Les lynx "à saturation" dans le Doubs ? Une déclaration "irresponsable" pour le centre Athénas

Les déclarations du correspondant départemental du réseau Loup-Lynx de l’OFB, sur l’état de la population de lynx dans le Doubs ont fait bondir le responsable du centre Athénas. Un désaccord à l’image des tensions entre l'Office Français de la Biodiversité et les associations.

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“La population du lynx se porte très bien dans nos contrées. Elle arrive même quasiment à saturation dans nos espaces”. Cette déclaration de Stéphane Regazzoni, correspondant départemental du réseau Loup-Lynx à l’OFB, l'Office Français de la Biodiversité, a provoqué la colère des plusieurs responsables d’associations de protection de la faune. Adressées à nos confrères de l’Est Républicain, après la mort d’un jeune lynx, percuté par une voiture entre Morteau et Villers-le-Lac, ces quelques phrases expliquaient qu’il n’était pas surprenant que les accidents de ce genre se soient multipliés au cours des derniers mois. Inacceptable pour Gilles Moyne, le directeur du centre Athénas, de sauvegarde de la faune sauvage, il s’insurge : “on ne peut pas lancer ce genre d’affirmation”. “C’est irresponsable.”

Pour le directeur du centre Athénas, “il y un constat qui a été fait par l’ensemble des observateurs et des scientifiques que la population de lynx stagne depuis 2010”. Alors pour lui, affirmer que la population serait proche de la saturation, alors que plusieurs cas de braconnage ont été découverts en 2020, “est de nature à inciter des gens à passer à l’acte”. Gilles Moyne évoque une “surmortalité des adultes sur tout le massif jurassien".

C’est regrettable que ces paroles viennent d’un agent de l’état, qui est chargé de mettre en place le plan national d’action en faveur du lynx

Gilles Moyne, directeur du centre Athénas

Une population en augmentation, ou en légère baisse ?

Ses propos, Stéphane Regazzoni les assume, et les réitère. “C’est une espèce qui se porte bien”, explique-t-il. Et si plusieurs lynx ont été percutés par des voitures ces derniers mois, c’est bien parce qu’ils sont si nombreux que les jeunes mâles doivent se déplacer loin pour trouver un territoire disponible. Pour preuves de ce qu’il avance, il évoque le nombre de portées dénombrées cette saison. Treize dans le Doubs. “13 portées, ça veut dire 13 femelles et 13 mâles, ça fait déjà 26” expose-t-il. “Au centre [Athénas], on dit qu’il y a 30 lynx dans le Doubs”, mais selon lui “on serait plus près de 40 lynx adultes que de 20”. Autre argument avancé : “l’observation de terrain”. Ainsi, “dans certains endroits, il y a 10 ans, quand on voyait un lynx, on était tout étonné, et aujourd’hui, c’est en permanence”. A ses yeux, l’indignation de Gilles Moyne est injustifiée. “Le centre [Athenas], ils ne sont pas du tout objectifs dans leurs déclarations”, déclare-t-il, “Ils dramatisent toujours pour dire que le lynx est une espèce en danger”. “Pour eux, il ne faut jamais dire qu’il y en a beaucoup, ça serait dire que pour une espèce protégée, elle n’est pas en danger.”

Des arguments réfutés par les associations de protection de la faune. Olivier Guder, vice-président de l’association Férus de défense et de sauvegarde des grands prédateurs, relativise par exemple : “un mâle peut se reproduire avec deux femelles une fois que les accouplements ont eu lieu”. Difficile de conclure que les 13 portées recensées seraient le résultat des amours de 13 mâles et 13 femelles. Le coordinateur lynx de son association ajoute : “ce n’est pas parce que des lynx sont arrivés sur des zones où ils n’étaient pas il y a 10 ans, qu’ils n’ont pas disparu ailleurs”. “Notre sentiment est que la population de lynx n’augmente pas du tout sur le massif du Jura” explique-t-il, s’appuyant sur un nombre de contacts avec le lynx plutôt stable, malgré les recherches de ses équipes, et des captures photographiques elles-aussi plutôt stables, si ce n’est en berne. 

Pour expliquer l’augmentation relative des lynx tués par des accidents de la route, Gilles Moyne avance deux autres facteurs : tout d’abord, le flux des véhicules qui aurait lui aussi évolué. “Tous les ans, la circulation augmente de 1,5 à 2%”, suggère-t-il. Mais il évoque aussi le couvre-feu. “Il y a une concentration du flux des véhicules aux heures crépusculaires, aux environs de 18 heures”, expose-t-il, “et c’est précisément l’heure à laquelle les animaux se déplacent”. En effet, le lynx chasse particulièrement à ces heures où il voit le mieux. Cette période de l’année, période de rut où les mâles se déplacent plus, serait également accidentogène. 

Nombre de lynx… ou territoire occupé ?

Derrière cette polémique, gît un sujet source de tensions entre les associations de protection et l’OFB : le décompte des lynx présents sur le territoire. “Nous, si on nous dit que la population augmente, on sera très heureux de le savoir”, avance de son côté Olivier Guder, “mais on aimerait que l’OFB nous fournisse des preuves et des faits concrets”.

Ainsi, dans un communiqué publié le 4 février 2021, le centre Athénas souligne que “le Conseil National de Protection de la Nature (instance consultative auprès du Ministère) a rejeté le projet de Plan National d’Action pour le lynx instruit par l’OFB, jugé [...] faux et abusif dans sa présentation décrivant une occupation optimale et complète du massif”. Et rappelle que “en 2018, l’OFB écrit dans le bulletin du réseau lynx  « L’aire de présence irrégulière du lynx semble diminuer sur le massif jurassien »”. Car l’organisme ne donne plus que des estimations de l’aire d’occupation de l’espèce. 

“On demande depuis des années à ce que l’OFB nous communique les estimations de population”, raconte Olivier Guder, “mais ils donnent uniquement des zones de présence de l’animal”. “Il y a un biais, parce que les zones de présence peuvent augmenter, mais ça ne veut pas dire que le nombre d’animaux augmente, car les mâles dominants peuvent chercher des femelles”, explique-t-il. “Sur des zones où les femelles décèdent”, analyse Gilles Moyne, “on a pu constater qu’elles ne sont pas toujours remplacées. Le recrutement ne se fait pas forcément immédiatement”. Contactée, Delphine Chenesseau, animatrice du réseau loup-lynx en Bourgogne-Franche-Comté de l’OFB, commente sobrement : “on n’a pas d’effectif. L’indicateur qui permet de suivre la population est l’aire de présence de l’espèce.” Une population estimée par l’OFB “à 100 à 150 lynx” adultes en France, principalement située dans le massif jurassien. 

Derrière les chiffres, le suivi de la surmortalité des lynx 

Si ces chiffres sont sujets à tant d’attention et de demandes, c’est parce qu’ils permettent de suivre l’évolution de l’animal sur le territoire, et notamment, ses disparitions d’origines non naturelles. Les accidents, mais aussi, sujet sensible, le braconnage. “C’est une population fragile”, explique Olivier Guder, “ et il y a eu trois actes de destruction illégale l’année dernière” en France. L’association porte plainte à chaque acte de braconnage identifié. “On a aucune information qui arrive”, s’agace-t-il, “on a demandé plusieurs fois, on n'a aucune réponse, on nous dit ‘l’enquête suit son cours’.”

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