A l’Ehpad de Donzy (Nièvre), 69 des 84 résidents ont été testés positifs au Covid-19. Quatorze d’entre eux sont morts. Les soignants confient leur sentiment d’impuissance et leurs doutes sur l'avenir. Témoignage.
Félicia Picq est une jeune aide-soignante de jour à l’Ehpad de Donzy (Nièvre). Depuis près de 2 mois, l’établissement est touché de plein fouet par l’épidémie de Covid-19. Un résident sur 6 est décédé. « On se sent impuissantes face aux situations que l’on vit au jour le jour, explique la jeune femme. Chaque journée est différente. Mais chaque journée est de plus en plus dur parce qu’on est là depuis fin novembre. On ne sait plus trop quoi faire. On n’a plus de temps pour les résidents. On délaisse le soin de qualité pour eux. On n’a plus vraiment de solutions. »
En 2 mois, 69 des 84 résidents ont été contaminés par le virus. 14 d’entre eux en sont morts. Une vague à laquelle ne s’attendaient pas les soignants et les autres personnels. « Quatorze décès en un mois et demi ! C’est lourd. Encore plus quand on voit les conditions dans lesquelles ils s’en vont. C’est très difficile, que ce soit moralement ou physiquement » confirme Charlotte Nagel, elle aussi aide-soignante dans l’équipe de jour. « Moralement, c’est fatigant de voir nos résidents partir un a un. »
"En 3 nuits, on a appelé 3 fois le 15"
« C’est extrêmement dur » confirme Corinne Bizet, agent de nuit à l’Ehpad de Donzy. « Quand on travaille de nuit, on est préparées à des urgences. Mais là, ce sont des urgences très intensives. Sur un week-end de 3 nuits, on a appelé 3 fois le 15, pour 3 départs de résidents. Malheureusement, on a eu 2 décès. On voit les résidents partir. C’est très très dur. Moralement et physiquement. » Elle décrit une « chape de plomb » permanente qui pèse sur les équipes.
Depuis l’arrivée du virus dans l’établissement, le fonctionnement a dû être adapté expliquent les salariées. C’est notamment le cas pour les équipes de nuit selon Corinne Bizet. « C’est très intense. On était en [journée de travail de] 10 heures, on est passé en 12 heures. Nous sommes 4 en équipe de nuit. Il y a une unité Covid depuis début décembre d’une quinzaine de personnes avec 2 agents qui ne peuvent pas en sortir. On s’est retrouvé à 2 agents à faire tout le reste. »
"On ne s'attendait pas à ce que ce soit aussi dur. Avec 5 cas en novembre, on avait limité les dégâts. Mais ça a reflambé 3 semaines après. On a du mal à sortir la tête de l'eau."
« On travaille seules, parce que le personnel est lui aussi contaminé », confirme Charlotte Nagel, autre aide-soignante de jour dans l’établissement. « C’est quand même très dur d’être rappelée sans cesse sur des congés, de devoir revenir. On manque cruellement de personnel. On a besoin d’embauche ! »
« Cela créé des tensions dans tous les corps de métiers. Dans les cuisines, la plonge, chez les soignants, les infirmières. On est un peu toutes dans le même sac. On apprend, mais c’est difficile », confie Félicia Picq. « On arrive à faire face même s’il y a des moments de découragement » reconnait Corinne Bizet. Elle tente de miser sur l’humour et la solidarité entre collègues pour surmonter ce moment. «On essaye entre guillemets de, « jouer les folles » pour que cette pression tombe. Mais c’est très dur. »
Des vocations brisées ?
« Vivement que ça s'arrête ! » soupire une aide-soignante. Charlotte Nagel ne se fait pourtant guère d'illusions. « On finira par s'en sortir. Sur 84 résidents, on en est à 63 contaminés. On a également pas mal de personnels touchés. On finira par s'en sortir. Malheureusement, ce sera quand tout le monde aura été touché. Ce n'est pas ce que l'on souhaitait. »
Mais une fois le virus passé, la vie au sein de l'Ehapd pourra-t-elle reprendre normalement ? « Honnêtement, je ne sais pas. Je suis très négative. Je n'arrive plus à relativiser » répond Félicia Picq. Après cet épisode traumatisant, la jeune femme s'interroge sur sa propre vocation. « Pour les prochaines années, voire les prochains mois, je ne sais même pas si ma profession me correspond encore. Ce n’est pas ce que l’on apprend à l’école. On apprend à être humaine. On apprend à être sociable, à apporter des soins de qualité, de la bienveillance. »
Les larmes aux yeux, elle poursuit. "On n'a plus de temps. On devrait consacrer une demi heure aux résidents. On ne peut leur accorder que 10 minutes. On a des retours de leur part qui sont négatifs. Je ne parle pas du covid, je parle des troubles psychologiques. Là on est dans une phase physchique très difficile. Ils [les pensionnaires] ont le droit d’être respectés et bien traités. Là, on a l’impression de ne pas pouvoir fournir ce soin de qualité. C’est dramatique pour nous. On est impuissants. » Face au défi elle conclue : "On n'est qu'aides-soignantes. On n'est rien d'autre."