En première ligne pour l'organisation de la rentrée des classes à partir du 11 mai, beaucoup de maires s'interrogent et dénoncent un protocole sanitaire "impossible à assurer et à assumer". Ils craignent d'être attaqués au tribunal en cas de malades parmi les enfants ou les enseignants.
"C'est une rentrée à marche forcée. Rien n'est prêt. C'est extrêmement compliqué".Patrick Genre est le maire de Pontarlier; il préside l'association des maires du Doubs (AMF). Comme beaucoup de ses collègues, l'élu divers droite se dit "prêt à rendre possible la réouverture des écoles, pour les parents, les enfants, pour l'économie, mais pas à n'importe quelles conditions".
"Les élus sont très remontés, nous explique-t-il. Les maires ont montré ces dernières semaines qu'ils étaient indispensables, mais il y a une limite à tout. A un moment donné, on dit 'stop'. On ne peut pas demander aux maires d'assumer à la place de l'Etat."On ne peut pas demander aux maires d'assumer à la place de l'Etat.
Dans le viseur des élus locaux, le fameux protocole sanitaire qui "précise les modalités pratiques de réouverture et de fonctionnement des écoles maternelles et élémentaires après la période de confinement dans le respect des prescriptions émises par les autorités sanitaires".
Le protocole sanitaire en intégralité
Ces 54 pages de prescriptions hantent les élus locaux depuis la fin de semaine dernière. "Nous laisser sept ou huit jours pour organiser ça, c'est quasi impossible, poursuit Patrick Genre. Sans compter les coûts monstrueux pour les collectivités si on applique le protocole à la lettre."
Ces craintes sont partagées par l'autre association d'élus locaux, l'AMRF.Si dans deux mois il y a un décès, comment va-t-on vivre avec ça ?
Ce protocole sanitaire est "impossible à assurer et à assumer", certifie Jean-Paul Carteret, maire de Lavoncourt (Haute-Saône) et référent régional de l'association des maires ruraux: "C'est tellement drastique, comment voulez-vous qu'on nettoie et qu'on désinfecte plusieurs fois par jour ? L'Etat a ouvert le parapluie, et si le maire ne respecte pas le protocole, on est dedans."
"Certains enseignants sont tétanisés à l'idée de reprendre, rapporte le premier magistrat. Et dans deux mois, s'il y a un décès, je me dirai que je n'aurais jamais dû faire cette rentrée contre mon gré. Comment on va vivre avec ça ?".
Jean-Paul Carteret souhaite proposer très rapidement deux mesures au rectorat:
- aligner la rentrée des écoliers sur celle des collégiens, donc reporter la rentrée tant que le département est en rouge
- abandonner l'idée de faire rentrer les petites et moyennes sections, "parce qu'à 3-4 ans, la distanciation sociale, faut pas rêver..."
Dans le département voisin du Territoire de Belfort, Pierre Rey, le président de l'AMF, est catégorique: les maires vont, bien sûr, "tout mettre en oeuvre" pour rouvrir les écoles, même "à côté de l'oeil du cyclone", comprenez le foyer épidémique de Mulhouse, située à une quarantaine de kilomètres de Belfort. "Nous avons le souci de l'aspect économique, détaille l'élu, maire d'Autrechêne. Les salariés de General Electric, d'Alstom, de PSA, et de tous leurs sous-traitants, vivent dans nos communes".Les maires ne sont pas kamikazes.
Néanmoins, comme Jean-Paul Carteret, il souligne le "problème majeur du transport scolaire": "Je n'imagine pas le chauffeur se pencher sur les petits qui n'arrivent pas à boucler leur ceinture. Et qui va assurer la décontamination du car après chaque voyage ?"
Pierre Rey milite pour une protection juridique des élus, en première ligne: "C'est une demande forte, beaucoup de maires s'interrogent de manière bien légitime sur leur responsabilité pénale. Les maires ne sont pas kamikazes mais une adaptation législative est nécessaire. On espère. Rien n'est acté pour l'instant."
"Le gros risque, c'est que si un ou deux gamins sont touchés et que ça se passe mal, comme avec la maladie de Kawasaki, on peut avoir des parents qui se retournent contre le maire", confirme Jean-Louis Espuche, de l'Association des maires ruraux du Jura.On peut avoir des parents qui se retournent contre le maire.
"Ces 54 pages de protocole, c'est très pointu. Avec les enseignants, avec la communauté de communes, on va tout faire, affirme le maire de Dammartin-Marpain. Mais s'il y a une faille, au tribunal c'est le maire qui sera jugé. Tout le monde est sur la réserve. Ce qu'on entend le plus, c'est 'je ne veux pas en porter seul la responsabilité, je ne veux pas prendre le risque'".
Pour rassurer les maires, plusieurs parlementaires sont montés au créneau. C'est le cas du député LREM de Haute-Saône Christophe Lejeune, signataire ce week-end dans le Journal du Dimanche d'une tribune remarquée intitulée "Déconfinement : 138 députés et 19 sénateurs En marche demandent une protection juridique pour les maires".J'ai envie que les maires dorment bien et qu'ils dorment chez eux.
Dans une tribune, 138 députés et 19 sénateurs La République en marche plaident pour mieux protéger juridiquement les maires en vue de la réouverture des écoleshttps://t.co/hZi3rRgV3B
— Le JDD (@leJDD) May 2, 2020
"On ne peut pas accepter qu'un maire soit inquiété, nous rapporte le parlementaire, lui-même ancien maire. J'ai envie que les maires dorment bien et qu'ils dorment chez eux. Cet amendement est là pour rassurer les maires qui ont peur d'être attaqués, pas pour les dédouaner, car les maires sont responsables. Quant aux maires qui ne peuvent pas rouvrir les classes, personne ne leur en voudra."
Et Christophe Lejeune de prôner la "solidarité" et la "responsabilité" de chacun, tout en rappelant que cette rentrée des classes se fait "sur la base du volontariat".
Tout sauf un détail.
Un amendement de François Patriat au Sénat pour "éviter le risque d'une pénalisation excessive"
La responsabilité pénale des maires est au coeur du débat parlementaire dans le cadre de l'examen du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire.Le sénateur de Côte d'Or François Patriat, président du groupe LREM, présente ainsi un amendement dont "l'objectif [est] de clarifier l'étendue de la responsabilité pénale pour des faits commis pendant l'état d'urgence sanitaire".
L'ancien président du conseil régional de Bourgogne estime que "la faute pénale non intentionnelle des acteurs du déconfinement ne peut être retenue dans de telles circonstances qu'en cas de faute d'une particulière intensité".
"Ils ne doivent pas être pénalement responsables"
"Le maire ou le commerçant ne doit pas être tenu responsable de la réouverture d'établissements décidée par d'autres (...) Ils ne doivent pas être pénalement responsables pour ne pas avoir pris des mesures qu'ils leur étaient matériellement impossibles de prendre", est-il précisé dans la présentation de l'amendement, qui indique également que "leur action ne doit pas être paralysée par le risque de voir leur responsabilité pénale engagée dans des conditions excessives, lorsqu'ils n'ont pas causé directement le dommage, par exemple pour les infractions non intentionnelles en cas de contamination par le covid-19 sur les lieux dont le décideur a la responsabilité (le maire s'agissant des écoles, le commerçant pour son commerce ouvert au public, ou encore le chef d'entreprise pour son établissement)".