez, ça vit Morez !
Philippe GirodPrésident de la Maison Gouverneur-Audigier
Les clients ne veulent plus d'un design français fabriqué en Asie. Et cela tombe bien, car la manufacture de Philippe Girod est riche de plus de 150 ans d'histoire. L'avenir de la Maison Gouverneur-Audigier n'est pas encore certain, mais ces années de lutte et de défis ont permis à la manufacture de prendre un nouveau départ. Et ont rallumées une étincelle d’espoir dans une vallée qui avait oublié le bruit des machines.
Chronique d'une manufacture, un film de Laurent Lutaud
Une coproduction France 3 Bourgogne-Franche-Comté et Nomades TV.
Diffusion jeudi 16 février 2023 à 22h50 sur France 3 Bourgogne-Franche-Comté
⇒ À voir dès à présent sur france.tv