Alors que les Français continuent de se méfier du vaccin d’AstraZenecca, comment se sont déroulées les campagnes de vaccination lors de précédentes pandémie ? Laurent-Henri Vignaud, historien de l’université de Bourgogne nous raconte.
En France, seuls trois quarts des doses du vaccin d’AstraZeneca ont été injectées. Une donnée expliquée aussi bien par les retards de livraison que par la méfiance des Français à l’égard du sérum suédo-britannique à la suite des révélations des complications connues par certaines personnes inoculées.
Cette défiance de la population à l’égard d’un vaccin est-elle unique dans l’histoire des épidémies ? Un spécialiste de la question, Laurent-Henri Vignaud, historien des sciences et maître de conférences à l'université de Bourgogne nous apporte quelques éléments sur les campagnes de vaccination à travers les décennies.
En quoi le processus de vaccination à l’œuvre dans la lutte contre le coronavirus est-il exceptionnel historiquement ?
Laurent-Henri Vignaud : Tout est nouveau. Nous avons des vaccins nouveaux, élaborés en moins d’un an. En général, les populations dans l’histoire de la vaccination vivaient pendant des siècles avec un virus qui faisait des milliers de morts. Et puis un jour, un savant inventait un vaccin et tout le monde en voulait. Il n’y avait pas le choix. L’invention était unique.
Là, la maladie est nouvelle, le vaccin est nouveau, plusieurs sont disponibles. On est dans une situation particulière. Les gens font le calcul bénéfice-risque à leur échelle.
Est-ce la première fois que plusieurs vaccins sont disponibles sur le marché pour un seul et même virus ?
La situation que l’on vit est assez exceptionnelle en cela qu’on a le choix. Généralement, les vaccins proposés ont été élaborés sur une technologie unique. Il fallait faire avec. Maintenant, il existe plusieurs technologies de fabrication de vaccin. C’est une situation inédite d’offre.
J’entends parler d’incidents avec tel vaccin, et pas d’incident avec l’autre vaccin, donc je préfère avoir l’autre vaccin. Le grand public se fait une opinion en fonction des informations qu’il entend. On est dans une offre de marché, donc presque dans des logiques de consommation.
Il y a un exemple célèbre de maladie dans lesquelles deux technologiques de vaccin étaient disponibles : la polio. Mais là-aussi, il n’y a pas eu vraiment de choix parce qu’en fonction des situations sanitaires différentes selon les pays, on a utilisé plutôt un certain type de vaccin que l’autre. La concurrence était réduite.
Vous êtes le co-auteur de l'ouvrage Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours*. Cette résistance n'est donc pas nouvelle ?
La pratique vaccinale a toujours été combattue, principalement par des médecins qui ne croyaient pas à son efficacité. Les motivations qui peuvent amener à penser que les vaccins seraient plus dangereux que les maladies elles-mêmes et inefficaces sont nombreuses. Mais elles peuvent être classées en 4 catégories toutes plus ou moins présentes dès l’origine :
1. Les arguments religieux de type fataliste ou providentialiste. La maladie est une épreuve ou une punition voulue par Dieu, contre la volonté duquel on ne peut aller.
2. Les arguments naturalistes. La Nature fait bien les choses. Les maladies sont nécessaires, elles sont un rite de passage (pour les maladies de l’enfance). Il existe des moyens bien plus efficaces de combattre les maladies que les vaccins (des tisanes, des bains d’eau froide, du yoga, un régime végétarien, la méditation...). Et le vaccin est un médicament "chimique" qui corrompt ou pollue l’organisme naturel.
3. Les arguments politiques. L’État ne peut forcer quiconque à prendre un vaccin. La vaccination obligatoire relève de la tyrannie, contrevient aux droits fondamentaux, entrave les libertés, sert à enrichir les laboratoires complices des gouvernants pour asservir les citoyens tout en faisant croire que c’est pour son bien.
4. Les arguments alterscientifiques. Les microbes ne sont pas responsables des maladies contagieuses. Il existe des théories médicales "alternatives" qui veulent expliquer la survenue des maladies infectieuses : la science immunologique est incomplète ou erronée, on nous ment sur le contenu toxique des vaccins, certains vaccins donnent des maladies graves, les vaccins-OGM vont nous transformer en zombies, entre autres.
Mais est-ce que le scepticisme du grand public à l’égard d’un vaccin, comme c'est le cas pour le sérum d'AstraZeneca, a déjà était constaté dans l’histoire des pandémies ?
La polio a donné lieu à un accident parmi les plus graves de l’histoire de la vaccination. En 1955, le laboratoire américain Cutter qui fabriquait un vaccin a été responsable d’une malfaçon. Les doses utilisées étaient toxiques. On a arrêté la campagne. La recette du vaccin n’était pas en cause, mais la manière dont il était fabriqué. En 1955, personne ne voulait du vaccin Cutter parce qu’on savait qu’il était dangereux. Mais aussitôt que la responsabilité du laboratoire a été établie, on s’est remis à vacciner avec des doses fabriquées dans d’autres labos.
Les militants anti-vaccin sont-ils plus virulents en marge de cette crise du coronavirus ?
Les militants les plus radicaux, qu’il faut distinguer des hésitants et des critiques modérés, s’agitent pour dénoncer la toxicité ou l’inutilité des vaccins disponibles contre la Covid. Ils tentent de convaincre le plus grand nombre de gens de refuser les vaccins d’ores et déjà disponibles - sur les réseaux sociaux, par des vidéos, des affiches. La difficulté pour eux, c'est qu’une grande partie de la population aspire à retrouver une vie normale. La demande pour la vaccination est donc très forte et la voix des antivax est un petit peu noyée. Les antivax préfèrent les situations normales, sans épidémie, car ils peuvent alors insister sur les petits risques vaccinaux.
Par ailleurs, les couacs de la campagne de vaccination font bien plus de dégâts dans l’opinion que les vidéos complotistes. Pour l’instant, la vaccination est ralentie ou entravée par cette difficulté à trouver des doses et les problèmes dus à la commercialisation hésitante de l’AstraZeneca en Europe. Ces événements sont bien plus efficaces pour engendrer de la méfiance que tous les groupes privés du Facebook antivax réunis. L’entrave théorique représentée par les antivax est donc pour l’instant limitée. Quand nous aurons atteint les 70 % de Français vaccinés, on verra s’il sera difficile de faire vacciner les 30 % restants.
* Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud, Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, Éditions Vendémiaire, collection « Chroniques », 2019. Prix Villemot 2020 [Thématique "Histoire des sciences et épistémologie"] de l’Académie des Sciences.